Le salon géopolitique de Passion-Histoire

JD Merchet est journaliste à Libération et gère un blog très fréquenté et généralement tenu pour sérieux sur l'actualité militaire : "secret défense". Il vient de publier un essai incisif dans lequel il s'oppose nettement à l'idée de défense européeene à partir de multiples exemples concrets ainsi qu'en invoquant quelques éléments de réflexion plus fondamentaux. Sa conclusion est cinglante (voire simpliste) : "La défense européenne est une illusion. Elle ne verra pas le jour et c'est tant mieux, car c'est une illusion dangereuse. Sa mise en oeuvre plus avant aboutirait à plus de gabegie, d'impuissance, de renoncement." Au moins, voilà un journaliste qui n'a pas peur de la polémique !

Quelques extraits : "Ce que nous appelons « défense européenne » est le dernier vestige des espoirs mis, un temps, dans la création d'Etats-Unis d'Europe, sur le modèle fédéral. Il faut, comme nous y invite Hubert Védrine « se débarrasser des reliquats de pensée fédéraliste, qui ont été psychologiquement nécessaires pour aider les Européens à sortir de leur nationalisme, mais qui sont aujourd'hui paralysants, parce qu'ils les conduisent à penser qu'ils sont aujourd'hui trop petits ou trop las pour mener une politique de puissance ». C'est que la défense n'est pas une politique comme les autres : elle constitue le coeur même de la politique. Il y est question d'intérêts vitaux et du droit de tuer d'autres hommes. Au coeur de la politique se niche la tragédie. On ne peut qu'avoir l'illusion d'y échapper, illusion que l'on enrobe de jolis mots comme la « sécurité collective » ou le « droit international »"...

Or selon Merchet, "le projet européen s'enracine dans l'idée que la politique peut s'extraire de la tragédie. D'ailleurs, si ce projet a pu triompher dans les esprits, c'est justement parce que l'histoire de l'Europe, entre 1914 et 1945, n'a été qu'une longue suite de tragédies. La vraie devise de l'Europe devrait être « Plus jamais ça ». Mais le « ça », s'il se cache parfois, ne disparaît jamais totalement et il peut revenir au galop. Parce qu'elle est tout entière négation de la tragédie, l'Europe ne pourra jamais assumer la responsabilité de la guerre. Peut-on imaginer qu'il en soit autrement ?"

Pour ma part je vous recomande ce livre - même si on n'est pas obligé de partager ses orientations - pour les raisons suivantes :
- la description de nombreux exemples (et pas seulement l'A400M) est instructive
- le rappel que non seulement les Britanniques mais la quasi-totalité des Européens sont très satisfaits de leur système actuel de défense (assuré par l'OTAN pour la plupart - ou par une totale indépendance pour quelques uns) et n'aspirent pas vraiment à une défense commune au sein de l'UE (contrairement aux rêves français)
- 2 idées fondamentales de Merchet donnent matière à un débat
A - les affaires militaires (violentes et pragmatiques) sont par nature étrangères au projet européen (pacifiste et idéaliste) : en résumé pour lui l'UE depuis Jean Monnet (et même Briand) est fondée sur la recherche de la paix en son sein - pas sur celui de la puissance. Bref bâtir un edéfense commune est contraire à cette option fondamentale pour la paix qui inspire l'UE depuis 1950 - option rendue possible par la délégation aux USA et à l'OTAN des responsabilités militaires suprêmes (le nucléaire américain) et opérationnelles (l'intégration militaire dans l'OTAN)
B - Notre continent sera mieux défendu et globalement plus dynamique s'il met en place un système souple de concurrence stable entre les Nations (qui permet en fonction des besoins des coopération ponctuelles) que par la mise en place d'institutions et de procédures lourdes, coûteuses et ... inefficaces !

Attention ce livre cite la célèbre blaque militaire américaine : "dans l'OTAN, les américains font la cuisine, les Européens la vaisselle" qui a tant choqué l'ami Tonnerre ! mais rassurez vous il n'y a chez Merchet aucun esprit "anti-américaniste".

Intéressant mais ce point de vue oublie que la justification du retour de la France dans l'organisation intégrée c'est justement de faire progresser la défense européenne - défense européenne désormais conçue au sein de l'OTAN et non à côté d'elle (et encore moins contre elle).

En réponse à cette observation (vous m'autoriserez à la trouver un peu naïve même si elle exprime la thèse gouvernementale), la conclusion du livre de Louis Gautier "La défense de la France après la guerre froide" : "L'avenir de la défense française reste toujours aussi peu assuré.
Il est désormais de plus en plus tributaire des orientations collectives arrêtées dans l'Otan ou dans l'UE, les deux communautés d'intégration militaire pour notre pays.
Après le deuil des illusions de l'indépendance nationale, faudra-t-il alors ajouter le deuil des ambitions européennes ?"

Il me semble assez clair qu'aujourd'hui plus grand monde croit encore à une défense européenne alors que les espoirs étaient grands il y a 10 ans - souvenons nous de saint-malo : j'ai bien cru que l'Europe militaire était sur les rails (et pourtant je croyais être protégé contre le chant des sirènes !).

Désolé il s'agit pas de la thèse gouvernementale mais de logique
A - la majorité des membres de l'UE sont membres de l'OTAN
B - la majorité des membres de l'OTAN sont aussi membres de l'UE

donc élaborer une défense de l'UE sans ou contre l'Otan est impossible. La seule défense européenne possible est donc située dans l'otan !! notez que de gaulle l'avait compris : son indépendance NATIONALE excluait défense europenne ET intégration atlantique. c'était logique non ?

Marc30 vous dites : "Désolé il s'agit pas de la thèse gouvernementale mais de logique"

Mais la politique doit elle être logique ?