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 Sujet du message: Re: Le nouveau Grand jeu : énergie, Asie centrale et rivalités
MessagePosté: Sam 2 Fév 2013 15:15 
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Dans le Grand jeu du Pipelineistan, nous n'avons pas encore abordé un thème ô combien crucial: la présence étrangère - sous forme de bases militaires - en Asie centrale. Dans cette zone qui va décider du futur du monde, les grandes puissances avancent en effet leurs pions. Mais le jeu est compliqué, du fait du nombre de joueurs (au moins quatre: Russie, Etats-Unis, Chine et Inde) et des règles (susceptibilité des dirigeants centre-asiatiques, retournements de veste, organisations qui viennent compliquer la donne...)

Le grand événement incontournable a été la Guerre en Afghanistan lancée en 2001 par les Etats-Unis après les attentats du 11 septembre. Certains théoriciens du complot ont même cru que les Américains avaient délibérément organisé ces attentats afin d'avoir un prétexte irréfutable de mettre un pied en Asie centrale. C'est grotesque, mais il est sûr que les conséquences de cet événement - c'est-à-dire l'installation des Américains au coeur du Heartland mondial - ont été du pain béni pour Washington. Toutefois, l'enlisement afghan a décillé quelques yeux. De même, les Etats-Unis se sont rendus compte du byzantinisme centre-asiatique et de la nécessité d'enlever ses gros sabots quand on y entre. Ainsi en 2005, après la répression des émeutes d'Andijan en Ouzbékistan, l'administration Bush avait critiqué les autorités ouzbèkes. La réponse ne s'était pas fait attendre: les Américains étaient invités à quitter leur base de Karshi Khanabad, qui leur servant d'appui pour leurs opérations en Afghanistan. En 2013, le président ouzbèke Islam Karimov est toujours là mais les Américains vont peut-être pouvoir revenir en Ouzbékistan (voir après). Depuis l'annonce du retrait de l'OTAN d'Afghanistan en 2014, les grandes manoeuvres ont en effet commencé...

Et on commence par cet article dont je mets les informations importantes en gras:

La Russie renforce sa présence militaire en Asie centrale

Richard Rousseau, Globalbrief, 28.10.2012

La Russie maintiendra jusqu’en 2042 ses bases militaires au Tadjikistan, conformément à l’accord signé le 5 octobre à Douchanbé, la capitale de ce pays d’Asie centrale, par les ministres de la défense des deux pays en présence de leurs présidents, Vladimir Poutine et Emomali Rahmon.

Déployée au Tadjikistan en 1989 après le retrait d’Afghanistan, où elle a combattu au sein de la 40ème armée, la 201ème division motorisée est passée sous juridiction russe en 1993 et fut refondée en base militaire où servent aujourd’hui 7 000 soldats dans trois garnisons – Douchanbé, Qurghonteppa et Kulob. L’accord Russie-Tadjikistan actuel date de 1999 et devait se terminer en 2014. Selon le nouvel accord, la durée du stationnement est de 30 ans et se prolongera au moins jusqu’en 2042.

Lors d’une visite au contingent militaire russe, Poutine a déclaré que la présence de la base est un «facteur important de stabilité» au Tadjikistan, une république qui sert d’avant-poste pour tous les membres de la Communauté des États indépendants (CEI) dans une région très complexe et importante pour ce qui est de leurs relations avec l’Afghanistan. Le président Poutine a aussi signalé que la base aérienne de Kant au Kirghizstan et les bases au Tadjikistan ont pour « mission de défendre les intérêts de la Russie » et ceux de l’Asie centrale. Les présidents russe et Tadjik ont convenu de la nécessité de « participer activement » aux événements en Afghanistan afin de lancer un processus de coopération régionale.

Moscou voit avec appréhension la présence des Etats-Unis et ses alliés en Asie centrale, une région qu’elle considère toujours comme faisant partie de sa sphère d’influence. Dans les cercles militaires russes, on ne croit pas que les États-Unis quitteront complètement la zone en 2014, année du départ prévu des forces de l’OTAN en Afghanistan. En prévision de ce probable scénario, la Russie renforce ses positions militaires dans la région. Au Kirghizistan, la base américaine de Manas pourrait rester et coexister avec la présence russe sur la base de Kant au-delà de 2014.

