Caesar Scipio a écrit:
Les sociétés chrétiennes ont été violentes contre la lettre et l'esprit de leur texte. Les sociétés musulmanes restent violentes parce que la geste du prophète, des premiers califes et des passages clés du cœur Coran fixent un modèle violent et intolérant.
La religion musulmane et les sociétés musulmanes n'ont évidemment aucun monopole de violence mais elles ont un rapport particulier à la violence en ce sens qu'elles ont été instituées par la violence, une violence initiée et assumée par leur prophète fondateur et ses successeurs, et que leurs textes assument de manière générale la violence pour faire prévaloir le message religieux, social et politique auquel elles adhérent.
Je pense que ce rapport particulier à la violence que vous évoquez et que vous expliquez par les fondements de la religion est certainement un facteur, mais qu’il ne faut pas le surestimer.
Tout d’abord, comme certains l’ont rappelé, la violence n’est pas l’apanage du Coran ; par exemple la Bible juive (Nombres et Deutéronome) raconte la conquête d’un territoire et l’extermination de peuples ennemis et met dans la bouche de Dieu des ordres que l’on qualifierait aujourd’hui de génocidaires. Le passage classique du livre d’Isaïe qui est lu lors de la messe de Noël fait d’ailleurs référence à la victoire sur Madian (dont les femmes et les enfants ont été exterminés sur ordre de Dieu). Reconnaissons que cet exemple présente de fortes similitudes avec les passages les plus violents du Coran. (Je conteste votre distinction entre le caractère général des préceptes du Coran et le caractère particulier des injonctions de la Bible car les textes sacrés comportent par définition une valeur d’exemplarité).
Mais malgré cela je suis prêt à admettre avec vous qu’il y a sans doute un rapport particulier des textes fondateurs de l’Islam à la violence, lié (selon moi) surtout à la qualité de chef de guerre de son fondateur, dont les paroles sont reprises comme préceptes religieux. En particulier bien sûr si on les compare aux textes fondateurs du Christianisme.
La question suivante est : quelle influence a le contenu de ces principes fondateurs sur la violence perpétrée au nom de Dieu dans la société réelle ?
Si j’essaie de résumer vos propos sans les trahir, vous dites qu’il est plus difficile pour une société musulmane que pour une société chrétienne de refuser la violence contre les mécréants, parce que les textes sacrés musulmans s’accommodent voire célèbrent la violence religieuse, alors que celle-ci est contraire aux principes fondateurs du christianisme. Conceptuellement, c’est imparable, donc cela doit avoir une part de vérité.
Mais en réalité, on observe que malgré un évangile d’amour et de paix, les sociétés chrétiennes ont tué au nom de Dieu pendant plusieurs siècles, mettons au moins 6 siècles si on compte de la première croisade au début du XVIIIème siècle. Cette violence a pris de multiples formes. On parle beaucoup des croisades et de l’inquisition, mais ce qui me semble beaucoup plus parlant, ce sont les guerres de religion, qui ont ravagé l’Europe (en particulier France, Grande-Bretagne, Allemagne) avec une intensité variable pendant 150 ans. Voilà donc deux parties de la société qui partagent le même évangile de paix et d’amour et qui, au moment même où l’une de ces parties prétend revenir aux textes fondateurs, plongent dans une violence inimaginable. Je n’ignore pas les aspects politiques qui expliquent par ailleurs en partie cette violence, il n’en reste pas moins que l’on s’est entretué au nom de Dieu et que les prêcheurs des deux bords ont manifestement su trouver, malgré tout, dans leurs textes sacrés les bons arguments pour justifier des appels au meurtre de masse et au régicide.
Voilà pourquoi je pense que le facteur important, ce n’est pas le livre, mais le prêcheur et son auditoire. Les textes sacrés sont assez vastes pour que l’on y trouve tout ce que l’on y cherche. Ensuite, c’est affaire d’interprétation, d’efficacité du prêche, et de réceptivité de l’auditoire. (Et c’est là où l’efficacité des prêcheurs islamistes pose de multiples questions).
Ce qui a mis fin dans les sociétés occidentales à la violence religieuse (pour la remplacer par la violence politique), ce n’est pas le retour aux textes fondateurs. Selon moi, c’est la naissance et l’extension d’un courant de pensée philosophique, puis politique, que j’appellerais des « Lumières » (au sens large), et qui a finalement affronté, puis vaincu l’emprise de la religion sur la société. En France, cela va en gros de Descartes à la loi de 1905 en passant par Voltaire. C’est donc une évolution (ou un combat) qui a duré plus de 250 ans et dont les prémices ont été posées au moment même où l’Europe s’étripait au nom de Dieu.
Une évolution similaire est-elle possible dans les sociétés musulmanes ? Il me semble qu’on observe au contraire plutôt un retour du religieux dans certaines de ces sociétés (par exemple en Turquie). Le problème des textes fondateurs que vous mentionnez est un handicap mais ce n'est pas selon moi le principal. J’en vois deux autres qui me semblent plus importants :
- L’absence de clergé dans la religion sunnite, qui fait que même si les « autorités » morales prennent une position, elles n’ont guère plus de légitimité que n’importe quel théologien autoproclamé qui prêche la poursuite du Jihad ;
- Le fait que justement le courant des « Lumières » a déjà existé et évolué dans les sociétés occidentales ; et qu’il a débouché sur deux idéologies particulièrement répulsives pour les musulmans religieux : d’une part, le colonialisme, et d’autre part, des courants sociétaux pouvant être perçus comme un « ultra-libéralisme social » (féminisme, mariage pour tous, pratique du blasphème…). Les obscurantistes peuvent assez efficacement dénoncer toute tendance laïque ou libérale en se servant de ces deux épouvantails.