Mounjik Looping, le peuple juif du temps des textes n’était pas prosélyte. Il nourrissait des intérêts politiques et était conquérant, ce qui est différent. Les textes de l’Ancien Testament sont tout emprunts d’hénothéisme, et non pas encore du monothéisme intégral visant à imposer la doctrine des hébreux et il ne s’adresse qu’à un peuple particulier fondé non pas sur sa religion mais sur une supposée communauté ethnique (l’alliance d’un peuple avec un dieu, lequel dieu interdit à ses membres de se marier avec des personnes extérieures au peuple juif). Les ambitions justifiant la violence ne sont pas morales et religieuses. Elles sont politiques et matérielles et assumées comme telles puisque le fondement est tribal. Le Dieu du peuple juif lui dit, dans l’ancien testament, que s’il respecte sa loi, ses ambitions matérielles seront satisfaites et que, s’il échoue ou s’il subit des malheurs, ce sera parce qu’il n’aura pas observé Sa loi. Il se contrefiche que les autres croient différemment. Les autres sont juste les autres et le souci de ce Dieu, c’est que le peuple qu’il s’est choisi observe Sa loi et que ce peuple prévale parce que c’est le sien.
C’est une énorme différence sur le plan des principes. On peut transiger avec des ambitions politiques et matérielles. Il est beaucoup plus difficile de transiger quand le texte sacré porte des commandements sur la question des relations avec les autres non pas en tant que peuples ou individus mais en tant que bons croyants ou mauvais croyants et qu’il commande de leur faire violence en tant que tels.
On peut aussi transiger plus facilement quand on conçoit le texte sacré comme inspiré par Dieu au prophète qui l’a écrit que quand on le conçoit comme étant la parole directe de Dieu et comme étant incréé.
Le Dieu des hébreux est assez terre à terre, ce qui est logique vu que sa « naissance » est plus archaïque que celui des chrétiens qui intervient dans le bouillonnement culturel des communautés juives du monde hellénistique et des relations avec des maîtres romains et héllénisés qui ne sont pas juifs, et que celui des musulmans qui intervient aussi dans le contexte culturel très élaboré du monde héllénistique-romain-persan.
Quant aux conversions, si on laisse de côté la conversion de Ruth, ancêtre du roi David, conversion mythique bien sûr parce que cela aurait quand même fait tâche de reconnaître la réalité, à savoir que le roi David avait certains ancêtres qui, outre le fait qu’ils n’étaient pas issus d’une des tribus juives, ne révéraient pas le Dieu des juifs (pour ne pas dire les dieux car l’un des noms même du Dieu de l’ancien testament trahit les origines polythéisme du Judaïsme : Elohim étant le pluriel de Eloha), l’ouverture du Judaïsme à des convertis intervient beaucoup beaucoup plus tard que le synécisme du peuple hébreu et même que l’exode de Babylone. C’est au temps des pharisiens que certains juifs se mettent à accepter des convertis.
La violence est le propre de l’homme. Certains groupes humains qui ont eu leur époque violente s’adoucissent. D’autres ne l’ont pas encore terminée. Mais tous les textes religieux ne comportent pas exactement le même message et ne prônent pas les mêmes méthodes.
L’Islam est dans une large mesure une branche du Judaïsme archaïque, plus que du christianisme. Le problème intrinsèque dont il est porteur et qu’heureusement la majorité des musulmans ont dépassé en faisant la part des choses, c’est qu’il a appliqué l’universalisme chrétien aux principes du Judaïsme archaïque. Cela donne une ambition politique universelle fondée non pas sur une entité ethno-politique mais sur une religion prosélyte à coût d’entrée très faible. Et cela se traduit non pas par une interprétation mais par une écriture même qui n’est pas circonstanciée.
Les colons américains fondamentalistes protestants ont au contraire fait une lecture doublement décirconstanciée de passages de l’Ancien Testament. Ils ont fait mine de se prendre pour le nouveau peuple élu, et en voulant voir des Amalécites chez telle ou telle tribu indienne parce que cela les arrangeait bien et que cela servait leurs objectifs/lubies/intérêts politiques et leurs intérêts matériels. Super ! Dieu me dit que j’ai le droit de prendre les terres de mes voisins parce que je suis le nouvel Israël.
