Le salon géopolitique de Passion-Histoire

Bonjour à tous,

"Pour les français, la guerre sera finie quand ils pourront lire le canard enchaîné " faisait dire Jean-Pierre Melville à Paul Meurisse dans l'Armée des ombres, ce grand film sur la Résistance.

Juste ce préambule pour remarquer le poids culturel et institutionnel de ce journal, s'il en est nécessaire (C'est peut-être aussi ça "l'identité nationale").

Mais voici ma question :

Il me semble me souvenir qu'avant le deuxième tour de l'élection présidentielle de 2002, le canard enchaîné avait, dans ses colonnes, ouvertement appelé à voter Jacques Chirac , ou tout du moins appelé à battre Jean-Marie Le Pen. Fait plutôt inhabituel au regard de la ligne éditoriale traditionnelle de ce journal (indépendance).

Avez vous meilleure mémoire que moi ?

En vous remerciant par avance.

Toute la presse a appelé à voter Chirac, ou à faire Barrage à JMLP, sauf Minute, Rivarol et quelques feuilles de chou du même style. Le Canard n'a pas fait exception.

Le Canard enchaîné a pas mal soutenu Mendes-France et Mitterrand si je ne m'abuse, malgré leur tradition d'indépendance. Ils se sont jurés de ne plus jamais soutenir quiconque après avoir vu ce que devenait la présidence de Mitterrand.

Merci pour votre réponse.

Je me souviens effectivement de l'unanimité des médias sur la question. Mais c'est précisément la singularité du Canard qui me faisait douter de la réalité de sa prise de position. L'hebdomadaire n'est jamais tendre avec le FN, mais il ne me paraissait pas évident qu'il ait donné des consignes de vote à cette occasion.

Le Canard enchainé n'a aucune tradition d'indépendance mais au contraire est un journal très engagé à gauche, comme le savent tous ceux qui connaissent la politique; un hebdomadaire qui mène des campagnes parfois acharnées contre des gouvernants de droite et aussi sur commande de gauche contre un homme politique de gauche.
Chirac , tout le long de ses mandats de maire de Paris, a fait l'objet d'articles en série " déchainés" sur les sujets les plus divers, à partir d'informations recueillies par espionnage ou délation. Il arrivait qu'il y ait couplage avec le Monde: Canard le jour de sortie et le monde l'après midi sur le même sujet nouveau, pour faire choc.
Le Canard se procurait les documents les plus secrets, des PV d'audition des juges, des rapports internes et il en faisait des montages très élaborés qui déclenchaient toute la presse et toutes les TV, le soir même. Le Canard avait il y a 20 ans un réseau de collaborateurs clandestins de premier ordre, qui transmettaient les munitions. Même le pouvoir se servait du Canard pour régler des comptes avec les amis notamment.
Si un haut fonctionnaire ou un haut magistrat candidat à un grand poste voyait son nom sortir au Canard, avec un mauvais commentaire, il pouvait par le raisonnement retrouver la source, le rival ou le cabinet qui avait fait le coup. Tout le monde a utilisé le Canard de cette manière. Chef de manoeuvre: le rédacteur en chef.
J'ai connu une période où tous les ministres craignaient la parution du Canard chaque mercredi. Ils l'avaient la veille au soir de la diffusion publique et avaient 12 heures pour préparer la riposte, se concerter avec l' Elysée et Matignon, car il s'agissait souvent d'affaires mettant en cause le pouvoir. Le Canard est un journal politique sous couvert d'humour. Remarquabme organe de presse au demeurant!

Alain, je comprends bien votre post et tout lecteur un tant soit peu assidu a, de fait, conscience de ce qu'est le Canard, de ces tenants et aboutissants. C'est en cela que je parlais de "singularité" et de caractère "institutionnel". Je ne suis cependant que partiellement d'accord avec votre définition de "journal politique sous couvert d'humour ", celui ci se revendiquant invariablement dans sa "base line" comme "Journal satirique (paraissant le mercredi)". Ce qui lui laisse d'ailleurs, par définition, certaines libertés avec l'objectivité et l'indépendance. Et a le mérite de prévenir le lecteur, de l'inviter a utiliser son propre sens critique.( C'est pour moi, toute la malice et tout l'intérêt de ce journal (dont la finalité ne s'arrête bien évidemment pas aux perrons des ministères, aux arcanes des "hautes sphères")). C'est pour cette même raison que je m'étonnais que le canard ait expressément appelé à voter pour un candidat, qui - à fortiori et comme vous l'indiquez - avait fait l'objet de nombreux articles dans ses propres colonnes.

En vous remerciant pour vos réponses.