Pendant ce temps, l’Ouzbékistan, un pays dont la politique de sécurité a oscillé entre la Russie et les Etats-Unis, a annoncé le 2 juillet dernier sa sortie de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC, une alliance militaire dont fait partie la Russie et la plupart des ex-républiques soviétiques) et exprimé le vœu d’être un pays neutre et sans bases militaires étrangères sur son territoire.

La reconstitution de l’espace post-soviétique est l’un des principaux objectifs du troisième mandat de Poutine qui a débuté en mai 2012. Dans une autre zone sensible de l’«étranger proche», la Mer Noire, la Russie a déjà assuré sa présence militaire jusqu’au milieu du siècle présent. En effet, la Russie a signé en 2010 un accord avec l’Ukraine qui prévoit le maintien jusqu’en 2042 de la flotte russe dans la Mer Noire.

En outre, la Russie a signé en 2010 des accords avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, territoires auto-proclamés indépendants de la Géorgie, sur l’établissement de bases militaires pour période de 49 ans, renouvelable pour 15 années supplémentaires. Les éléments déclencheurs du conflit armé entre la Géorgie et la Russie d’août 2008 peuvent inclure un vaste éventail de facteurs, mais le plus déterminant fut sans doute le désir de la Géorgie d’adhérer à l’OTAN. Ce conflit a abouti à la reconnaissance par Moscou des deux territoires sécessionnistes. A la base militaire près de Douchanbé, Poutine a répété ce qu’il avait dit devant les députés de la Douma (parlement russe) en avril dernier, à savoir que l’«OTAN est un atavisme hérité de l’époque de la Guerre froide». Le président russe a affirmé une nouvelle fois que la Russie s’oppose fermement à l’élargissement de la sphère d’influence de l’OTAN et à son objectif de devenir une organisation structurée à l’échelle mondiale. Bidzina Ivanishvili, le chef du parti de la coalition en Géorgie, le Rêve géorgien, et vainqueur des élections parlementaires du 2 octobre ne Géorgie, a rapidement annoncé après sa victoire qu’il allait accélérer l’intégration du petit État du Caucase du Sud à l’OTAN, c’est-à-dire la même orientation politique que le président Mikhaïl Saakachvili a donnée à la Géorgie depuis la Révolution des roses en 2003.

La Russie a négocié dur pour maintenir son contingent militaire au Tadjikistan, et à en juger par l’information diffusée depuis début octobre, elle a atteint son objectif. Le ministère de la Défense russe a indiqué que le Tadjikistan n’a pas exigé le paiement d’un loyer pour le site de l’armée russe. Il semble aussi que les militaires russes bénéficieront de l’immunité diplomatique et qu’ils ne pourront être ni arrêtés, ni détenus par les autorités policières Tadjiks, comme c’est le cas avec les forces russes sur les territoires de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Quelques semaines avant la conclusion de l’accord, des sources militaires russes avaient déclaré que le Tadjikistan avait mis sur la table de négociation une offre jugée très onéreuse par la Russie. Pour rappel, le Tadjikistan avait ordonné en 2005 le départ des gardes-frontières russes qui protégeaient la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan. Douchanbé s’est jusqu’à aujourd’hui opposé au retour du contingent russe. La frontière afghane est considérée comme l’une des principales voies de pénétration de la drogue afghane dans l’espace post-soviétique. Poutine a aussi annoncé que 5 millions de dollars seront alloués par le Kremlin au Tadjikistan afin de lutter contre le trafic de drogues. Les tadjiks pourront avec les fonds faire l’achat d’équipements spéciaux ou encore former des agents d’infiltration.


