Le salon géopolitique de Passion-Histoire

Le gouvernement a ouvert un débat sur l'identité de la France et comme d'habitude la controverse fait rage. Débat difficile car le sujet est large et ne permet pas de parler franchement. Toute la difficulté est là. On comprend que les opinions divergent car la question est politique et il y a des intérêts en jeu. Il est normal que des enfants d'immigrés craignent le débat et la stigmatisation et normal aussi que les français qui accueillent les nouveaux craignent le débordement. On devrait pouvoir en parler car sinon le malaise va s'accroitre. La situation actuelle n'est pas bonne. De la haine s'installe dans des groupes minoritaires pour le moment.
Définir des règles de vie en commun pourrait constituer un bon point de départ: respecter la nation, l'histoire du pays d'accueil, les institutions, les individus, accepter les lois. En contrepartie, accorder des droits aux immigrés admis au séjour, les respecter, aider à leur ascension par le mérite.
Ce dont on a souffert jusqu'ici c'est justement d'avoir cherché à cacher les problèmes par crainte de les amplifier et de créer un fossé. Mais le pire et arrivé, une méfiance considérable s'est installée dans les esprits. On va probablement découvrir en cour de débat qu'il y a un consensus sur de nombreux points. La libération de la parole a fait ses preuves.

On a beaucoup tendance à stigmatiser les Français qui parlent de leur identité et de patriotisme car on les soupçonne tout de suite de racisme. Ils ne font pourtant que vouloir vivre selon leur culture chez eux, comme dans n'importe quel Etat nation du monde.

C'est bien qu'on ose aborder le thème et que certaines mouvances se réapproprient les symboles nationaux, par exemple Ségolène Royal avec le retour du drapeau et de la Marseillaise.

Par contre le débat pourrait accroître les tensions si il est mal géré. Si le débat est honnête tout le monde doit pouvoir s'exprimer, y compris les intransigeants (le FN ou les Indigènes de la République), les opposants systématiques hostiles à l'idée de nation car cosmopolites et mondialistes (la mouvance Aubry au PS) et ceux qui pour identité nationale veut forcément dire racisme (NPA). Si ceux là argumentent mieux que les partisans du débat (des UMPistes sont souvent animés d'intentions électoralistes plus que d'un réel souci envers les Français qui sentent leur identité menacée) celui-ci pourrait être contre-productif.

Le pire serait que le résultat du débat soit un consensus mou qui ne satisfait personne en ne voulant froisser personne et provoque une radicalisation chez les patriotes comme chez les anti-France.

Les "anti-France"? On se croirait chez Super Dupont! Vous caricaturez beaucoup toutes les positions Kurro!

Normal puisque ma dernière phrase parle de ceux qui pourraient se radicaliser. Ceux qui sont favorables à l'affirmation de l'identité française peuvent l'être sans être patriotes et ceux qui sont hostiles à cette même affirmation ne détestent pas forcément la France.

Être patriote c'est être attaché à l'identité dont il est question, être "anti-France" c'est être hostile à cette identité en tant que telle. Dommage que vous repreniez uniquement ce petit raccourci alors que j'ai essayé de bien développer mon point de vue avant.

J'ai bien compris votre point de vue, mais cette notion d'anti-France, je suis désolé, je ne peux pas, ça me rappelle trop Gotlib!

Sinon pour le reste, la question de l'identité, mouais. Une identité, c'est une construction intellectuelle. En toute franchise, j'aime la France, j'aime ce pays, mais quand je vois les directions qu'il prend ces dernières années, si on me demande si mon "identité nationale" est française, je suis de plus en plus en mal de répondre.

Pour le reste, je vois mal l'intérêt géopolitique de ce sujet mais bon, pourquoi pas...

