Chose promise, chose due. J'ai retrouvé l'article de Jean-Charles Simon – ça vaut ce que ça vaut.
Citation:
La faillite de la gestion publique
Par Jean-Charles Simon
Publié le 10 avr. 2020
Dans cette crise considérable que nous traversons, beaucoup de discours évoquent déjà ce qu'il faudra changer « après ». Comme si cet événement était la preuve d'une faiblesse intrinsèque de nos modes de vie et du fonctionnement de nos sociétés. Pour beaucoup, en France tout au moins, c'est bien sûr la mondialisation libérale qui est en cause , celle qu'ils jugeaient déjà foncièrement mauvaise depuis longtemps et qui serait cette fois enfin punie pour son outrecuidance. Certains ont même cette joie mauvaise, cette «Schadenfreude» qui les fait se réjouir du drame, car il validerait enfin leur détestation de ce modèle.
C'est à trois titres un contresens complet sur cette crise. L'histoire des pandémies nous montre tout d'abord à quel point celles-ci se fichent bien d'économie et de politique et dévastent depuis toujours l'humanité à intervalles réguliers, sans qu'il n'y ait là ni coupable, ni Dieu, ni raison. Comme les précédentes, celle du Covid-19 touche tout le monde sans exception, et l'aurait fait de manière encore bien plus mortelle et violente à d'autres époques ou dans d'autres types d'organisation économique et sociale. Ensuite, la mondialisation libérale est au contraire un atout puissant de multiplication des coopérations de toute nature, scientifiques d'abord, mais aussi économiques pour maintenir un peu partout des lieux de repli de production, des alternatives et des échanges qui désenclavent au moins un peu les pays au pic de la crise, et technologiques, tant les nouveaux savoirs et modes d'organisation renforcent notre résilience collective. Enfin, car ce qu'il faudra « après », c'est justement encore plus d'allocation optimale des ressources, de chaînes d'approvisionnement multiples et diversifiées, d'échanges pour parer au mieux à ces coups du sort de la nature.
Il est en revanche une faillite béante dans des pays occidentaux qui pensaient parer à tout, et singulièrement en France, qui se voulait le modèle de l'Etat-providence, avec son record mondial de dépenses sociales publiques et de dépenses publiques tout court. C'est bien la sphère publique de ces Etats, méditerranéens notamment, qui apparaît comme un géant entravé, sclérosé par sa bureaucratie, ses lourdeurs, sa myopie et son impéritie. Pas de plan de crise, pas d'anticipation ni de préparation, pas de réactivité et d'agilité pour, comme dans certains pays asiatiques, tester très massivement tout de suite, isoler les cas positifs, repérer grâce à la technologie tous leurs contacts, enrayer ainsi la propagation de l'épidémie comme jamais auparavant cela n'avait été possible. Nos vieux pays, si souvent sûrs d'eux et donneurs de leçons, en sont réduits pour la plupart à l'expédient moyenâgeux du confinement généralisé, car leurs appareils publics sont des mammouths alanguis. Et aussi parce que leurs populations en sont trop détachées ou déçues pour faire preuve spontanément de civisme et d'efficacité collective.
Et au sein de la sphère publique, il faudra bien sûr s'interroger sur celle de la santé, où nos dépenses atteignent des sommets, mais où nous apparaissons dans le dénuement le plus extrême, ne serait-ce que pour disposer de simples masques et protections pour les soignants. Si nous en sommes là, c'est parce que nos dépenses considérables sont dédiées à offrir les soins pour tous, quasiment sans responsabilisation, avec un gâchis, une surconsommation et une déperdition de moyens qui nous éloignent des priorités. Parce que nous avons organisé la pénurie de médecins pendant trop longtemps, puis voulu mêler liberté de choix, liberté de prescription et remboursements garantis, tout ça dans un vaste ensemble de silos, de bureaucraties et de pesanteurs, où hôpitaux, cliniques et médecine de ville semblent bien en peine de s'articuler.
C'est l'Etat qui a décidé de faire « la guerre » à l'épidémie et de fermer le pays, parce que nos sociétés n'accepteraient plus aujourd'hui quelques dizaines ou centaines de milliers de morts - comme il y a encore quelques décennies avec les grippes de la fin des années 1950 puis 1960 . C'est donc l'Etat qui est pleinement comptable des conséquences de ce choix. C'est lui, surtout, qui devra se remettre en cause et comprendre pourquoi il n'a pas eu d'autre alternative.