Narduccio a écrit:
Il semblerait qu'après une marche forcée vers une société de services (ces 30 dernières années), le gouvernement français se soit rendus compte que ce n'était pas une bonne solution. D'où la volonté de ré-industrialiser la France. Avec un objectif annoncé par le président Sarkosy d'augmenter la production industrielle française de 25%.
Quel est votre avis sur cette ré-industrialisation ? Est-elle réalisable ? A quel prix ? Comment ? L'objectif est-il réaliste ? A quel terme ?
Salut,
L'objectif de Sarkozy d'augmenter la production industrielle de 25% correspond à ce qu'elle était en réalité il y a juste... 3 ans ! Son objectif, louable au demeurant mais illusoire dans la configuration idéologique actuelle, n'est donc pas de l'augmenter sur une tendance moyenne, mais bien de la maintenir à un certain niveau ou plus exactement d'enrayer son inévitable déclin.
Voilà le fameux document de travail publié il y a moins d'une semaine par la très sérieuse Direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE), et où Lilas Demmou, auteur de l'étude, conclut "qu'il apparaît (...) une accélération des destructions d’emplois imputables à la concurrence étrangère dans la dernière décennie". On y apprend également que "l’industrie a perdu 36 % de ses effectifs entre 1980 et 2007, soit 1,9 million d’emplois ou encore 71 000 par an principalement dans l’industrie manufacturière".
http://www.economie.gouv.fr/directions_ ... 010-01.pdfPour résumé on n'y apprend également que l’ouverture des frontières commerciales, qui correspond à l'abandon de tarifs douaniers aux frontières, contribueraient à une perte de l'emploi salarié dans l'industrie allant jusqu'à 45% entre 1980 et 2007 et s'accélérant sur les 10 dernières années puisque passant jusqu'à 63% du total des pertes. Le reliquat est du en partie à une externalisation des emplois vers les services de l'ordre de 25 % (sans perte d'emploi en valeur absolu donc) et, assez marginalement, (puisque cela représenterait si je calcule bien au pire 30% du total et au mieux mois de 15%) pour ce qui concerne les gains de productivité (automatisation/automation).
On peut donc en conclure que c'est donc, et de loin, la concurrence étrangère symbolisée par des zones à faible coût de production, sans législations sociales ou environnementales contraignantes sur le travail, qui ont pesé - et continue de peser lourdement - sur l'emploi industriel en France; concurrence qu'il faut juger pour ces raisons déloyale, et qui aurait coûté au bas mot entre 900000 et près de 1.300000 des 2.000000 d'emplois industriels estimés avoir été perdu au total en France dans l'industrie, toujours selon le rapport, sur la période 1980/2007. Entendons-nous bien: ces emplois ne sont pas détruits pour être remplacés par des machines ou des logiciels mais bel et bien transférés à l'étranger où ils sont là-bas créateurs net d'emploi !
Chiffres comparables à ce qu'en évalue d'ailleurs Jacques Sapir, pour qui le libre-échange "coûte 2% de la population active en emplois industriels perdus ou non créés" (donc 2% du total de l'emploi salarié en France Ndlr), et cela sans compter l'effet dépressif sur le marché intérieur (salaires, consommation, prestations sociales ect...). De telle sorte que cela lui fait dire "qu’avant la crise le taux de chômage en France était de 8,3%, l’effet net du libre-échange représenterait ainsi au moins la moitié de ce taux (4% à 4,5% de la population active)".
http://www.observatoiredeleurope.com/Un ... a1189.htmlDonc, et sauf à faire abstraction volontaire et tendancieuse de déterministes macro-économiques pourtant bien réels, on ne peut raisonnablement réduire le phénomène de désindustrialisation justement à une cause, mais bien à une conséquence d'une politique qui a été menée singulièrement depuis la fin des années 70, et qui correspond de manière tout à fait visible, étayé, à l'abandon des tarifs douaniers aux frontières, et concomitamment d'une ouverture progressive de nos économies. C'est à dire part le fait d'une volonté politique concerté et délibéré, au plus haut niveau de l'appareil d'Etat (sans qui rien en démocratie n'aurait été possible), et cela par convergence d'intérêts politiques et idéologiques avec la composante sociale détentrice du capital: moyens de production, foncier, matières premières ect... Bien aidé en cela dans le discours, il est vrai, par l'établissement d'une véritable pensée unique à vocation de légitimation (et d'aliénation pourrait-on dire) avec tout la force d'impact sur l'inconscient collectif qu'elle a pu susciter.
