Avec l’épidémie de Covid-19, « le monde a radicalement changé en trois mois », a déclaré Gita Gopinath, l’économiste en chef du Fonds monétaire international, décrivant « une sombre réalité » lors d’une conférence de presse virtuelle le mardi 14 avril.
Citation:
Le FMI table sur une récession mondiale en 2020 mais peine à déterminer son ampleur
AFP14 avril 2020
Washington (AFP) - Environ 9.000 milliards de dollars de perte cumulée pour l'économie mondiale en 2020 et 2021 à cause de la pandémie. "C'est davantage que les économies du Japon et de l'Allemagne combinées", a assené mardi Gita Gopinath, l'économiste en chef du Fonds monétaire international.
Pour l'heure, le FMI table sur une contraction du PIB mondial de 3% cette année, a-t-elle déclaré lors d'une conférence de presse virtuelle détaillant les dernières perspectives économiques mondiales.
Mais cette crise qui "ne ressemble à aucune autre" pourrait aussi entraîner une récession bien plus sévère si les mesures de confinement ne sont pas levées d'ici la fin juin et si l'activité économique ne reprenait pas au second semestre, a-t-elle prévenu.
"L'incertitude est considérable", "élaborer des prévisions très difficile", a-t-elle admis.
Mais "il est très probable que cette année, l'économie mondiale connaîtra sa pire récession depuis la Grande Dépression", a-t-elle également avancé.
Ce sera peut-être moins pire que dans les années 30 quand le PIB mondial a chuté de 10% mais bien plus sévère qu'en 2009 (-0,1%) suivant la crise financière, a-t-elle précisé.
"Cette crise représente une menace très grave pour la stabilité du système financier mondial", a estimé de son côté Tobias Adrian, conseiller financier du FMI, notant l'extrême volatilité des marchés, redoutant une "période prolongée de dislocation sur les marchés financiers (qui) pourrait déclencher une détresse parmi les institutions financières".
Le nouveau coronavirus est parti de Chine fin décembre avant de disséminer dans le monde entier.
Mardi, le Covid-19 avait fait près de 120.000 morts et presque 2 millions de personnes avaient été diagnostiquées dans 193 pays et territoires depuis le début de l'épidémie, selon un bilan établi par l'AFP à partir de sources officielles.
Dans un effort pour endiguer la pandémie, les gouvernements se sont résolus à confiner leur population, fermer les commerces non essentiels, réduire drastiquement le trafic aérien, paralysant des pans entiers de l'économie.
En conséquence, le commerce international s'est effondré: le Fonds prévoit ainsi une baisse de 11% du volume d'échange de biens et services en 2020.
Alors que dans les crises économiques habituelles, les décideurs politiques s'efforcent de dynamiser aussi vite que possible l'activité économique en stimulant la demande, cette fois, "la crise est dans une large mesure la conséquence des mesures de confinement nécessaires", relève Gita Gopinath.
Pour les pays avancés, la récession devrait atteindre 6,1%.
Aux Etats-Unis, où il y a peu de filet de sécurité sociale et où le système de santé est défaillant, la contraction du PIB devrait être de 5,9%. "La récession est profonde (...) Elle va laisser des traces" dans la première économie du monde, a prévenu Gita Gopinath.
Dans la zone euro, le PIB va même dégringoler de 7,5%. En Italie, la contraction sera de -9,2%, en Espagne de -8%.
En France, avec une récession de 7,2%, le FMI est plus optimiste que le gouvernement qui table sur une chute de 8%.
Ailleurs en Europe, au Royaume-Uni, le PIB va chuter de 6,5%. Un institut public a fait, lui, état d'une chute potentielle de 13%.
Dans la zone Amérique Latine et Caraïbes, la récession sera à peine moins marquée (-5,2%).
Pour le Moyen-Orient et l'Asie centrale, le FMI table sur une baisse du PIB de 2,8%.
La Chine et l'Inde devraient être les seules à créer de la croissance (+1,2% et +1,9% respectivement).
Rebond en 2021?
Le rebond de l'économie mondiale pourrait toutefois intervenir dès 2021, avec une croissance attendue de 5,8% à condition que la pandémie soit effectivement maîtrisée au second semestre de cette année.
Et "malgré les circonstances désastreuses", il y a des raisons d'être optimistes, a estimé Gita Gopinath.
Dans les pays les plus affectés, le nombre de nouveaux cas diminue, après la mise en place de solides pratiques de distanciation sociale.
La communauté scientifique travaille à un "rythme sans précédent" pour trouver des traitements et des vaccins.
Sur le plan économique, les gouvernements ont agi rapidement en prenant des mesures "substantielles" pour protéger les personnes et entreprises les plus fragiles.
Et, "la différence cruciale" avec la crise des années 30 est l'existence d'institutions multilatérales telles que le FMI et la Banque mondiale capables de fournir une aide financière immédiate pour aider les pays les plus vulnérables.
Le G7 s'est d'ailleurs dit favorable à la suspension provisoire des services de la dette des pays pauvres.
Pour les économies avancées, la reprise économique nécessitera plus de mesures de relance budgétaires. Et ce stimulus sera plus efficace si ces mesures sont "coordonnées", a souligné Gita Gopinath.
Elle a en outre estimé que la question de la dette des Etats devra être examinée une fois la pandémie passée.
"Pour l'heure, la crise nécessite l'action des gouvernements", a-t-elle insisté.
Enfin, alors que la pandémie a mis en lumière l'absence de préparation de nombreux pays à une crise sanitaire de cette ampleur, le FMI exhorte à réfléchir aux mesures qui pourraient être adoptées pour éviter qu'une catastrophe similaire ne se reproduise à l'avenir, préconisant en particulier un échange d'informations "plus automatique" sur les infections inhabituelles ainsi que la constitution de stocks mondiaux d'équipements de protection individuelle.