Quelques remarques:
- la traditionnelle proximité entre Tadjiks et Russes continue. Persans mais sunnites, les Tadjiks sont également proches de l'Iran et, ce qui est plus curieux, de l'Inde. On voit donc que d'une certaine façon, l'axe Russie-Iran-Inde-Tadjikistan issu de la fin de la Guerre froide perdure.
- Si l'on regarde une carte de l'Asie, on voit que le Tadjikistan a une place absolument cruciale. Juché sur le Pamir, il domine le Xinjiang chinois, l'Afghanistan, le conflit indo-pakistanais au Cachemire, l'Ouzbékistan... Il est à la croisée des chemins.
- La Russie fait feu de tout bois et assure sa présence militaire à l'étranger dans divers points chauds du globe (Asie centrale mais aussi Caucase et Mer noire) pour au moins un demi-siècle.
- Toutefois, en Géorgie, le nouveau leadership au pouvoir, pourtant très anti-Saakachvili, semble avoir la même politique étrangère, à savoir un rapprochement avec l'OTAN.
- Enfin, on constate le retournement de veste continuel de l'Ouzbékistan, dont il est bien difficile de comprendre la position. L'un des premiers pays d'Asie centrale à accueillir des troupes américaines dans leur intervention en Afghanistan, il a expulsé ces mêmes Américains en 2005 après les événements d'Andijan (voir plus haut) et a semblé vouloir jouer la carte eurasiatique. Mais, en juillet 2012, nouveau retournement de situation. Tachkent annonce sa sortie de l’Organisation du traité de sécurité collective (l'alliance militaire dont fait partie la Russie et la plupart des ex-républiques soviétiques et qui stipule que ses Etats membres n'ont pas le droit d'accueillir de bases militaires d'un Etat non-membre). Ca ressemble à un clin d'oeil à Washington et il semble effectivement que Tachkent accepte à nouveau l'idée d'une base américaine sur son sol:
http://www.globalresearch.ca/u-s-military-base-in-uzbekistan-to-counter-russia-in-central-asia/32484 (en anglais)
Mais les signaux sont contradictoires: le Sénat a voté en août une loi interdisant toute base militaire étrangère sur le territoire ouzbek et il est difficile de voir clair dans cet enchaînement digne des intrigues byzantines. Bref, nul doute que des négociations en coulisses vont remplir les mois prochains. A suivre de très près...


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 Sujet du message: Re: Le nouveau Grand jeu : énergie, Asie centrale et rivalités
MessagePosté: Sam 2 Fév 2013 16:10 
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... Mais la Russie et les Etats-Unis ne sont pas seuls dans la course.
Ayni (aussi appelée Farkhor) ne vous dit peut-être rien; c'est pourtant la seule base militaire indienne à l'étranger. Elle se trouve à une quinzaine de kilomètres de Douchanbé, au Tadjikistan, et est opérationnelle depuis une dizaine d'années, avec toutefois des problèmes (voir après).
Pour l'Inde, de plus en plus intéressée à intensifier ses relations avec l’Asie centrale pour des raisons énergétiques et sécuritaires, ce fut un très joli coup réalisé à la barbe des Chinois, des Russes et des Américains. L’Inde souhaite en effet avoir accès au pétrole et au gaz du Kazakhstan et être impliquée dans les grands projets tels que le pipeline Iran-Afghanistan-Pakistan-Inde ou le Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde (on a parlé de ces deux pipelines dans un message précédant) et cette base est un premier pas dans cette direction.
Si l'on prend en compte les relations extrêmement bonnes entre l'Inde et le gouvernement Karzaï en Afghanistan - soutien diplomatique réciproque, coopération en matière de sécurité et de terrorisme, accusations régulières contre le Pakistan - on voit une sorte d'"encerclement" subtil du Pakistan : le territoire indien à l'est, la base au Tadjikistan au nord, l'Afghanistan à l'ouest.
Cette base tadjik se met aussi en travers de l'axe Pékin-Islamabad et c'est également de ce point de vue qu'il convient de regarder les choses. La Chine reste le grand rival stratégique de l'Inde en Asie et l'ouverture de cette base d'Ayni a vraiment inquiété Pékin qui a alors commencé, au cours des années 2000, à entamer des discussions avec plusieurs pays centre-asiatiques (Kirghizistan, Ouzbékistan) sur l’établissement d’une base militaire, mais sans résultats.

Pour l'Inde, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes si des difficultés n'étaient pas apparues... du côté de la Russie ! Et oui, c'est étonnant. Durant la Guerre froide, l'alliance entre Moscou et New Delhi s'opposait à l'axe Chine maoïste - Pakistan - Etats-Unis, et les relations entre la Russie et l'Inde sont par la suite restées excellentes. En fait, c'est surtout la volonté indienne d’y baser des chasseurs-bombardiers MIG qui trouble Moscou: une base pour l'armée de terre, un centre de ravitaillement etc. ok (et d'ailleurs, au début des années 2000, soldats russes et indiens partageaient cette base avant que la Russie ne la laisse à la disposition de l'Inde). Mais Moscou ne veut pas entendre parler de base aérienne avec des chasseurs dans sa chasse gardée. La Russie se retrouve un peu en porte-à-faux: l'Inde reste un allié incontournable mais cette relation est un peu entachée par ce problème récurrent. Les discussions continuent entre Moscou et New Delhi:
http://indrus.in/articles/2012/10/26/indias_ayni_military_base_in_tajikistan_is_russia-locked_18661.html (en anglais)


