Rejeter en bloc la filière nucléaire serait une absurdité, selon Bruno Alomar. Il faut au contraire soutenir notre savoir-faire reconnu dans un contexte où l'on doit conduire une transition énergétique sans détériorer notre compétitivité.
Citation:
L'avenir de la France passe par l'atome
Par Bruno Alomar
Publié le 25 avr. 2016
Restructuration d'Areva, délais dans le contrat de la centrale britannique d'Hinkley Point, démission du directeur financier d'EDF, tous ces éléments sont inlassablement repris par les tenants de la sortie du nucléaire pour mettre en avant une prétendue mauvaise passe de la filière française. Ceux réclamant à cor et à cri la fin d'un des secteurs d'excellence de notre pays se rendent-ils compte de l'impasse idéologique dans laquelle ils s'enferrent depuis des années ? Probablement pas.
Certes, les péripéties autour de l'évolution d'Areva semblent obérer la compétitivité de notre filière sur la scène internationale, avec des retards en France et en Finlande. Toutefois, il apparaît que l'on n'a jamais eu autant besoin du nucléaire, tant au niveau national qu'au niveau mondial. La COP21, plus aboutie que les conférences l'ayant précédée mais limitée dans ses objectifs, a au moins eu le mérite d'aboutir à un accord où les participants se sont engagés, sur la base de la volonté nationale, à modifier leur secteur énergétique. Avec un objectif extrêmement ambitieux de limitation à 1,5 °C de la hausse des températures à la surface du globe, seules des unités de production électrique de forte puissance avec des émissions de gaz à effet de serre très limitées pourront apporter une réelle solution.
Les énergies renouvelables, dont l'apport est indéniable, ne peuvent s'envisager sur un plan massif, en substitution des énergies fossiles, que dans des pays ayant des systèmes économiques et sociaux très matures. En effet, le déploiement à grande échelle des renouvelables n'est viable que combiné à des solutions dites d'« efficacité énergétique » comme les réseaux électriques intelligents, les « smart grids », ou le stockage d'énergie. Si la France, l'Allemagne ou le Japon peuvent envisager de telles solutions - à moyen terme vu la maturité de certaines technologies - cela est bien plus complexe pour des pays en pleine évolution de leur mode de vie. La Chine, l'Inde, la Turquie ou l'Egypte sont ainsi loin d'être en mesure d'envisager un mix électrique 100 % renouvelable.
Il est nécessaire d'affirmer une fois encore que la solution n'est pas dans telle ou telle énergie, mais bien dans l'équilibrage des mix et l'adaptation à chaque situation, sans être aveuglé par une idéologie quelconque. C'était là le message essentiel porté par Loyola de Palacio, commissaire européen à l'Energie, en 2000, dans le livre vert « Vers une stratégie européenne de sécurité d'approvisionnement énergétique ». Ainsi, le nucléaire qui bénéficie de coûts économiques prévisibles et d'une empreinte carbone très limitée (environ 200 fois moindre que le charbon sur l'ensemble du cycle de vie de la centrale), est l'une des solutions qui doit être privilégiée selon les situations. Pour des pays recherchant des unités de production de forte puissance, capables de produire en continu pour alimenter des populations de plus en plus nombreuses et des industries en développement, le nucléaire s'impose comme une des énergies les plus intéressantes. Les gouvernements de nombreux pays ne s'y sont pas trompés. La Chine, l'Inde, la Turquie, la Jordanie, l'Egypte, le Vietnam, etc. : tous ont lancé ou relancé des programmes nucléaires avec à la clef la construction de centrales de dernière génération.
Dans ce contexte, comment positionner la filière française ? Les déboires d'Areva depuis quelques années, avec les retards de développement de l'EPR, ont limité la part de la France dans cette nouvelle vague de construction de centrales. La réorganisation de la filière, demandée depuis des années par les professionnels du secteur, est enfin en train d'avoir lieu, sous la houlette d'EDF. Celle-ci permettrait à la France de se positionner de manière crédible et unifiée face à des adversaires redoutables. Américains, Canadiens, Japonais, Russes, Sud-Coréens et bientôt Chinois, les concurrents sont nombreux et puissants.
Toutefois, notre pays dispose d'atouts importants. L'excellence du savoir-faire français dans de nombreux domaines, à commencer par celui de la sûreté, n'est plus à démontrer. Contrairement aux Etats-Unis, au Japon ou à la Russie, la France n'a jamais connu d'incident majeur, pour une bonne partie grâce à son système de contrôle étatique du réseau de centrales nucléaires. La France est un pays leader dans les développements technologiques concernant les centrales de quatrième génération avec le projet Astrid du CEA, mais aussi avec le projet Iter de fusion nucléaire, installé sur notre territoire. Enfin, la France est le pays disposant des meilleures technologies de retraitement des déchets, les grands compétiteurs étrangers venant d'ailleurs rechercher le partenariat des entreprises françaises en ce domaine.
La France dispose donc d'atouts importants dans la compétition internationale aussi bien que dans la performance environnementale de son mix énergétique. Abandonner le nucléaire, serait gâcher une filière d'excellence construite sur des décennies et casser la compétitivité nationale; pas sûr que ce soit le meilleur choix au vu de la situation économique.