La presse française n'en a guère parlé: bien qu'il n'y ait pas eu de délégation américaine à la conférence Durban II, Barack Obama a décidé de faire rentrer les Etats-Unis dans le Human Rights Council des Nations Unies, responsable de l'organisation de cette conférence, revenant ainsi sur la position abstentionniste adoptée précédemment par l'administration Bush. Est-ce une bonne décision? Pour mieux en juger, il est nécessaire de revenir sur ce qu'est l'UNHRC et sur Durban II: . basé à Genève, cet organisme a été créé en 2006, faisant suite à une Commission consacrée aux mêmes problèmes dont l'action avait été critiquée, en particulier pour s'être choisi pour président un représentant de la Lybie. Lors de sa création, instituée par une résolution de l'ONU du 15 mars 2006, le but du UNHRC a été défini comme étant d'attirer l'attention des Nations Unies sur des situations d'abus des droits de l'homme existant dans le monde entier. Les US ont alors refusé de s'y joindre (ainsi qu'Israël), estimant qu'il n'y avait pas assez de provisions dans le texte de la résolution pour empêcher des Etats qui violaient gravement les Droits de l'homme de devenir membres du Conseil. Et en effet, c'est bien là que le bât blesse: parmi les 47 élus qui constituent ce Conseil figurent des représentants de pays connus pour leurs graves et systématiques violations des Droits de l'homme tels que la Chine, la Russie, le Pakistan, l'Arabie Saoudite, l'Algérie, Cuba, le Cameroun, le Sri Lanka, l'Azerbaidjan, quelques émirats, etc. Les pays occidentaux y sont en minorité, occupant 7 des 47 sièges, tandis que les pays africains, moyen-orientaux et asiatiques en occupent 26, détenant ainsi la majorité dans cette organisation ; bien entendu, si les US y font leur entrée, cela n'augmentera pas le nombre de sièges occupés par ces pays occidentaux, le représentant américain se bornant à occuper un siège déjà occupé par l'un d'eux. Les prochaines élections auront lieu le 15 mai et les représentants sont élus pour 3 ans. Cette nouvelle entité a repris tous les modes de fonctionnement criticables de la Commission qu'elle a remplacée et à ce titre a fait l'objet d'une surveillance constante de la part d'ONG de défense des Droits de l'homme comme "Reporters sans frontières" et "Human Rights Watch". Il y a deux raisons principales à cette attitude critique des ONG-- et de nombreux Etats-- envers le UNHRC:
- il s'est montré presque exclusivement préoccupé par la dénonciation de violations des Droits de l'homme par Israël et a choisi d'ignorer tous les nombreux autres pays où des violations des Droits de l'homme aussi graves, voire plus graves, ont lieu. Ainsi, depuis sa création en 2006, 26 des résolutions sur un total de 32 passées par cet organisme, ont visé Israël; c'est aussi le seul pays qui ait fait l'objet de condamnations formelles, alors que le Soudan par exemple n'en a jamais fait l'objet. Kofi Anan lui-même (l'ex Secrétaire général des NU), a évoqué "HRC's "disproportionate focus on Israël"; Ban Ki Moon, plus euphémistique, a constaté que le Conseil "singles out one specific regional item". Des situations dramatiques de violations des Droits de l'homme comme celles au Darfour, Myanmar, Tibet, Corée du Nord, Iran ne sont pas examinées, ou si elles sont mises à l'ordre du jour, en sont retirées avant discussion, comme cela s'est produit en mars 2007 où un examen des situations en Iran et Uzbekistan a été promptement retiré de l'ordre du jour grâce au soutien massif des pays africains--Gabon, Ghana, Mali, Maurice, Nigeria, Sénégal, Afrique du Sud, Zambie--et à l'abstention de la Corée du Sud, de l'Inde, du Mexique et du Japon. La même chose est arrivée de nouveau la même année au sujet de Cuba et du Belarus. Durant la plus récente session du Conseil fin mars 2009, il a été décidé de ne pas examiner la situation au Darfour et de congédier l'équipe d'experts nommés à cet effet; par contre; la même session a passé pas moins de 5 résolutions condamnant Israël et a approuvé le texte présenté par le Pakistan et soutenu par l'OIC (Organisation de la conférence islamique) condamnant la "diffamation des religions" comme une atteinte aux Droits de l'homme. Lorsqu'il y a eu effectivement examen de la situation d'Etats violant les Droits de l'homme comme la Chine, celle-ci a été exonérée après une procédure pro forma.
