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Citation:
- Voulons-nous vraiment voir nos frontières arriver à une espace géopolitique aussi instable que la Syrie, l'Irak, l'Iran et le Caucase? On a déjà eu du mal avec les Balkans, alors le Proche-Orient...
- La Turquie est un Etat dont il faut encourager les tendances démocratiques, mais il ne faut pas oublier le poids de l'armée, le poids grandissant de la religion, l'oppression des minorités, la négation d'un génocide et l'occupation militaire d'un Etat membre! Cela fait beaucoup!
Je seconde les arguments d'Alfred:
en effet, l'entrée de la Turquie dans l'UE n'en ferait pas pour autant un pays européen mais par contre, en lui donnant les frontières citées ci-dessus, elle ferait de l'UE un ''pays" du Moyen-orient; vu l'instabilité politique régnant dans cette partie du monde, cette éventualité devrait inquiéter toute personne dotée d'un minimum de sens commun.
Le deuxième paragraphe est irréfutable, l'occupation militaire d'un autre Etat membre de l'UE est inacceptable, et la Turquie refuse en outre d'appliquer les dispositions du traité d'Ankara (d'union douanière) adopté par l'UE, et en conséquence refuse aux navires chypriotes l'accès à ses ports. D'accord aussi sur le fait que l'entrée de la Turquie signalerait la fin de toute avancée, même minime, vers une intégration politique de l'Europe.
Et j'ajoute à son argumentaire les précisions et points suivants:
- les violations des Droits de l'homme sont multiples, et les améliorations invoquées par les partisans de l'entrée de la Turquie dans ce domaine sont parfois plus "sur le papier" que réelles; en fait, le négationnisme du génocide arménien continue d'être l'idéologie d'Etat, la propagande antisémite et l'incitation à la haine religieuse sont très présentes dans une certaine presse, le sentiment nationaliste panturc reste fort, les meutres de chrétiens ou d'arméniens (affaire Hrant Dink) ne sont pas rares, la liberté de la presse est marginale, les discriminations, voire la ségrégation envers les non-musulmans se perpétuent: un juif, un Alévi (minorité shite turque), un chrétien ne peuvent pas exercer un emploi dans la justice ni dans la diplomatie, et mêmes certains postes d'enseignement leur sont fermés, la torture continue d'être utilisée par la police, etc etc.
Un des arguments invoqués par les pro-turcs est celui de la fameuse laicité turque instaurée par la force par Kemal Ataturk. Il faut savoir qu'elle est très différente de la laicité à l'occidentale: il n'y a jamais eu une vraie séparation de l'église et de l'Etat en Turquie, inédite en terre d'islam il est vrai, la religion n'est ni assignée à la sphère privée ni autonome par rapport à l'Etat, puisque c'est l'Etat turc qui contrôle les institutions religieuses, par l'intermédiaire d'une sorte de ministère des Affaires religieuses, le Dyanet, qui remunère les religieux, qui constituent ansi un clergé d'Etat.
De plus, cette laicité "light" est en train de rétrécir à vue d'oeil, peu à grignotée par une islamisation progressive de la société turque. Quelques faits récents: l'interdictions de servir de l'alcool est généralisée en Turquie, le port du foulard, interdit dans les universités, y a été autorisé en 2008, les Alevis (minorité musulmane shiite) ont été exclus du Comité religieux gouvernemental, les sanctions contre l'instruction coranique hors contrôle de l'Etat ont été très réduites, les confréries religieuses bannies sous Ataturk ont été réautorisées et sont en pleine croissance, etc etc.
Et là est le coeur du problème, que beaucoup préfèrent passer sous silence: c'est un gouvernement
islamiste qui est au pouvoir en Turquie. L'AKP, parti du premier ministre et du président, a été reconduit au pouvoir, par un vote encore plus massif en 2007: 46,4% des suffrages exprimés, devançant de loin le CHP (gauche) et le MHP (droite nationaliste), et marginalisant les petits partis, y compris d'autres partis islamistes.
Et donc les islamistes dominent le Parlement, tiennent la présidence de la République, (qui était jusque là un des remparts de la laicité contre les religieux), occupent tous les postes ministériels et placent des hommes à eux dans toutes les structures gouvernementales et étatiques. Les principales grandes villes de Turquie ont a leur tête des maires islamistes, ceux-ci détiennent la majorité dans la plupart des grands départements turcs, à commencer par ceux d'Istamboul et d'Ankara, la plupart des medias sont islamistes ou s'auto-censurent de façon islamiquement correcte, et ce sont des islamistes qui assument maintenant la direction de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) proche de l'Arabie saoudite, que j'ai évoquée sur un fil sur le Conseil des Droits de l'Homme à l'ONU.
Le kémalisme est attaqué sur tous les fronts et la rumeur selon laquelle Ataturk, le pourtant vénéré "père des turcs", n'aurait tenté de limiter l'influence de la religion dans la société turque que parce qu'il aurait été un franc-maçon, un homosexuel et un juif "dönme" converti à l'Islam est même devenue une des antiennes des medias islamistes.
Les partisans de l'entrée de la Turquie arguent qu'Erdogan et son gouvernement sont des "islamistes modérés", en quelque sorte l'équivalent rassurant de la démocratie chrétienne d'antan; or Erdogan lui-même s'est chargé d'invalider cette notion d'islamisme modéré : "l'expression "islam modéré" est laide et offensante. Il n'y a pas d'Islam modéré. L'Islam, c'est l'islam." a-t'il déclaré sur la chaîne télé Kanal D.