Narduccio a écrit:
IL n'y a pas de doutes sur la constitutionnalité, le Conseil d’État ayant déjà tranché pour d'autres cas.
...Il y a de nombreuses associations, et des personnes, qui contestent souvent certaines dispositions du droit local. La plupart du temps, le Conseil d’État leur donne tort.
La réponse à une question de droit pénal ne peut être extrapolée de décisions prises par le Conseil d'Etat en matière de droit administratif. On constate d'ailleurs qu'en matière civile, pour les rares cas où un même texte peut trouver application à la fois dans les deux cadres du droit privé et du droit administratif, les interprétations qu'en font la cour de cassation et le Conseil d'Etat peuvent diverger.
Narduccio a écrit:
Or, les traités internationaux prennent le pas sur la constitution du pays.
Non, en aucun cas. La constitution est toujours la loi suprême. Les traités internationaux ne prennent le pas que sur les lois ordinaires. Les lois d'autorisation de ratifier les traités internationaux sont d'ailleurs des lois ordinaires, au contraire des lois constitutionnelles adoptées selon une procédure beaucoup plus lourde.
Narduccio a écrit:
De plus, cette question du droit en Alsace-Moselle découle du Traité de Paix signé entre la France et l'Allemagne après la guerre de 14-18.
C'est, en fait, inexact. Il serait absurde que le vainqueur eût fait des concessions sur sa souveraineté en s'engageant à maintenir indéfiniment des dispositions de la législation pénale du vaincu sur les territoires repris à ce dernier aux termes du traité de paix.
Selon les termes du traité de Versailles (article 51), la France reprend son entière souveraineté sur l'Alsace-Lorraine à compter de l'armistice du 11 novembre 1918. Le traité ne fixe que des mesures transitoires (article 78) concernant les poursuites pour infractions commises entre le 11 novembre 1918 et la date d'entrée en vigueur du traité : ces poursuites seront traitées selon la loi allemande. Le maintien des articles 166 et 167 du code pénal allemand résulte de l'article 3 la loi du 17 octobre 1919 et d'un décret d'application du 25 novembre 1919 selon lesquels le droit local doit être considéré comme maintenu s'il n'a pas été explicitement abrogé, le droit général ne s'y appliquant qu'après avoir été expressément introduit.
Article 3 de la loi du 17 octobre 1919 :
Les territoires d'Alsace et de Lorraine continuent jusqu'à ce qu'il ait été procédé à l'introduction des lois françaises à être régis par les dispositions législatives et règlementaires qui y sont en vigueur.Article premier du décret du 25 novembre 1919 :
Sont provisoirement maintenues, tant que les lois françaises sur le même objet ne sont pas mises en vigueur, les dispositions pénales qui concernent dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin :
1° L’instruction publique,
2° Les associations,
3° Le régime des cultes,.
La dernière condamnation pour entrave à l'exercice d'un culte sur le fondement de la loi allemande remonte à 1998. Elle a fait l'objet d'un pourvoi en cassation qui a été rejeté par l'arrêt du 30 novembre 1999, pourvoi n° 98-84916.
On pense souvent que, lorsque la cour de cassation s'est prononcée, la solution adoptée l'est définitivement et que l'arrêt rendu a l'effet d'une loi. C'est faux. Une décision judiciaire quelle qu'elle soit ne s'impose que pour le cas jugé. Sur des questions controversées, il peut toujours y avoir revirement de jurisprudence. Or la question du "délit de blasphème" et celle d'entrave à l'exercice d'un culte institués par les articles 166 et 167 du code pénal allemand en vigueur en 1871 est controversée et les moyens de cassation présentés dans l'affaire définitivement tranchée le 30 novembre 1999 restent sérieux et pourraient très bien être retenus si la cour de cassation devait être saisie pour de nouveaux faits. Les cas sont en fait très rares et, lorsqu'il y a matière à condamner, on le fait presque toujours sur le fondement du code pénal général. La Ligue Judiciaire de Défense des Musulmans a bien tenté en 2013 un dépôt de plainte visant à une condamnation pour blasphème mais celui-ci a été déclaré irrecevable.
Narduccio a écrit:
Les lois sont bien rédigées en allemand (écrit en gothique pour être précis). Il existe une traduction qui est reconnue comme officielle et s'il y a des doutes, on se réfère à l'original (en allemand donc) et un conseil de juristes représentatifs étudient la question en regard du Droit français, mais aussi européen.
C'est en gros ce qu'a répondu la cour de cassation dans la dernière affaire jugée en 1999, reconnaissant toutefois que ne sont disponibles ni traduction ni publication officielles. Mais les législations, tant nationales qu'européennes, ainsi que les juridictions, tant nationales qu'européennes, sont de plus en plus pointilleuses en matière de forme et de procédure, surtout en matière pénale, et il n'est pas impossible que ce même moyen de cassation à nouveau présenté puisse être cette fois mieux accueilli qu'en 1999. Ce pourrait être un appel du pied du juge au législateur pour qu'il se décide à un toilettage législatif de plus en plus souhaité.
Il y a aussi le motif que le décret du 25 novembre 1919 porte en dehors du domaine réglementaire défini à l'article 34 de la constitution.
On pourrait peut-être aussi trouver d'autres motifs d'inconstitutionnalité dans ces deux articles qui commencent sérieusement à dater. Le conseil constitutionnel n'ayant pas été saisi sur la constitutionnalité des deux articles du code pénal allemand, il pourrait l'être au moyen d'une QPC.
Narduccio a écrit:
Mais, la loi n'est plus appliquée et elle est donc considérée comme obsolète. Il me semble qu'il y a des conditions pour qu'une loi dont on a constatée l'obsolescence soit retirée du droit local. Mais, tant que les conditions ne seront pas réunies, elle reste parfaitement constitutionnelle.
Que le dernier cas d'application remonte à 1996 ne permet pas de dire que cette loi ne soit plus appliquée. De plus, le droit français n'étant pas coutumier, on répugne à conclure à la caducité d'une loi, que ce soit du droit local ou non. On préfère la considérer comme abrogée par des dispositions prises ultérieurement.
http://www.20minutes.fr/strasbourg/1515899-20150113-alsace-moselle-cultes-demandent-abrogation-delit-blaspheme :
Des représentants des confessions catholiques, protestantes, israëlite et musulmane ont demandé le 6 janvier 2015 devant l'Observatoire de la laïcité l'abrogation des dispositions relatives à un "délit de blasphème". L'archevêque de Strasbourg a déclaré qu'il avait «refusé d'invoquer le délit de blasphème» en portant plainte, en novembre dernier, contre une militante Femen qui avait «profané» l'autel de la cathédrale de Strasbourg le 24 novembre 2014 à l'occasion de la venue du pape devant le parlement européen.