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 Sujet du message: Re: Le nouveau Grand jeu : énergie, Asie centrale et rivalités
MessagePosté: Sam 2 Fév 2013 17:24 
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Enfin, la Chine est bien évidemment intéressée, même si elle a essuyé quelques refus (voir messages précédents) et qu'elle semble parfois légèrement réticente à déployer des troupes à l'étranger (faut-il y voir la tradition auto-centrée chinoise qui fait que le pays du milieu a toujours eu du mal à se projeter au loin?). La stratégie chinoise, plutôt qu'une présence directe en Asie centrale, consiste plutôt en la fameuse stratégie du Collier de perles, à savoir la constitution par Pékin de ports/bases navales chinois dans l'Océan indien destinées à ponctuer et sécuriser les grandes lignes maritimes d’approvisionnement en hydrocarbures de la Chine:

Image

Un coup d'oeil sur la carte montre que ce réseau encercle de fait l'Inde et l'on voit que l'on n'a pas fini d'assister aux manoeuvres des deux géants asiatiques pour s'entourer ou se contourner l'un l'autre.

Dans notre Grand jeu, une des perles du collier brille plus que les autres: Gwadar, port en eaux profondes au Pakistan. Même si ce port est (pour l'instant?) uniquement commercial, l’emplacement est hautement stratégique, au carrefour des échanges mondiaux d’énergie (face au détroit d’Ormuz, la porte du Golfe persique d'où provient la majeure partie de ses importations pétrolières, mais aussi près de la frontière iranienne et peut-être un jour au débouché des pipelines de l'Asie centrale). Mais aussi dans la rétive province du Baloutchistan, théâtre d'une insurrection de basse intensité.

L'élargissement de la fameuse (et magnifique !) Karakorum Highways permettrait d'écourter sensiblement les distances, et l'on parle même (mais à quel prix !) d'un pipeline qui relierait Gwadar au Xinjiang chinois.

Image


A noter que le port vient d'être concédé à la Chine:

Le port pakistanais de Gwadar concédé à la Chine 30/01/2013

Le Pakistan a approuvé le transfert à la Chine de la gestion du port de Gwadar, offrant un accès stratégique à la mer d'Arabie à ce pays allié de longue date à Islamabad. La Chine avait déjà financé près de 75 % des 250 millions de dollars (186 millions d'euros) qui ont permis de lancer la construction du port, situé dans une zone reculée de l'instable province du Baloutchistan. Géré jusque-là par la compagnie singapourienne PSA International, il a besoin de travaux supplémentaires pour être totalement opérationnel. C'est la société publique chinoise Chinese Overseas Port Holdings Limited qui exploitera le port, mais aucune précision n'a filtré sur la date du transfert.


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 Sujet du message: Re: Le nouveau Grand jeu : énergie, Asie centrale et rivalités
MessagePosté: Sam 2 Fév 2013 20:27 
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Enki a écrit:

Quelques remarques:
- la traditionnelle proximité entre Tadjiks et Russes continue. Persans mais sunnites, les Tadjiks sont également proches de l'Iran et, ce qui est plus curieux, de l'Inde. On voit donc que d'une certaine façon, l'axe Russie-Iran-Inde-Tadjikistan issu de la fin de la Guerre froide perdure.
- Si l'on regarde une carte de l'Asie, on voit que le Tadjikistan a une place absolument cruciale. Juché sur le Pamir, il domine le Xinjiang chinois, l'Afghanistan, le conflit indo-pakistanais au Cachemire, l'Ouzbékistan... Il est à la croisée des chemins.
- La Russie fait feu de tout bois et assure sa présence militaire à l'étranger dans divers points chauds du globe (Asie centrale mais aussi Caucase et Mer noire) pour au moins un demi-siècle.


La proximité avec l'Inde n'est pas si surprenante. Le gouvernement tadjik est extrêmement méfiant à l'égard du Pakistan. Il contrôle notamment l'allée et venue des jeunes garçons tadjiks souhaitant se rendre au Pakistan pour "étudier".

