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 Sujet du message: Re: La Somalie brûle toujours...
MessagePosté: Sam 24 Déc 2016 08:48 
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Menacée par les pirates comme par les islamistes chebabs, fragilisée par les revendications autonomistes du Somaliland et du Puntland, la Somalie se heurte aujourd’hui à… un Bisontin. Il s’appelle Mohamed Abdi Mohamed et a vécu plus de trente ans à Besançon, où il était surnommé « Gandhi ». Revenu en Somalie pour occuper le poste de ministre de la Défense, il s’est ensuite fait élire président du Jubaland, région frontalière du Kenya, dont il revendique aujourd’hui l’indépendance.

2013, Le Point 2118, 24

Citation:
« J’ai appris que je partais pour le Canada l’an prochain. J’ai eu une bourse. »

Nous sommes dans l’est du Kenya, et Farhiyo vit depuis vingt-deux ans à Dagahaley, l’un des cinq camps de réfugiés qui constituent Dadaab. […] Avec 350 000 réfugiés, à 95 % somaliens, Dadaab est le plus grand camp au monde. Le pire est peut-être qu’il existe depuis 1991, quand l’UNHCR l’a ouvert, et que ses habitants n’ont pas le droit d’en sortir. […] Les garçons jouent au foot entre des clôtures d’épineux que le vent a tapissé de sacs en plastique. Et dans le marché couvert, des jeans, de la lingerie en dentelle rose et même, ironie suprême, des valises en pagaille attendent le client. […] À ceci près que Dadaab est une prison géante, posée dans le désert. Ses habitants sont illégaux sur le sol kényan. Il y a bien quelques anciens, organisés en groupes, qui obtiennent des autorisations mensuelles de sortie pour acheter des légumes à Nairobi, qu’ils revendent ensuite sur le marché, ou quelques ateliers d’artisanat montés par les ONG pour les jeunes. […] Et de la Somalie, à 60 kilomètres, que ce que lui a raconté sa mère. Elle répète : « En 1993, des hommes armés ont tué mon père et volé nos dromadaires et nos chèvres. Ma mère était enceinte de moi, elle avait déjà mes deux sœurs, de 5 et 7 ans. Je suis née à Kismayo, j’avais 56 mois quand nous sommes arrivées à pied. » […] « En 1992, Dadaab abritait 90 000 personnes, retrace Charles Gaudry, chef de mission à Médecins sans frontières. Entre 2005 et 2006, avec l’intervention américaine contre les tribunaux islamiques à Mogadiscio, ce chiffre a grimpé de 100 000 à 250 000, puis à 450 000 en 2011, avec la grande sécheresse. » Depuis, les effectifs ont baissé, les derniers arrivés, comme les Éthiopiens ou les Congolais, minoritaires et plus fragiles dans le camp, sont les premiers repartis. Aux tribunaux islamiques ont succédé les djihadistes d’Al-Shebab, que l’Amison, force africaine, n’a que partiellement contenus en Somalie. Il y a quinze jours, ils ont encore attaqué une base, tuant au moins 50 soldats. Le groupe multiplie aussi les attaques au Kenya et a enlevé deux Espagnoles de MSF à Dadaab, en octobre 2011. […] MSF n’a laissé sur le terrain que ses employés kényans d’ethnie somalie, car Al-Shebab a menacé les chrétiens de la région. […]

