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 Sujet du message: Re: Afghanistan : 20 ans après
MessagePosté: Jeu 26 Aoû 2021 18:44 
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Petraeus en Irak a réussi le "surge" et mis fin à la guerre civile en retrouvant l'appui des tribus sunnites effrayées par Daesh et qui sont passées de son côté. Et parce qu'il les recrutait en partie dans l'armée régulière : ils ne demandaient rien d'autre, sur le plan militaire.

En organisant aussi un quadrillage de Bagdad par zones confessionnelles dans lesquelles étaient implantés à demeure des Gi's chargés de localiser et éliminer les terroristes, ce qui a réussi grâce à la confiance nouvelle que les habitants ont eu ainsi dans la protection des soldats.

(Il a également combattu et désarmée la milice chiite "l'armée du Mahdi" de Moktada Saader, qui faisait la loi dans la partie chiite de la ville, et qu'il a contrainte à la reddition et au désarmement.)

Le problème c'est que le président est chiite (la démographie donne la majorité aux chiites) et peu après ce succès ce président a licencié une partie des combattants sunnites que Petraeus avait recruté dans l'armée, pour les remplacer par des chiites à peu près inaptes au combat.

Au final, on retombe sur un équilibre précaire, où les chiites majoritaires ont appris qu'il ne fallait pas pousser à bout les sunnites, mais où en gros chacun s'administre comme il veut dans sa zone.

Au moins Petraeus a-t-il permis que les Américains partent d'un pays en paix. Le résultat final est très loin d'une démocratie à l'occidentale, mais comme les composantes confessionnelles/tribales y trouvent leur compte, ça marche comme ça...

Je ne suis pas étonné que ce mélange délicat n'ait pas pu prendre en Afghanistan : d'abord les Talibans y étaient partout, et ensuite les "tribus" y sont beaucoup plus fragmentées (déjà géographiquement à cause du découpage par vallées) et en définitive tout se joue presque au niveau de chaque village.


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 Sujet du message: Re: Afghanistan : 20 ans après
MessagePosté: Sam 28 Aoû 2021 22:38 
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Jean-Marc Labat a écrit:
Il serait étonnant que le Tadjikistan ne les aide pas en sous main. la guerre n'est pas finie.


Tôt ou tard les tadjiks du nord risqueraient de s'investir politiquement et humainement vers leurs frères du sud si les talibans ont une attitude trop répressive à l'égard des tadjiks d'Afghanistan et si le gouvernement Tadjik est trop passif. Reste à savoir si les liens sont vraiments étroits entre les tadjiks des 2 pays.


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 Sujet du message: Re: Afghanistan : 20 ans après
MessagePosté: Jeu 23 Sep 2021 12:26 
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On mentionne beaucoup une défaite occidentale, certains décideurs américains ayant décidé qu'il valait mieux se battre en Afghanistan que de subir des attentats "étrangers/djihadistes" sur leur sol, mais personne ne mentionne la défaite des Afghans, en premier lieu des Pachtounes, dont l'armée régulière s'est débandée, dont la jeunesse urbaine n'a jamais connu le joug taliban.

Par ailleurs, les dirigeants talibans afficheraient une politique de communication avec les minorités ethniques afghanes, ainsi que religieuse (les chiites), et avec les puissances étrangères susceptibles de les contrarier. Il se pourrait même qu'ils tâchent d'interdire à leurs réfugiés internationaux d'al-Qaeda, qui reprend du service depuis la chute de son ennemie Daech, d'attaquer des puissances étrangères depuis leur sol, pour ne plus connaître la défaite de 2001.


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 Sujet du message: Re: Afghanistan : 20 ans après
MessagePosté: Lun 15 Nov 2021 19:31 
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Outre le problème des femmes (et éventuellement des féministes de tous courants), une très grande partie de la population afghane a moins de 20 ans et n'a jamais connu de régime taliban : comment ces jeunes s'y plieront-ils ?