De plus, il y a des efforts qui sont faits pour empêcher les étudiants tadjiks d'assister à des "séminaires" organisés par des "organisations étrangères"... Le but est naturellement d'éviter la propagation du discours religieux extrémiste.

http://www.rferl.org/content/students-b ... 42554.html

A Douchanbé, l'Inde est vue comme un partenaire essentiel dans la lutte contre le terrorisme.


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 Sujet du message: Re: Le nouveau Grand jeu : énergie, Asie centrale et rivalités
MessagePosté: Sam 2 Fév 2013 21:36 
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Bonjour Sim,
oui, bien sûr, Inde et Tadjikistan coopèrent en matière de terrorisme et ont la même méfiance vis-à-vis du Pakistan. Je me suis mal exprimé, je voulais dire qu'historiquement, cette alliance était un peu plus curieuse. Quoique, ce n'est même pas sûr: si je ne me trompe pas, les rapports entre la Perse et le monde indien n'ont jamais été mauvais finalement...


Je voudrais revenir un peu sur la situation du port de Gwadar et apporter quelques précisions, parce que la situation était un peu compliquée. Si la Chine a bien financé la construction de ce port et a commencé à l'utiliser de manière commerciale, certaines difficultés faisaient un peu traîner les choses en longueur.
Première difficulté, l'insécurité au Baloutchistan. Cette province, où se trouve Gwadar, connaît une insurrection qui vise à obtenir son indépendance ou du moins une très forte autonomie vis-à-vis d'Islamabad. Plusieurs Chinois ont déjà été tués (bombe, mitraillage de bus...) dans cette province rétive et Pékin était assez réticent à s'engager plus.
Autre difficulté : les Pakistanais n'ont pas respecté leur part du marché, notamment la construction de routes et d'une voie ferrée pour relier Gwadar au reste du Pakistan.
Dernière difficulté: pour des raisons obscures (peut-être pour plaire aux Etats-Unis qui venaient de débarquer en Afghanistan), les autorités pakistanaises avaient confié la gestion du port à une société singapourienne (PSA International), ce qui maintenait un certain flou: un port chinois au Pakistan géré par une compagnie de Singapour...
Pour toutes ces raisons, l'activité dans et autour de Gwadar était un peu languissante. Le rêve d'Islamabad de faire de ce port un nouveau Dubaï n'a pas vu le jour. La volonté de la marine pakistanaise de faire de Gwadar une base navale conjointe pakistano-chinoise ne s'est pas réalisé, puisque la société gérante était à visée commerciale. Quant aux Chinois, ils ne s'étaient peut-être pas totalement investis dans l'affaire.

Maintenant que la société singapourienne est hors-jeu et que le Pakistan a confié à la Chine l'entière responsabilité de Gwadar, les choses devraient peut-être se décanter.
http://www.eurasiareview.com/01022013-pakistan-inducts-china-into-balochistan-to-counter-india-analysis/ (en anglais)

Apparemment, Pékin a pesé le pour et le contre pendant deux ans avant de se décider, surtout inquiet du mouvement indépendantiste baloutche, que certains pensent être financé par l'Inde (où l'on retrouve le jeu des grandes puissances...)
Une situation calme au Baloutchistan et la Chine se trouve en position stratégique très favorable, juste à côté du détroit le plus important du monde (Ormuz), à deux pas de l'Iran, à la tête d'un hub énergétique qui pourrait être relié par pipeline directement à la Chine en passant (pas une mince affaire tout de même) par l'Himalaya-Pamir.
L'Inde, elle, a tout intérêt à ce que la situation au Baloutchistan demeure confuse et peu sûre. Il faut prendre avec précaution les informations selon lesquelles elle financerait les indépendantistes baloutches, mais il est sûr que c'est tout bénef pour New Delhi qui ferait ainsi d'une pierre deux coups: empêcher la Chine de s'implanter dans cette zone stratégique tout en déstabilisant le Pakistan déjà englué dans les zones tribales.
Bref, une zone-clé de notre Grand jeu, à ne pas perdre de vue...


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 Sujet du message: Re: Le nouveau Grand jeu : énergie, Asie centrale et rivalités
MessagePosté: Mar 5 Mar 2013 18:58 
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Namaste !

A peine le temps de partir un petit mois en vacances que les choses bougent très vite.

