Ce n'est pas qu'une affaire de personnalités politiques. C'est aussi une affaire d'opinion publique. Macron est, à peine 5 mois après le début de son mandat, le moins populaire et même le plus impopulaire des présidents de la 5ème république. À ce stade, tous ses prédécesseurs avaient tous une majorité ou près d'une majorité d'opinions favorables.
Il a certes été un artiste encore plus doué que Giscard version 1974 dans la conquête du pouvoir, mais passé le temps de l'élection est venu le temps du retour aux réalités politiques structurelles qu'avait pourtant bien montré le 1er tour : une France coupée en quatre.
Ensuite, si on fait une lecture qualitative du vote, au 1er tour, la moitié des 24% d'exprimés qui ont voté Macron l'ont fait or calcul ou par rejet des autres candidats.
Et au second tour, la majorité de ceux qui ont voté Macron l'ont fait par rejet de Le Pen. Comme Chirac au 2ème tour en 2002.
Le fait que Macron ne se laisse pas pour autant paralyser au motif que son mandat est un mandat de rejet de Le Pen et veuille agir dans un certain nombre de domaines, notamment le redressement de l'attractivité et de la compétitivité de l'économie française est tout à son honneur.
Néanmoins la réalité politique de son élection est une très faible adhésion, alors qu'au moins, auparavant, lorsqu'on avait une bonne vieille opposition droite-gauche, l'élu bénéficiant d'une plus forte adhésion de la courte majorité de d'électeurs qui votaient grosso modo pour le camp correspondant à leur sensibilité.
Hollande avait déjà autodétruit son mandat et sa légitimité en faisant principalement campagne en 2012 sur le rejet de Sarkozy. La moitié des électeurs de Hollande avaient voté pour lui par rejet de Sarkozy, avec pour résultat que, une fois élu président, 80% des gens lui tombaient dessus quoi qu'il fasse ou quoi qu'il ne fasse pas.
Macron c'est différent, à la fois plus subtil, plus courageux et encore plus fragile.
Il a vu un système vermoulu. Il a vu une large partie de l'électorat de gauche prête à voter Juppé pour avoir son mot à dire dans l'élection d'un candidat le moins à droite possible puisqu'il lui semblait alors que la victoire de la présidentielle ne pouvait pas échapper à la droite et que les sondeurs annonçaient (fin 2015 et en 2016), une Le Pen à 30% au 1er tour.
Et il a profité de la déception du centre-droit, frustré du naufrage de Juppé à la primaire de droite alors que les sondeurs leur avaient promis la victoire pendant 1 an et rebuté par le positionnement droitier de Fillon, pour détacher le centre-droit de la droite.
Macron a réussi l'union des centres, du centre-gauche au centre-droit. Ses 24% du 1er tour, c'est grosso modo 14% de voix de centre-gauche et de gauche (des anciens électeurs de Hollande), et 10% de centre-droit.
Bref, LREM c'est la reconstitution du vieux parti radical et radical-socialiste d'avant l'éclatement entre branche de gauche et branche valoisienne ralliée à Giscard.
Ce qu'a constitué ou reconstitué Macron, c'est la gauche libérale : l'alliance du libéralisme économique et du libéralisme sociétal, alors que Fillon incarnait la droite certes libérale en économie mais conservatrice au plan sociétal. Macron c'est le petit-fils politique de Delors et Rocard. Je pourrais aussi ajouter de Chaban-Delmas qui venait politiquement du Parti radical (d'où la facilité du lien avec Delors) quand bien même la figure tutélaire de de Gaulle l'a-t-elle fait rentrer dans le mouvement gaulliste. Et on pourrait en dire autant du premier ministre Edouard Philippe qui était un rocardien jusqu'à ce que, à la fin des années 1990, quand Rocard a renoncé aux premiers rôles, Philippe rallie Juppé dont il mesurait la très grande proximité politique avec Rocard et Delors.
Très belle performance de Macron : grosso modo, privés de Juppé, les électeurs des centres se sont ralliés à celui qui lui ressemblait le plus, avec en outre l'attrait du charisme, de la jeunesse, de l'optimisme.
Pour reprendre une terminologie de banquier qui lui est familière, Macron a su se créer un énorme effet levier : avec une mise de départ étroite et fragile, il a raflé la mise. Chapeau l'artiste : il y a en lui du très grand manœuvrier politique à la Giscard et à la Mitterrand. Non pas un manœuvrier d'appareil ou d'assemblée mais un manœuvrier d'opinion, adapté aux caractéristiques de la 5ème république. Ça rehausse le niveau par rapport à tous ceux qui ont occupé le devant de la scène depuis 1995.
Et en même temps, comme qui dirait, l'union des centres principalement axée sur la gauche libérale, c'est entre 18% et 16% des électeurs inscrits, confèrent les résultats de Macron au 1er tour de la présidentielle et de LREM au 1er tour des législatives.
Macron peut donner des satisfactions à une partie de l'électorat de droite sur des mesures économiques libérales mais cela lui aliène la gauche. Il peut donner des satisfactions à une partie de l'électorat de gauche sur des mesures sociétales libérales mais cela lui aliène la droite.
Et je pense que Macron, comme ses adversaires vaincus de la présidentielle, a commis et répète une grave erreur politique en misant à ce point sur les questions économiques : un président de la république n'est pas un ministre de l'économie et de l'emploi. Or, quand bien même les résultats seraient au rendez-vous (ce qui est tout sauf gagné), on sait depuis Jospin en 2002 qu'on ne suscite pas l'adhésion, l'attachement et l'enthousiasme sur un taux de croissance ni sur une baisse importante du taux de chômage.
Bref, Macron bénéficie, comme ses prédécesseurs, de la force exceptionnelle des institutions de la 5ème république. Il est fort institutionnellement et il n'est pas un ectoplasme, à la différence de son prédécesseur immédiat. Mais les bases politiques de son élection n'en sont pas moins étroites et fragiles. Ce qui ne signifie pas qu'il n'a aucune chance d'élargir et de consolider.
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