La raison qui a motivé ce processus est donc cristalline: c'est une simple question d'abaissement du coût de production en la délocalisant au sein des zones à faible coût de main d'oeuvre, pour des raisons de protection sociale-environnementale, et de fiscalité, qui sont soit très faible, soit quasiment inexistante. Cela pour un but et un seul: le rendement du capital. Un enfant de quatre ans comprends dans ces conditions qu'il ne peut y avoir que trois alternatives pour maintenir un semblant de compétitivité:
1/ Démanteler ses propres législations et abaisser sa propre fiscalité sur le travail, avec pour conséquences immédiates: paupérisation généralisé, baisse absolue du niveau de vie et disparition de pan entier de notre système de protection sociale, au sein d'espace géographique où la culture est imprégné historiquement de lutte sociale de grande ampleur. Conséquence probable: "C'est une révolte ? Non Sire, c'est une révolution !" Et les gouvernements grecque et portugais commencent à en savoir quelque chose, n'est-il pas ?
2/ La méthode prônée par le corpus libéral (c'est la fameuse destruction créatrice cher à Schumpeter) et qui consiste à abandonner littéralement ces productions en considérant que l'on est définitivement plus compétitif sur ce plan (lorsque l'on sait qu'un européen de l'Ouest est en moyenne 14 fois plus productif qu'un chinois ou un indien il y a de quoi se pincer...) et se résoudre à investir massivement en recherche et développement en vue d'innovation et ce afin de créer de nouveau marché générateur d'emploi. Problème: les nations occidentales à la suite de la crise et le sauvetage en catastrophe des institutions financières et bancaires (et surtout des déséquilibres fiscaux engendré inévitablement par celle-ci) n'ont pas le dernier centime - bien au contraire - pour investir puisque l'endettement crève dors et déjà les plafonds.
Plus fondamentalement, les désordres structurels macro-économiques qui préexistaient puisque instaurés par le processus de libre-échange entre sphères qui n'ont économiquement et socialement rien de commun, entraîne inexorablement un déficit chronique de la balance des paiements (ou des transactions courantes); aggravé par le fait que dans ces conditions de compétition à l'échelle globale les protections sociales sont de nouveau considérés par le capital comme un coût pure qui entrave sérieusement la rentabilité qui se voudrait non pas optimale, mais maximale; que les détenteur de capitaux et les très hauts revenus appartenant au centile supérieur opèrent un chantage à l'évasion fiscale en poussant à la baisse des prélèvements et combattent toute progression de l'impôts; que la concurrence réalisée hors zone euro par les dites sphères à laquelle vient s'ajouter une immigration économiquement (et plus encore socialement) inutile sauf à pousser à la baisse des revenus, des prestations et revendications sociales notamment chez "les plus faible et les moins éduqués"; que pour toutes ces raisons, par conséquent, les nations occidentales se retrouvent (quoi qu'elle puisse raisonnablement faire d'ailleurs, ce n'est plus le problème puisque ce dernier est systémique et prépondérant) avec des déficit abyssaux et ne sont donc objectivement plus maître de leur fiscalité comme de leur budget: je ne vois pas comment elles pourraient être disposé - et surtout capable - d'investir dans ces conditions, et donc de compenser ce phénomène pas des créations d'emplois. La "solution" libérale est donc caduque.