Le résumé officiel du WEO :
Citation:
La pandémie de COVID-19 a un coût humain considérable et de plus en plus élevé dans le monde entier. Pour sauver des vies et permettre aux systèmes de soins de faire face à la situation, il a fallu prendre des mesures d'isolement, de confinement et de fermeture généralisée en vue de ralentir la propagation du virus. La crise sanitaire a ainsi de graves répercussions sur l'activité économique. En raison de la pandémie, l'économie mondiale devrait connaître une forte contraction de 3 % en 2020, soit un recul bien plus marqué que lors de la crise financière de 2008-09 (tableau 1.1). Selon un scénario de référence fondé sur l'hypothèse d'une atténuation de la pandémie au cours du deuxième semestre de 2020 et d'un relâchement progressif des efforts d'endiguement, l'économie mondiale devrait croître de 5,8 % en 2021, à mesure que l'activité économique se normalisera, grâce au soutien des pouvoirs publics.
Les prévisions de croissance mondiale sont extrêmement incertaines. Les conséquences économiques dépendent de facteurs dont l'interaction est difficile à prévoir, notamment l'évolution de la pandémie, l'intensité et l'efficacité des mesures d'endiguement, l'ampleur des perturbations de l'approvisionnement, les répercussions du resserrement spectaculaire des conditions financières mondiales, les mutations des schémas habituels de dépenses, les changements de comportement (la population évite les centres commerciaux et les transports publics, par exemple), les effets sur la confiance et la volatilité des cours des produits de base. De nombreux pays font face à une crise à plusieurs niveaux : choc sanitaire, perturbations économiques internes, chute de la demande extérieure, retournement des flux de capitaux et effondrement des cours des produits de base. Les risques d'une aggravation de la situation prédominent.
Il est indispensable de prendre des mesures efficaces pour éviter de pires résultats. Ces mesures visant à atténuer la contagion et à préserver des vies humaines auront un effet néfaste à court terme sur l'activité économique, mais doivent être considérées comme un investissement important dans la santé humaine et économique à long terme. La priorité immédiate est de limiter les répercussions de l'épidémie de COVID-19, notamment en augmentant les dépenses de santé visant à renforcer les capacités et les ressources du secteur sanitaire tout en prenant dans le même temps des dispositions qui freinent la contagion. La politique économique devra également amortir les effets du fléchissement de l'activité sur la population, les entreprises et le système financier, réduire les séquelles persistantes d'un inévitable ralentissement prononcé et faire en sorte que la reprise économique puisse s'amorcer rapidement une fois la pandémie passée.
Étant donné que les répercussions économiques sont le résultat de chocs particulièrement graves dans certains secteurs, les dirigeants devront prendre des mesures d’envergure et ciblées sur les plans budgétaire, monétaire et financier pour aider les ménages et les entreprises touchés. Ces mesures contribueront à maintenir les relations économiques pendant toute la période de paralysie et sont indispensables à une normalisation progressive de l'activité une fois que la pandémie se sera atténuée et que les mesures d'endiguement auront été levées. De nombreux pays avancés ont rapidement pris des mesures d'envergure sur le plan budgétaire (Allemagne, Australie, Espagne, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni notamment). Bon nombre de pays émergents et de pays en développement (Afrique du Sud, Chine et Indonésie, par exemple) ont également annoncé ou commencé à fournir une aide budgétaire importante aux secteurs et aux travailleurs les plus touchés. Il faudra intensifier ces mesures si la suspension de l'activité économique perdure ou si la reprise de l'activité après la levée des restrictions manque de vigueur. Les pays faisant face à des problèmes de financement dans leur lutte contre la pandémie et ses effets pourraient avoir besoin d'un soutien extérieur. Une relance budgétaire à grande échelle peut prévenir un recul plus marqué de la confiance, augmenter la demande globale et éviter un ralentissement encore plus marqué. Toutefois, ce n’est probablement qu’une fois l'épidémie atténuée et les populations libres de se déplacer qu’une relance de ce type produirait réellement ses effets.
Au cours de ces dernières semaines, les banques centrales ont notamment annoncé des mesures de relance par voie monétaire et mis en place des mécanismes de liquidité qui réduisent les tensions systémiques. Elles ont ainsi soutenu la confiance, contribué à atténuer l'amplification du choc et créé de meilleures conditions pour une reprise de l'économie. Les mesures synchronisées peuvent amplifier leur effet sur chaque pays et contribueront également à dégager dans les pays émergents et les pays en développement la marge de manœuvre nécessaire pour utiliser la politique monétaire afin de gérer la conjoncture intérieure. Les instances de contrôle devraient également encourager les banques à renégocier les conditions des prêts accordés aux ménages et aux entreprises en difficulté tout en continuant d'évaluer de manière transparente le risque de crédit.
Il est essentiel d’assurer une coopération étroite au niveau multilatéral pour surmonter les effets de la pandémie, notamment dans les pays ayant des difficultés financières qui font face à un double choc sanitaire et financier, et pour orienter l'aide vers les pays où les systèmes de soins sont faibles. Il est urgent que les pays unissent leurs efforts pour ralentir la propagation du virus et mettre au point un vaccin et des traitements permettant de lutter contre la maladie. Dans l’attente de ces solutions médicales, aucun pays n’est à l'abri de la pandémie (y compris d'une récidive une fois la première vague passée) tant que le virus continue de se propager ailleurs dans le monde.