Ce débat a été impossible pendant longtemps suite aux à priori discréditants jetés par la gauche sur certains sentiments jugés comme étant intrinsèquement d'extrême droite , comme le patriotisme, le désir de protéger leur culture chez les Français dits de souche,et sur des considérations de bon sens sur le contrôle nécessaire de l'immigration et la reconnaissance des problèmes qu'elle peut poser quelle que soit son utilité économique.
C'est le déni angéliste de la gauche qui a retardé d'autant la prise de conscience de ces difficultés et la possibilité d'un débat pour tenter de les résoudre, ou du moins éviter que ne s'accumulent les non-dits et les ressentiments.
Est-ce que ce déni a vraiment tellement diminué? On peut se le demander. Ce n'est pas parce que Royal adopte symboliquement la Marseillaise que cela change vraiment quoi que ce soit au fond idéologique du débat. Pour la gauche, il y a toujours certaines constatations pragmatiques qui, du fait qu'elles vont à l'encontre de ses postulats politiques, doivent être tues.
Il y avait une interview intéressante de Winnock (dont j'apprécie beaucoup les écrits par ailleurs) cette semaine dans le Nouvel Obs qui montre bien comment on ne peut toujours pas sortir de l'idéologie sur ces questions. Il y rappelle la définition de Renan, selon laquelle la nation est un "plébiscite permament" et comment le sentiment d'appartenance nationale s'édifie sur la base de "souvenirs communs" et du "vouloir vivre ensemble". Et Winnock ajoute "nous sommes Français parce que nous le voulons".
D'abord, dans sa conception de la Nation, Renan hésite souvent entre le biologique et le politique. Ensuite, il y a contradiction entre la "Francité" définie comme entreprise purement volontariste et la notion de "souvenirs communs" à la base de l'identité française: s'il faut partager des souvenirs communs, il est évident que le seul volontarisme ne peut suffire comme base de l'appartenance.
La formule "être français c'est le vouloir" me semble de nouveau basée sur le déni de certaines contraintes en réel, pas le déni de la biologie mais celui du poids du passé, de la culture et de l'histoire.
Winnock conclut en posant que la gauche doit réaffirmer deux principes du vouloir vivre ensemble: la légitimité des appartenances multiples d'une part, et d'autre part que l'appartenance à la France doit primer sur les autres. Cela semble tout résoudre et en fait, cela ne résout rien: sauf à limiter les appartenances "secondaires" à des symboles folkloriques, il y a nécessairement des conflits découlant de ces appartenances culturelles multiples. Cela entraine déjà des tiraillements difficiles à vivre quand les deux cultures sont proches (sur la base de mon expérience personnelle) mais comment s'arranger lorsqu'on est pris entre des cultures très différentes qui prescrivent des normes de comportement et de morale contradictoires? C'est chaotique à vivre, et cela ne peut que créer des déséquilibres psychologiques et sociaux durables.

J'espère que je ne sors pas du sujet mais ça traite des principes de l'identité :

Je ne sais plus où je l'ai lu mais j'ai lu que la vision idéologique de la gauche sur l'immigration (métissage, multiculturalisme) serait une version moderne de l'idéologie coloniale de la gauche à l'époque de l'Empire colonial. Le projet serait le même : en faire des Français, mais cette fois en France et pas dans le pays d'origine. "Un empire, trois couleurs" ça rime avec "Black, blanc, beur".

Que penser de cette théorie?

Pour la vision de la droite sur l'immigration c'est déjà plus simple : ça enrichie les entreprises, alors au diable la culture des uns et des autres (une autre caricature pour faire plaisir à Alfred Teckel ).

A la base l'idée même de débat semble intrinsèque à un régime politique républicain qui n'a pas d'idéologie officielle et obligatoire et repose sur les libertés d'opinion et d'expression. Pourquoi s'en étonner ? nous avons d'ailleurs eu de beaux débats ces dernièes années : en 2005 sur l'Europe entre autres ...

Détrompez-vous. Les programmes scolaires font une belle part à ses symboles en instruction civique et aux idéaux qu'il défend.

Une contribution au débat :

"Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison. Ce qu'il y a en moi d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J'ai d'instinct l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n'est réellement elle-même qu'au premier rang : que seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays tel qu'il est, parmi les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur."

Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 1, Plon, 1954