3/ Opérer une "dé-mondialisation" en renchérissant les échanges de marchandises par une réinstauration de tarifs douaniers aux frontières modulé en fonction du change monétaire. Cela passe nécessairement par convaincre nos voisins et partenaires avec qui nous avons partie liée. Cela veut dire qu'il faut pour les convaincre rentrer dans ce qu'il convient de nommer un rapport de force, c'est à dire exactement ce qui a balisé les rapports entre puissance depuis à peu près Mathusalem, et soit exactement ce qui est dénié par les nations européennes qui réduisent dorénavant la politique à un concert de bons sentiments.
Et s'ils n'y entendent rien, commencer déjà par menacer (en paraphrasant Emmanuel Todd) de "foutre en l'air" la zone euro. Ce qui devrait produire un électrochoc chez nos amis allemands qui le redoute plus que tout pour des raisons, du moins le croient-ils, de politiques internes. Or au final même eux y auraient intérêt puisqu'encore une fois, 75% des exportations qu'ils réalisent chaque année, et qui est le moteur de leur croissance et de leur balance commerciale, s'effectue en Europe, et pour une grande part au sein de la zone euro (l'excèdent que Allemagne engrange grâce au gain de compétitivité issu de sa politique de compression salariale et de limitation des prestations sociales se fait donc au trois quart sur le dos de ses "partenaires" européens, qui ne peuvent réagir en dévaluant par une politique de change afin de regagner eux-même en compétitivité et cela pour la raison évidente qu'ils ont admis de se soumettre à une union monétaire qui ne le permet plus de facto. Cette stratégie porte un nom: une politique non-coopérative). Ils auraient tout à gagner dans ces conditions, et nous aussi, en cas de mise en place de mesures protectionnistes, à se recentrer quasi-exclusivement sur le marché européen. Puisque parallèlement, une relance de la demande ne peut être réellement efficace que dans cette optique d'un relatif patriotisme économique (est-il besoin d'en détailler le mécanisme ?). Relance de la demande qui se ferait qu'à la condition d'une relance conjointe des salaires. C'est justement ce que le protectionnisme permet de réaliser. Peu importe alors que la Chine ne renchérisse elle-même ses productions en mesure de rétorsions.
Et donc faut-il déjà commencer par obtenir des allemands qu'ils cessent immédiatement cette politique irresponsable qui menace nous le voyons bien, indépendamment d'ailleurs de paramètres structurels internes, la Grèce, puis bientôt le Portugal et l'Espagne, c'est dire la stabilité de la zone euro et sa viabilité - et remet ainsi en cause son existence même - puisque l'actualité le démontre magistralement, les politiques ont été (rendu) incapable de brider une finance pourtant devenu incontrôlable et ce alors même qu'ils disposaient de toute la légitimité que leur fournissait aux yeux des citoyens l'émergence d'une crise majeur d'un capitalisme devenu financiarisé (en interdisant par exemple les paris sur les fluctuations de prix comme le préconise Paul Jorion).
De toute façon l'Euro est condamné à terme, tout les économistes un peu sérieux le prédisent dont de nombreux libéraux (C. Saint Etienne par exemple). Pour la simple et bonne raison que l'on ne peut décemment espérer avoir, qui plus est en période dépressive ou de croissance atone, de monnaie unique valable, qui suppose un pacte de stabilité et des critères de convergences communs, dans le cadre d'économies nationales qui divergent fondamentalement sur leur fiscalité, leur capacité productive, leur modèle social et redistributifs, ect... A moins d'envisager, et cela très rapidement afin de juguler la dynamique à l'oeuvre, une Europe fédéral. Problème: aucun des peuples européens n'en veut, ni maintenant ni demain.
Ce qui me fait dire que l'euro, au même titre qu'une confédération politique parfaitement utopique pour qui possède une culture historique même modeste, n'était que l'aboutissement d'une vision néolibérale qui a prédominé depuis trente ans, qui a subsisté grâce - ou à cause - d'une (très relative) croissance qui accompagna à notre fort préjudice l'ouverture à tout les vents de nos économies aux échanges internationaux, et qui s'achève à présent avec grand fracas, comme doit nécessairement s'achever toute illusion confrontée à l'inévitable retour du réel, et qui lui (nous) revient à la face tel un boomerang.