Aigle a écrit:
Homélie de l'évêque de Frejus et Toulon
"En même temps qu’on doit dénoncer le fanatisme religieux, notre société doit s’interroger sur l’enchaînement des violences qui la traversent. Car il est des violences verbales, morales, intellectuelles, artistiques… qui en appellent d’autres. Quand on représente Mahomet sous la forme d’une crotte enturbannée, Benoît XVI en train de sodomiser des enfants, la Vierge Marie les jambes écartées de façon suggestive ; quand on s’adonne à la provocation, à l’obscénité sur ce qui touche la conscience la plus intime, celle de la foi, du sacré, de la symbolique religieuse… Ce nouvel iconoclasme engendre inévitablement par ricochet, et bien sûr, sans jamais les justifier, la revanche, la vengeance, d’autres violences encore plus insoutenables dans un engrenage quasi mécanique, et dont l’actualité nous offre l’horrible spectacle. La sacralisation de la dérision et de l’injure ne peut produire en retour que de la haine.
Dans la prise de conscience nationale que nous devons faire tous ensemble, rien ne peut, rien ne doit justifier la violence d’où qu’elle vienne, quelle qu’elle soit ; que ce soit la violence de ceux qui, par la force, veulent imposer leur foi, où la violence de ceux qui, par le mépris, injurient celle des autres. Mais il faut extirper les causes de ces violences si l’on veut pour l’avenir s’épargner le chaos.
A un journaliste qui m’interrogeait avant-hier « Monseigneur, êtes-vous Charlie ? », J’ai répondu : « laissez-moi d’abord être moi-même, c’est-à-dire chrétien ». Le chrétien n’a pas d’autre point de référence ultime, de ralliement possible, d’identification que Jésus lui-même".
L'évêque de Fréjus est dans son rôle de ministre du culte de s'élever contre une propagande athée et de goût douteux. Cependant, il ne demande pas l'interdiction de Charlie Hebdo ni l'insertion dans le code pénal d'un délit de blasphème. Le recteur de la grande mosquée de Paris a lui aussi réagi en portant plainte. Il n'a pas été suivi par le tribunal mais a déclaré se soumettre à la décision des juges.
Il faut bien distinguer ce qui ressort de la morale de ce qui ressort du droit. Pour les ministres des cultes, certains dessins de Charlie Hebdo attentent à une morale fondée sur une foi religieuse que ne partagent pas les auteurs des dessins. Dans un état de droit ni les uns ni les autres ne peuvent prétendre imposer ses concepts à l'autre et c'est à l'autorité judiciaire de l'Etat qu'il appartient de trancher en appliquant la loi de l'Etat. Il n'est demandé ni aux chrétiens ni aux musulmans d'apprécier ce que publie Charlie Hebdo. Il leur est seulement demandé de laisser faire ce qu'autorise la loi, même si c'est désagréable.
Les caricatures de Charlie Hebdo vues comme une "sacralisation de la dérision et de l’injure" ne peuvent-elles "produire en retour que de la haine" ? Je ne pense pas. Il ne semble pas que, parmi les catholiques, il y ait eu des réactions haineuses - l'hostilité n'est pas la haine- si ce n'est, peut-être, à Saint-Nicolas du Chardonnet. Car, depuis que les querelles de la séparation de l'Eglise et de l'Etat se sont éteintes, les catholiques ont fini par se convaincre que, sans la liberté de blasphémer, il n'est pas de dévotion sincère. Il n'en est pas encore de même pour de nombreux de musulmans. Mais ce n'est pas une raison pour imposer à l'Etat un ordre dicté par des religieux.
Ces caricatures, que les évènements tragiques amènent à célébrer ne font cependant pas consensus. Des personnalités comme Daniel Cohn-Bendit ou Guy Bedos, qui ne sont pas des punaises de sacristie, n'apprécient pas du tout le style de Charlie Hebdo pour lequel, en revanche, Eric Zemmour a de la sympathie parce que cet organe de presse lui a apporté dans sa jeunesse le plaisir de la transgression. Rien n'est simple.