- la deuxième raison est que ce Conseil vise à valider culturellement et à instituer légalement la notion que la "diffamation" des religions constitue une atteinte aux Droits de l'homme; des résolutions à cet effet sont constamment passées, à l'instigation de certains pays musulmans et de l'OIC et déjà, en 1999, la Commission avait adopté une résolution proposée par le Pakistan stipulant que les religions (spécifiquement l'Islam) devaient être protégées de la diffamation. En 2006, une nouvelle résolution dans ce sens a été introduite par le Yemen "pour combattre la diffamation des religions, promouvoir leur respect et prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre ces objectifs"; les considérations justifiant de telles mesures étant la nécessité de "combattre le développement d'une culture et d'une rhétorique anti-religieuse". La dernière en date de ces résolutions est celle du 27 mars mentionnée plus haut, et ce n'est que de justesse qu'elle a été déclarée "non binding" (non contraignante, traduction approximative). En particulier, le blasphème, aux yeux de ceux qui soutiennent ces résolutions, est défini comme "un abus du droit de libre expression constituant un acte de discrimination raciale ou religieuse". Il semblerait donc que le but de ceux qui proposent ces résolutions répétées soit de valider la notion que toute mise en cause, critique ou négation des dogmes d'une religion relève de la discrimination raciale et que, toute critique des religions menant selon eux à la haine et à la violence, il est indispensable en conséquence que la liberté d'expression dans ce domaine fasse l'objet de restrictions. Un professeur d'histoire actif dans diverses organisations humanitaires nommé David Littman (Association of World Education, World Union for Progressive Judaism) est intervenu à différentes reprises devant la Commission et le UNHRC pour critiquer cette priorité donnée à la défense des religions et à la lutte contre l'Islamophobie et pour dénoncer des atteintes aux droits de l'homme telles que la lapidation des femmes adultères et les mariages forcés de très jeunes filles dans certains pays; à ses interventions sur ces derniers points, le président a répondu que "seuls les théologiens étaient habilités à discuter de questions religieuses" devant cette assemblée. Littman a aussi souligné que le Conseil se préoccupait exclusivement d'islamophobie mais ne s'intéressait pas aux manifestations de christianophobie et de judéophobie. Le Conseil est aussi le lieu d'expression de vieilles rancunes contre les pays "piliers du colonialisme et de l'esclavage", et bien entendu de demandes de réparation de tous ordres. Il est regrettable pour les nombreux citoyens et groupes victimes de violations des Droits de l'homme dans le monde entier que ce Conseil ne s'intéresse pas à leurs problèmes parce qu'il a été détourné de ses buts initiaux pour être transformé en machine de guerre contre Israël; de plus, beaucoup voient dans la priorité qi'il accorde à la défense des religions une menace frontale contre le droit de libre expression et contre la liberté religieuse. De fait, la cause progressiste de l'antiracisme a été instrumentalisée au bénéfice d'Etats autoritaires qui l'utilisent pour avancer leurs intérêts géopolitiques et géoculturels. En particulier, des Etats l'utilisent sur leur propre territoire pour bloquer toute remise en cause de leur interprétation de l'Islam, y compris par des musulmans plus libéraux, et justifier par des prétextes religieux leur répression contre tous ceux qui s'opposent à leur pouvoir: en effet, les résolutions antiblasphèmes du Conseil, même si pour le moment non contraignantes, définissent néanmoins une sorte de standard de loi internationale qui donne légitimité et autorité morale (celle de l'ONU) à ces régimes pour persécuter leurs dissidents politiques et les groupes religieux minoritaires. Hors de chez eux, un des objectifs de ces mêmes régimes est d'exiger que les dispositions de la sharia soient appliquée aux musulmans dans tous les pays même si elles sont contraires aux lois locales. Durban II vient de se terminer, salué par une partie de la presse de gauche comme ayant été un relatif succès parce que la résolution qui bannissait la diffamation des religions n'a finalement pas été adoptée comme d'application contraignante pour tous les pays membres. A été aussi salué comme une victoire le fait que le langage de la résolution envers Israël était relativement modéré et exempt d'antisémitisme explicite. En quelque sorte, les medias occidentaux s'estiment satisfaits parce que les atteintes aux Droits de l'homme par le Conseil censé les défendre sont moins graves que ce qu'on aurait pu craindre! Dans un tel contexte, la décision entriste d'Obama paraît prématurée: certes il est bon de ne pas s'enfermer dans ses certitudes culturelles, religieuses et idéologiques et de discuter avec ses adversaires mais pas avec les mains liées derrière le dos. Une refonte complète de ce Conseil devrait être la condition sine qua non de cette entrée américaine, la situation minoritaire des pays souscrivant aux Droits de l'homme paralysant tout impact de leur part sur l'orientation et les décisions de ce Conseil. L''UNHRC, piraté par une alliance de régimes autoritaires dont la survie politique dépend de leur capacité à tuer dans l'oeuf tout progrès des Droits de l'homme chez eux et dans le monde, apparaît aussi crédible, a écrit un journaliste, qu'un meeting des Alcooliques anonymes qui se tiendrait dans un bar.
|