La vision des Etat-Unis fourbes et féroces opposés à une Europe intègre et candide ne repose pas sur une réalité mais sur un a priori. Les objections sérieuses sont tout autres. Elles ont d'ailleurs pour la plupart été exposées au cours des huit pages qui précèdent. Elles portent :
1. sur l'idée de libre-échange,
2. sur la clause de protection des investisseurs,
3. sur l'institution d'une juridiction transnationale ad hoc chargée de régler les différends portés par les investisseurs contre les Etats.
1. L'idée de libre-échange.
Les arguments en faveur du libre-échange reposent sur la théorie que les marchés se régulent d'eux-mêmes par l'adéquation entre l'offre et la demande et sur le bon sens qui conduit à admettre que si l'on veut pouvoir exporter, il faut accepter les importations. Mais c'est raisonner sur des situations idéales qui ne se rencontrent en fait jamais. Il y a toujours des déséquilibres. Le sociologue Emmanuel Todd combat le libéralisme, qu'il considère comme un dogme qui n'a jamais pu être vérifié, en raison des différences de comportements des populations qui sont ignorées dans les théories libérales. Outre la sociologie, les différences de normes sociales et environnementales défavorisent le pays le plus vertueux. Le libre-échange incite donc aux dumping fiscal, social et environnemental avec des effets indésirables sur le bien-être des populations et la préservation de l'environnement.
Certains secteurs comme la culture resteront en dehors du champ du TAFTA et la Commission Européenne a bien averti qu'elle ne fera pas de concession sur les normes sanitaires et environnementales. Dans ces conditions, comme Etat-Unis et Europe sont déjà quasiment en situation de libre-échange, on peut se demander ce qui reste à négocier et certains craignent de telles concessions.
2. La protection des investisseurs.
Dans le cadre des traités commerciaux il est devenu habituel d'insérer des clauses de protection des investisseurs par lesquelles on garantit aux investisseurs étrangers :
- qu'ils ne seront pas l'objets d'expropriations ni directes ni indirectes abusives,
- qu'ils seront traités de façon juste et équitable, sans discrimination par rapport aux investisseurs nationaux,
- qu'ils conserveront toute liberté de transfert des capitaux.
Au cours des vingt dernières années il y a eu un nombre croissant de recours et de nombreux observateurs dénoncent une interprétation très large des notions d'expropriation indirecte et de traitement juste et équitable en faveur des investisseurs étrangers et au détriment des Etats. Notamment, un renforcement de la législation ayant pour effet de réduire la rentabilité d'un investissement est susceptible d'être qualifié de traitement injuste ou inéquitable. La conséquence en est un "chilling effect", c'est à dire une certaine crainte créant un frein aux évolutions réglementaires.
3. Les modalités de règlement des litiges.
Depuis environ vingt-cinq ans, il est devenu courant que, dans le cadre de traités commerciaux, les investisseurs puissent porter leurs litiges à l'encontre des Etats devant des juridictions transnationales telles le CIRDI. Cela prévient tout risque de partialité des juridictions nationale et tout risque d'incertitude sur le statut du traité dans le système juridique de l'Etat attaqué et plaide en faveur de telles juridictions.
Mais des critiques se sont élevées au vu des expériences. Selon l'AITEC, organisation à sensibilité altermondialiste :
Citation:
Dans la plupart des cas, les tribunaux en font une interprétation large en faveur de l’établissement de conditions stables et favorables pour les investisseurs. Cela induit une marginalisation de la prise en compte de la défense de l’intérêt public dans le processus de prise de décision des tribunaux
En outre, ces tribunaux prennent généralement la forme de cours d'arbitrage : procédure confidentielle, sentence confidentielle et sans appel. Or, lorsque l'Etat est en cause, les citoyens peuvent légitimement exiger d'être informés.
Une note sur les litiges opposant l'entreprise Vattenfall à l'Allemagne est intéressante à lire :
http://aitec.reseau-ipam.org/spip.php?article1363.