« Qu’est-ce que j’irais faire en Somalie ? » interroge Abdikadir Ahmed, 29 ans, directeur de l’école primaire de Midnimo, dans le camp d’Ifo. Devant son bureau, des filles voilées de rouge de la tête aux pieds, à l’écart des garçons en chemise bleue et pantalon vert, écoutent, assises par terre, à l’ombre d’un bayahonde, les instructions pour les examens. « Je suis arrivé à 3 ans, mais 80 % des élèves sont nés dans le camp, poursuit Ahmed. […] Nous suivons les programmes du Kenya : ses héros, ses comtés, son économie. Mais nous ne savons rien de la Somalie. […] S’il rentrait, il craint pour sa vie : les histoires de magasins de « revenants » pillés parce qu’ils excitaient la convoitise sont légion. […] Après les attaques dans la région, les enseignants kényans sont partis et le niveau ne cesse de baisser. À Midnimo, il n’en reste que 3 pour 2 400 élèves. […] Pour le reste, les cours sont assurés par d’anciens élèves. Comme Abdiwali Hassan, 24 ans, professeur de kiswahili : « Pour ces matières-là, ça va. Mais pour la physique ou la biologie, il faut des profs diplômés. À Ifo-2, camp plus récent, ils n’étudient plus que 4 matières au lieu de 12. » […] Restent les écoles coraniques, où on enseigne les maths, l’anglais et le Coran. […] 50 ans, elle qui à l’air d’en avoir 60, dit avoir vu « tant d’atrocités » et peine à sourire. […] Élever mes filles, seule ici… Comme je ne suis pas allée à l’école, je n’ai pas eu d’emploi dans une ONG, je vendais des légumes. Nous n’avons jamais eu assez à manger. Je ne voulais pas que mes filles vivent la même chose. » Sans doute est-ce la raison pour laquelle elles ne sont pas mariées. Le travail avant tout. […] Le pire, c’est la faim. Et il fait si chaud. Alors, on s’évanouit souvent. Il n’y a pas d’électricité, il faut étudier à la lampe de poche, quand on a des piles. On n’a pas assez de manuels scolaires, alors on se les partage, à 10 filles, on les a tous les trois mois. » La réussite de Farhiyo force le respect. Si l’on tient compte de son sexe, c’est un exploit. Les filles représentent la moitié des effectifs en primaire, mais plus que 10 élèves sur 50 par classe en secondaire. « Entre autres obstacles culturels, on les marie vers 14 ans », soupire Franklin Kirima, responsable de l’éducation à Dadaab pour l’ONG Windle Trust International. À elles les corvées d’eau, de bois, sans compter les histoires de viols sur le chemin de l’école qui dissuadent les parents.

[…] Il n’y a pas de serviettes hygiéniques et, parfois, pas de savon. » Le problème est connu de Windle Trust, qui en distribue dans le cadre de son programme Girls Education Challenge, avec les livres et les crayons. Et exige des notes moins élevées de la part des filles, pour la bourse canadienne. […] Les étudiants sont accueillis dans une université et obtiennent la nationalité au bout de cinq ans. Ils doivent avoir moins de 25 ans, être célibataires ; ils partent seuls. […] Windle Trust propose donc d’autres bourses, dans des universités kényanes, reposant sur l’enseignement à distance. Exceptionnellement, les élèves ont le droit de sortir du camp, pour les examens. […] « À peu près 70 % de la population du camp a entre 18 et 35 ans, estime Abdifatah Ibrahim Ahmed, 28 ans, leader de la jeunesse à Ifo. […] « Je n’aurai jamais pu faire tout ça si ma famille était restée à Mogadiscio. D’ailleurs, mon père était pilote de l’armée de l’air sous Siyad Barre, j’aurais été tué comme lui. »

Reste la question majeure : des diplômes, pour quoi faire ? Abdifatah envisage de rentrer en Somalie pour travailler dans une ONG. « Ma mère ne veut pas, sourit-il, elle dit que Dieu trouvera un meilleure solution. » […] Ils prient pour que le gouvernement kényan ne mette pas ses menaces de fermeture à exécution, comme après chaque attaque des shebabs, qu’on dit issus de Dadaab. […] « Impossible de se marier, de construire une maison. […] Il dit déjà « Winnipeg, Manitoba », comme un Nord-Américain. Oui, il sait qu’il aura froid. Il hausse les épaules : il achètera un manteau. […] Lorsqu’on lui parle du discours d’Obama à Nairobi le 25 juillet, qui proclamait que l’avenir était en Afrique, il traduit à ses copains en somali et ils rigolent. […] Il répond en anglais, poli : « Je pense qu’Obama tente de nous décourager de venir. » […] « Je veux travailler, devenir indépendante, ne plus être assistée par des ONG », martèle-t-elle. A-t-elle conscience qu’elle laisse à jamais derrière elle sa mère et ses deux sœurs ? « Tout implique des sacrifices, dans la vie. J’enverrai de l’argent et je viendrai en vacances. De toute façon, je rentrerai en Afrique, ce sont les pays en développement qui ont besoin d’aide. » Saura-t-elle s’adapter à un environnement si différent ? Elle sourit, désigne du menton le camp qui bruit de l’autre côté du mur : « Si j’ai pu me faire à cet enfer, pourquoi pas ? » Elle a bien aimé le discours d’Obama. Surtout lorsqu’il a dit qu’un pays ne se développait pas en laissant de côté la moitié de sa population : les femmes.

2015, Le Point 2245, 69-73


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