On s'était arrêté sur la reprise du port de Gwadar par les Chinois et l'actualité nous oblige à reprendre là-dessus. Tout d'abord, ce mouvement chinois inquiète réellement l'Inde. Comme le dit un analyste:
“The very fact that Chinese naval ships might soon dock at Gwadar, from where they are hours away from disrupting shipping lanes to India, is a policy-maker’s strategic nightmare. The fear that the presence of Chinese ships might make Islamabad more adventurous is also a concern.”
C'est-à-dire en bon français:
"Le fait que des bateaux chinois puissent bientôt se trouver à Gwadar, d'où ils ne seront qu'à quelques heures des lignes maritimes d'approvisionnement énergétiques de l'Inde [pétrole du Golfe, ndlr] et susceptible de les menacer, est un cauchemar stratégique. Autre inquiétude: le fait que la présence de bateaux chinois rende le Pakistan plus sûr de lui et prompt à une politique aventureuse [vis-à-vis de l'Inde, ndlr]"

Effectivement, cette présence chinoise dans l'un des lieux les plus stratégiques du monde a de quoi inquiéter l'Inde, déjà entourée par le fameux "collier de perles" :

Image


Comme une nouvelle ne vient jamais seule, on apprend que l'Iran vient de signer un accord avec le Pakistan pour construire à Gwadar une raffinerie de pétrole d'une capacité de 400 000 barils par jour.

Et dans le même temps, le projet de gazoduc Iran-Pakistan, si souvent enterré et si souvent remis sur la table, semble être définitivement lancé, malgré les pressions de Washington :
http://stratrisks.com/geostrat/10929
Ce pipeline, long de 1880 km coûtera 1,5 milliards de dollars.

Ca bouge, ça bouillonne... Iran-Pakistan-Chine d'un côté, Inde de l'autre. Qu'en pensent Russes et Américains?


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 Sujet du message: Re: Le nouveau Grand jeu : énergie, Asie centrale et rivalités
MessagePosté: Mar 5 Mar 2013 21:55 
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Enki,

un grand merci pour votre site "stratrisks". Je l'ai incorporé dans mes favorites.
Et bienvenu lors de votre retour.

Cordialement et avec estime,

Paul.


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 Sujet du message: Re: Le nouveau Grand jeu : énergie, Asie centrale et rivalités
MessagePosté: Mer 6 Mar 2013 10:46 
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Bonjour mon cher Paul, c'est également un plaisir de vous relire :P

Un dernier petit article sur Gwadar pour bien comprendre l'importance de ce qui est en train de se passer. S'il n'est pas sûr que la Chine y établisse une base navale (voir par exemple les réserves de la deuxième partie de l'article), c'est quand même l'endroit le plus stratégique du monde, au carrefour de trois aires fondamentales pour le contrôle du Heartland : l'Asie centrale, le Moyen-Orient et le sous-continent indien.

Le port pakistanais de Gwadar, une perle dans la stratégie maritime de Pékin

Libération, 17 février 2013

L'acquisition du port pakistanais de Gwadar est une nouvelle perle au collier de la Chine qui cherche à sécuriser son approvisionnement pétrolier au Moyen-Orient en contournant son grand rival indien.

Les autorités pakistanaises ont approuvé le 30 janvier dernier le transfert du port de Gwadar, sur la mer d'Arabie dans la province instable du Baloutchistan (sud-ouest), théâtre ce week-end de nouvelles violences interconfessionnelles, du groupe singapourien PSA International à la société d'Etat China Overseas Port Holding.

Gwadar est situé tout près du détroit d'Ormuz, où transite le tiers du trafic maritime pétrolier mondial. La mainmise sur ce port par une puissance économique qui doit importer son pétrole et son gaz naturel principalement du Moyen-Orient et de l'Afrique constitue une décision hautement stratégique, estiment nombre d'analystes.

Le développement d'un corridor entre ce port et l'ouest de la Chine, frontalière du Pakistan, pourrait réduire de milliers de kilomètres le trajet pour transporter une énergie vitale pour l'économie chinoise.

La Chine avait déjà payé les trois-quarts des 250 millions de dollars nécessaires pour la construction de ce port, mais c'est Singapour qui avait obtenu en 2007 le contrat de location des installations.

Un pacte entre Pékin et Islamabad doit encore être finalisé, mais Gwadar serait déjà le port le plus à l'ouest dans la stratégie chinoise du "collier du perles" qui vise à louer ou acheter une série de ports dans la région afin d'encercler l'Inde rivale.

