Alain, le texte du préambule du statut sur la liberté religieuse en Virginie (Act for Establishing Religious Freedom) est consultable ici:
http://www.geocities.com/Athens/7842/rfindex.htmD'une part ce texte n'est pas à proprement parler un texte présidentiel, puisqu'il date de 1779, alors que Jefferson n'est devenu président qu'en 1801.
D'autre part, il n'y est fait aucune mention de juifs, d'hindous, etc. ou d'incroyants.
Cependant, Jefferson écrit à propos d'un amendement qui a été proposé pour ce texte mais rejeté à une large majorité:
"[When] the [Virginia] bill for establishing religious freedom... was finally passed,... a singular proposition proved that its protection of opinion was meant to be universal. Where the preamble declares that coercion is a departure from the plan of the holy author of our religion, an amendment was proposed, by inserting the word "Jesus Christ," so that it should read "a departure from the plan of Jesus Christ, the holy author of our religion". The insertion was rejected by a great majority, in proof that they meant to comprehend within the mantle of its protection the Jew and the Gentile, the Christian and Mahometan, the Hindoo and infidel of every denomination." --Thomas Jefferson: Autobiography, 1821. ME 1:67 "
Traduction cursive: "Lorsque le préambule déclare que la coercition s'écarte du plan du saint créateur de notre religion, ...un amendement fut proposé insérant le mot "Jesus Christ" de façon à ce que cela soit lu: "...s'écarte du plan
de Jesus Christ, le saint créateur de notre religion". L'insertion a été rejetée par une large majorité, pour preuve qu'ils avaient l'intention d'inclure sous le manteau de sa protection le juif et le gentil, le chrétien et le mahométan, l'hindou et l'infidèle de toute religion".
Infidel--tout comme infidèle en français--ne signifie pas incroyant mais "qui ne professe pas une religion considérée comme vraie".
Incroyant en anglais serait plutôt "unbeliever". Au cas néanmoins où il y aurait la moindre ambiguité, Jefferson précise bien "infidèle de toute religion/appartenance religieuse (denomination)".
Aux yeux de son auteur, l"'universel", pour ce qui est de la protection des différentes opinions religieuses, inclut donc bien toutes les religions, chrétiennes et non chrétiennes, mais pas l'incroyance.
Et Jefferson commence bien entendu cette déclaration sur le statut de la liberté religieuse en Virginie en invoquant Dieu: "Well aware that...Almighty God has created the mind free and manifested His Supreme Will that free it shall remain..."-- et y réfère constamment dans le reste du texte; de plus, comme je l'ai signalé à propos des pères fondateurs, la croyance en Dieu y est présentée comme une évidence s'imposant naturellement à tout être humain.
Rien des déclarations et écrits de Jefferson ne permet, à ma connaissance, de penser que l'incroyance était pour lui une option reconnue et méritant d'être protégée dans le cadre de son statut sur la liberté religieuse, ou même simplement envisageable; cela n'est tout simplement pas "sur son radar" .
En cela, ses conceptions sont typiques des hommes de son époque influencés par les conceptions des Lumières. La visibilité et la reconnaissance sociale des incroyants étaient quasi-nulles dans le milieu et à l'époque de Jefferson; ne sous-estimez pas non plus, en outre de la croyance individuelle, l'importance sociale accordée à la religion par les pères fondateurs (la religion comme nécessaire à la morale collective et au civisme).
Pour marquer les limites de Jefferson en matière de liberté religieuse, voici un court texte de lui dans lequel il exprime le souhait que soient recommandés le jeune et la prière lors de certaines fêtes religieuses, et que ceux qui s'en dispenseraient soient sanctionnés : "I should recommend, not prescribe, a day of fasting and prayer...It must mean too that this recommendation is to be ...sanctionned by some penalty on those who disregard it".
Une autre citation de Jefferson sur le même thème : "the Christian religion is, of all others, most friendly to liberty, science, and the freest exercice of human mind..." (la religion chrétienne est, de toutes les autres, la plus favorable à la liberté, à la science et au plus libre exercice de l'esprit humain).
Jefferson était certes comparativement progressiste et éclairé en ce qui concerne la tolérance religieuse, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la critique des religions instituées et des prêtres etc mais attention à ne pas donner dans l'anachronisme culturel et psychologique en lui prêtant nos façons de penser modernes sur ces questions, et en particulier sur l'athéisme.