Geopolis a écrit:
Un magistrat s'est permis de décréter, afin que sa mère en fasse deuil, que son fœtus défunt soit mort... avant de naître. L'Assemblée nationale s'est empressée de régulariser l'arbitrage par une loi.
Il s’agit en fait de la question de l’enfant né sans vie. Selon la législation actuellement en vigueur, la personnalité juridique n’est reconnue qu’aux enfants nés vivants et viables, ce qui est resté inchangé depuis 1803.
Les premières dispositions relatives aux enfants nés morts ou décédés avant la déclaration de naissance sont contenues dans un décret du 4 juillet 1806 : tous les enfants, qu’ils fussent nés vivants ou morts, devaient faire l’objet d’une déclaration et d’une présentation à l’officier d’état civil. En cas de décès antérieur à la déclaration de naissance, l’officier d’état-civil devait dresser un
acte de présentation d’un enfant sans vie, devenu
acte d’enfant sans vie à compter de la suppression de l’obligation de présentation en 1919, enregistré dans le registre des décès.
A la suite d’un arrêt rendu par la cour de cassation le 7 août 1874 fondé sur les articles 345 du code pénal et 312 du code civil, n’ont plus été enregistrés sur les registres de l’état civil que les enfants nés viables, les fœtus étant considérés comme non viables avant une durée de gestation de cent-quatre-vingt jours.
Depuis l’introduction dans le code civil de l’article 79-1 le 8 janvier 1993, qui a abrogé le décret de 1806, les enfants décédés avant que leur naissance ait été déclarée à l’état-civil font désormais l’objet d’un acte de naissance et d’un acte de décès, ce qui leur assure une personnalité juridique, sous la condition de la production d’un certificat médical indiquant que l’enfant était né vivant et viable. A défaut d’un tel certificat, l’officier d’état-civil dresse un
acte d’enfant sans vie inscrit sur le seul registre des décès.
Parallèlement aux dispositions nationales relatives à l’état-civil, des autorités locales avaient pris diverses dispositions afin de permettre à des enfants nés sans vie de recevoir une sépulture. La plus ancienne de ces mesures date de 1868.
L’article 79-1 du code civil ne précisant aucune condition de viabilité, une circulaire prescrivait aux officiers d’état-civil de ne dresser un acte d’enfant sans vie que pour les enfants présumés viables selon la norme retenue par l’OMS, soit un terme de 22 semaines d’aménorrhée ou un poids de 500 grammes.
Entre 1996 et 2001, trois femmes étant accouchées de fœtus chacun pesant moins de 500 g après une aménorrhée de moins de 22 semaines qui demandaient à ce que fût dressé un acte d’enfant sans vie et qui s'étaient heurtées au refus de l’officier d’état-civil ont introduit un recours en justice. Après qu’elles eurent été déboutées en première instance et en appel, la cour de cassation leur a finalement donné raison par trois arrêts rendus simultanément le 6 février 2008 au motif que les conditions imposées par la circulaire suivies par les officiers d’état-civil - une circulaire n’est qu’une instruction adressée aux fonctionnaires, elle est inopposable aux administrés - ajoutait sans base légale des conditions ne figurant pas dans le texte de la loi.
A la suite de ces arrêts ont été pris les décret et arrêté ministériel du 20 août 2008 prescrivant un certificat médical d’accouchement, sans aucune condition de viabilité du fœtus, permettant l’obtention d’un acte d’enfant sans vie. En pratique, les hôpitaux délivrent désormais ce certificat systématiquement après une durée de grossesse de 22 semaines ou pour un poids du fœtus d’au moins 500g et sur demande dans les cas contraires.
Geopolis a écrit:
Notez que dans chaque cas, au-delà du fait qu'on soit d'accord avec les arbitrages judiciaires, ce sont ces arbitrages qui font plier et prennent le pas sur les pouvoirs exécutifs et législatifs.
Si des tribunaux peuvent prendre des décisions provocantes, c'est soit que la loi est muette, soit qu'elle est insuffisamment précise, soit qu'elle est devenue inadaptée, et c'est souvent à l'occasion de l'examen d'un cas concret porté devant une juridiction qu'on s'en aperçoit. Les juges alors font au mieux. Mais ils ne prennent pas le pas. Le législateur, ou l'exécutif lorsque la mesure à prendre est dans le champ de son pouvoir réglementaire, a toujours la possibilité de réagir, soit en validant la jurisprudence, ce qu'il a fait dans l'affaire des enfants sans vie, soit en décidant en sens contraire, ce qu'il a fait à la suite de l'arrêt Perruche. Voilà comment conclut l’avocat général dans les trois affaires tranchées par les arrêts du 6 février 2006 :
La jurisprudence a un rôle éminent dans l’actualisation, dans la nouvelle intelligibilité des problèmes conceptuels fondamentaux. Mais il me semble ici que ce n’est pas à elle de fixer la norme, mais à la loi.
Quelle meilleure façon d’y inciter le législateur, que d’écarter du débat la circulaire du 30 novembre 2001 en cassant les décisions qui vous sont soumises ? Vous établirez ainsi une liberté d’initiative totale des familles, dont l’articulation avec les autres textes relatifs à la bioéthique et notamment ceux relatifs à l’IVG ou à la recherche sur l’embryon, permettra au législateur de faire oeuvre d’harmonisation.Dans le domaine du droit, qui est celui des activités humaines, il n'y a pas toujours une seule solution évidente. Les motifs de refus donnés aux femmes demandant un certificat d'enfant sans vie pour des foetus présumés non viables reposaient sur une interprétation de la loi qui se soutenait fort bien. Mais la cour de cassation a préféré retenir un autre motif tout aussi valable. C'est que la loi n'était pas assez précise. Dans de tels cas il appartient au législateur d'en prendre acte et de combler les lacunes.