Au Népal, Pékin construit actuellement un "port sec", un parking de conteneurs à l'intérieur des terres rattaché à un port maritime. La Chine est aussi l'un des quatre pays intéressés - avec l'Inde, les Etats-Unis et le Japon - à construire un port en eau profonde de cinq milliards de dollars dans l'île de Sonadia, située dans le Golfe du Bengale, au Bengladesh, selon les autorités locales.

Le Sri Lanka a ouvert l'an dernier un nouveau port en eau profonde, à proximité d'une route maritime est-ouest où transitent 300 navires par jour, financé par des capitaux chinois. La Chine n'a pas de part de ce projet, mais elle détient 85% de la compagnie Colombo international Container Terminals, qui construit un nouveau dépôt de conteneurs dans la capitale sri-lankaise.

Du commerce à une base navale?

L'intérêt croissant de la Chine pour des ports dans la région témoigne de son ambition économique, mais peut-être aussi militaire. Le ministre indien de la Défense, A.K. Antony, s'est dit récemment "préoccupé" par la décision du Pakistan de transférer la gestion de Gwadar à la Chine.

Pour Andrew Small, expert des relations entre le Pakistan et la Chine, Pékin a tout avantage à coopérer pour régler des problèmes clés dans la région comme dans les exercices contre la piraterie maritime. De tous les projets de ports, celui de Gwadar est toutefois le plus susceptible à terme d'accueillir des installations militaires chinoises.

"Le Pakistan est probablement le seul pays où le niveau de confiance entre les deux armées est suffisamment élevé" pour imaginer une une base navale chinoise, dit-il à l'AFP.

Des experts pakistanais estiment toutefois que le gouvernement d'Islamabad pourrait donner un accès privilégié à la marine chinoise aux ports militaires déjà existants de Karachi ou Qasim. "La Chine peut toujours utiliser ces ports, elle n'a pas besoin de construire une autre base navale pour le moment", estime Hamayoun Khan, professeur à l'Université de la Défense nationale à Islamabad.

Selon Fazal-ur-Rahman, ancien directeur de recherche sur la Chine à l'ISSI, un think tank proche du pouvoir pakistanais, Gwadar est avant tout un projet à long terme de coopération afin de doper le commerce entre la Chine et le Pakistan. Les craintes de l'Inde de voir une Chine belliqueuse disposer d'un arsenal militaire dans l'Océan indien ne sont que de la "propagande", pense-t-il.



Rien que sur le plan énergétique, on voit le déplacement de centre de gravité que cela implique:

Image

La construction d'un pipeline reliant Gwadar à la Chine permettrait d'éviter un trajet maritime long et risqué (piraterie dans les détroits indonésiens...), même si la construction d'un tel tube serait extrêmement compliquée (traverser tout le Pakistan puis les cols du Pamir).


Par ailleurs, l'Iran a annoncé qu'il allait lui aussi construire une base navale, à Pasabandar, près de la frontière avec le Pakistan et donc à seulement une trentaine de kilomètres de Gwadar. Ainsi, le projet de gazoduc Iran-Pakistan serait doublé de la construction, à l'endroit le plus stratégique du monde, d'une espèce de double base navale, sino-pakistanaise à Gwadar et iranienne à Pasabandar.
http://www.thenews.com.pk/article-88543-Iran-to-establish-naval-base-near-Gwadar

Les grandes manoeuvres qui ont lieu en ce moment dans cette zone sont d'une importance extrême...


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 Sujet du message: Re: Le nouveau Grand jeu : énergie, Asie centrale et rivalités
MessagePosté: Jeu 7 Mar 2013 17:44 
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Votre post fort intéressant me fait faire une association d'idées avec des souvenirs anciens. Quand les Soviétiques se sont intéressés à l'Afghanistan dans les années 70, il y avait toute une vision stratégique avec un deuxième volet. Une fois le pays conquis , ils auraient soutenus l'irrédentisme pachtou du Belouchistan afin de réussir à avoir un port sur le golfe d'Oman. Un port aussi bien situé confortait le souci séculaire de la géopolitique russe puis soviétique : l'accès aux mers chaudes.

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" Jeune homme, la France se meurt, ne troublez pas son agonie "
(Renan à Déroulède)


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