Faget,
Dans notre grande série
La guerre du Pipelineistan, en comparaison de laquelle
Dallas ferait pâle figure même si le pétrole coule à flot dans les deux, je voudrais l'épisode
L'empire contre-attaque.
Après avoir globalement échoué à isoler la Russie de l'Europe via les "révolutions colorées" et à entrer de plein pied en Asie centrale malgré la guerre afghane, les Etats-Unis n'en gardent pas moins une certaine influence (certains parlent de capacité de nuisance) dans le Grand jeu eurasiatique. Ainsi ont-ils réussi à faire définitivement échouer semble-t-il un vieux projet de pipeline entre l'Iran, le Pakistan et l'Inde.
Ce gazoduc, aussi appelé "Peace Pipeline" ou IPI (pour Iran-Pakistan-Inde), devait fournir du gaz dont l'Iran regorge au Pakistan qui en a bien besoin et à l'Inde, dont les besoins énergétiques s'accroissent de manière exponentielle au fur et à mesure de son développement économique.
L'idée tombait sous le sens: trois voisins, dont l'un très riche en énergie et les deux autres forts demandeurs en énergie, un tracé pas très compliqué. De plus, ce pipeline aurait également permis de resserrer les liens entre ces trois pays qui ont toujours eu des relations compliquées. Bref, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais c'était sans compter sur Washington et sa volonté de diviser pour mieux régner, et dans ce cas précis, de continuer à isoler l'Iran.
Ainsi, après des années de harcèlement, les Américains ont réussi à détacher l'Inde du projet en 2009 avec, à la clé, un accord sur le nucléaire civil. Et c'est maintenant le Pakistan que Washington a "convaincu":
http://stratrisks.com/geostrat/9899En lieu et place du Peace Pipeline, les Etats-Unis soutiennent le fameux TAPI, Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde:
Inutile de dire que sur le plan technique et politique, ce projet est très compliqué, irréaliste disent certains :
- Le pipeline part de la dictature turkmène - où le président Gurbanguly Berdimuhamedow, qui gagne les élections avec des scores soviétiques, a mis en place un véritable culte de la personnalité et conçoit des projets pharaoniques sans commune mesure avec les ressources du pays. Ses nombreux retournements de veste dans le passé (cf Nabucco) en font un leader pas très sûr.
- doit traverser l'Afghanistan et notamment les zones pachtounes ! C'est surtout ça le gros problème: guérilla qui pourrait déboucher sur une guerre civile après le départ de l'OTAN, millions de mines laissées par la Guerre de 1980-1989... Faire traverser l'Afghanistan à un pipeline est une idée considérée comme saugrenue par un certain nombre de spécialistes.
- avant de gagner le Pakistan en passant par Quetta, ville du mollah Omar et d'un paquet de Talibans réfugiés au Pakistan.
- puis l'Inde.
(A noter que c'est la suite du fameux projet d'Unocal à la fin des années 90 qui devait passer par l'Afghanistan des Talibans avec lesquels des négociations avaient été engagées.)
Que ce projet TAPI un peu fou, beaucoup plus compliqué à mettre en oeuvre que le Peace Pipeline, ait été plus ou moins accepté par les pays concernés contre leur propre intérêt montre que Washington garde une influence de premier ordre dans le Grand jeu, grâce notamment au retournement de l'Inde que les Américains ont réussi à opérer ces dernières années.
Mais il semble que dans ce jeu de poker menteur planétaire, on ne puisse pas s'asseoir tranquillement plus de cinq minutes sans être témoin d'un rebondissement. Une fois l'accord connu l'année dernière, la Russie s'est invitée dans la partie par le biais de Gazprom, sur la demande de l'Afghanistan et du Turkménistan après manoeuvres poutiniennes. Pour Washington, il y a de quoi devenir fou: à peine l'Iran isolé après des années d'efforts, l'ours russe frappe à la porte. Le Grand jeu continue...