Voilà. Comme le dit Aigle, la violence n’a pas été que d’un seul côté. Mais pour l’Islam, étouffer les pulsions violentes est plus ardu parce que le texte est violent, que l’auteur du texte a été violent et que sa geste pillarde, guerrière, conquérante et violente n’est pas occultée mais au contraire magnifiée. Et donc les violents peuvent toujours se prévaloir de la geste du prophète, non seulement ses propos mais aussi ses actes pour affirmer qu’ils sont légitimes à poursuivre les mêmes objectifs que ceux qu’a poursuivis le prophète il y a 14 siècles et à appliquer les mêmes méthodes.
Evidemment, tout cela n’a pas grand-chose de religieux dans l’acception moderne de ce qu’est une religion. Il est de notre point de vue politico-culturel. Mais le problème est que pour les êtres humains des sociétés archaïques, il n’y avait pas de différence entre politique, religion, société et identité et qu’aujourd’hui les archaïques violents et ambitionnant de dicter leur loi au monde se trouvent au sein de l’Islam et peuvent légitimement se revendiquer de la lettre du Coran et de la vision traditionnelle de l’Islam des Califes omeyyades ou abbassides.
J’ai déjà eu l’occasion de relever hier le problème fondamental mis en exergue par l’usage des notions mêmes de « mécréant « ou d’« infidèle ». Une partie même des musulmans pacifiques viennent s’exprimer benoitement devant les micros des chaînes de télé et de radio pour condamner sincèrement les crimes commis par les djihadistes tout en qualifiant les victimes dans les mêmes termes que ceux employés par les assassins, termes qui justifient paradoxalement les violences. Le brave type interviewé à Saint-Etienne du Rouvray expliquait que ce n’étaient pas bien de tuer les « mécréants » et qu’il y avait dans le Coran une sourate sur les « mécréants » disant ceci et cela. Bref, ils récusent la violence mais pensent quand même l’Autre non-musulman dans des termes dévalorisants, qualificatifs appelant selon la lettre du texte les traitements appliqués à la lettre par les djihadistes ou par les polices religieuses dans certains Etats islamiques. C’est comme si en 1945, on avait interviewé des gens sur l’extermination des juifs et si les personnes interrogées avaient dit la main sur le cœur : « c’est horrible d’avoir tué ainsi ces pauvres youpins. »
Cela illustre que le problème ne se limite donc pas au djihadisme. C’est un problème culturel et d’éducation. Une certaine vision de l’Islam doit être bannie et réprimée, tout comme une certaine vision violente de la manière de traiter les désaccords politiques a dû être bannie, tout comme une certaine vision de la nation et de ses rapports avec les autres a dû être bannie. C’est une question de paix civile. Une société comme la nôtre ne peut pas supporter en son sein un tel écart de valeurs surtout quand cet écart se traduit par des violences de la part du groupe divergent par rapport au groupe référent. Et ce qu'une partie des musulmans doit comprendre, c'est qu'il ne suffit pas de renoncer à la violence. Il faut aussi renoncer à l'objectif de la conquête fusse par des voies pacifiques.
La violence physique est complètement accessoire. Elle est gérable. Politiquement, ce ne sont pas les attentats djihadistes qui ont fait s'envoler le vote en faveur du FN, du FPO, du PVV, de l'AfD, de UKIP. C'est le choc culturel lié à l'arrivée/présence massive de personnes relevant d'une autre aire culturelle-civilisationnelle, et qui plus est une aire nourrissant des sentiments en partie hostiles, qui suscite une réaction identitaire.
C'est cette violence symbolique qui est la plus dangereuse, la plus explosive. Les gens ne veulent pas être convertis. Les gens ne veulent pas qu'on les force à changer et à devenir ce qu'ils ne sont pas, à se comporter comme ils ne se comportent pas ou à ne pas se comporter comme ils se comportent. Les gens veulent que chez eux reste chez eux et ne soit pas transformé en un ailleurs relevant d'une autre aire civilisationnelle et culturelle.
C'est au regard de ce choc culturel que tous les signes et comportements visant à témoigner d'un attachement à une identité étrangère concevant elle-même l'Autre comme un mécréant, infidèle, impur, doivent être bannis.
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