A priori, ils se feront écraser par l'extrême-droite locale, comme en 1991, puis 1996 et comme en Iran depuis 1979. Rien n'indique qu'ils furent des millions à concocter des poisons pour s'occuper de "leurs maris et autres maîtres talibans" après la victoire de ces derniers ; ce serait une première dans l'Histoire et la géographie.
Citation:
« Ils leur ont dit : “Cette vie à l'occidentale que vous avez eue, vous allez la payer.” Quand je pense que le 11 août, on formait encore 400 filles au codage digital, dans le Panshir et à Paghman avec des panneaux solaires… Et aujourd'hui, à nouveau, les talibans entrent dans les villages. Les témoignages pleuvent : à Farah, près de Hérat, à Wardak et ailleurs, ils listent les filles de plus de 10 ans pour les marier à leurs combattants. Des actes d'enlèvements nous sont confirmés. Pas à Kaboul encore, mais le programme est clair et il est en train d'être appliqué. Une femme, dans un État taliban, c'est un ventre destiné à procréer. Elle ne bouge pas, elle reste à la maison. »

[…] Pour Chékéba Hachemi, ces promesses ont déjà été démenties. Elle a la voix qui tremble. […] Née en 1974 à Kaboul, première Afghane à avoir été diplomate, celle qui a fondé il y a vingt-cinq ans l'ONG Afghanistan libre (www.afghanistanlibre.org) est une combattante de la première heure contre cet obscurantisme qui emmure les femmes. Aux côtés du commandant Massoud, elle a construit, avec son association, le lycée Malalaï, la première école pour filles d'Afghanistan libre. Il y en a désormais neuf autres dans le pays, qui, de l'équivalent du CP à la terminale, ont éduqué près de 300 000 filles et jeunes femmes. Un tiers d'entre elles sont sorties bachelières et sont sages-femmes, journalistes ou ingénieures.

Sans parler des autres écoles publiques ou des centres d'éducation à la santé que son volontarisme a permis de faire éclore. « Ces vingt ans qu'on a tellement critiqués et qu'on est en train de rayer d'un trait en donnant les clés du pays aux talibans avaient permis d'offrir aux femmes une vie digne de ce nom. Et à préparer l'avenir. On ne le dit pas assez, mais on avait, en Afghanistan, 40 % de filles scolarisées dans tout le pays, 60 %, dans les grandes villes, 27 % de députés femmes au Parlement, 3 gouverneurs de province femmes. Et des journalistes, des juges, des orchestres de femmes, qu'est-ce qu'on a pu en former… On a maintenant dans nos équipes une centaine de boursières en dernière année de médecine et on ne peut pas les faire sortir du pays. Que vont-elles devenir ? Une femme médecin, vous imaginez pour un taliban ? Elles sont terrorisées. »

D'autant que, ajoute-t-elle, les talibans sont plus forts maintenant. « Et ils sont revanchards, bien décidés à réaliser ce qu'ils n'ont pas pu faire entre 1996 et 2001 : un État officiel. À l'époque, Massoud résistait en effet dans une partie du territoire et les talibans n'étaient reconnus que par le Pakistan, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite. Là, ils sont presque adoubés par les chancelleries ! Les témoins nous indiquent qu'il y a de tout dans ces combattants : des Tchétchènes, des Syriens, des Libyens… Il faut qu'on arrête de dire que la situation est un problème afghano-afghan ou de faire des calculs politiques sur le fait qu'ils vont nous débarrasser de Daech. Pourquoi est-on si naïfs ? Ou cyniques ? Demain le pays sera le laboratoire mondial du terrorisme. »

Depuis Paris, bombardée de messages sur WhatsApp et Messenger qui lui transmettent les images terribles de la situation et le ressenti de ces jeunes filles, l'autrice de L'Insolente de Kaboul s'active pour les 400 000 déplacés, en panique dans la capitale : « Principalement des femmes et des enfants. Les filles et les hommes d'Afghanistan libres essaient de leur apporter des solutions pour l'eau potable, avec la peur au ventre pour eux-mêmes. Celles et ceux qui sont le moins exposés. Les autres, les plus identifiés, les professeurs, on leur demande d'essayer de se diluer dans la population. »

[…] C'est Nadia, 21 ans, moitié hazara, moitié tadjike, « grands yeux verts en amande », précise Chékéba. Cette jeune webmestre, qui concevait les sites Internet des petites boutiques de ce centre commercial de Kaboul où l'on trouvait robes de mariées et produits de beauté, est l'aînée d'une fratrie de 5 frères et sœurs qu'elle faisait vivre, sa mère étant veuve. Vraie musulmane, elle attendait que sa mère lui trouve un prétendant sur lequel, dans cette famille, elle aurait son mot à dire, et surtout qui accepterait de la laisser continuer à travailler et à donner la moitié de son salaire à sa mère. Et la voilà qui filme depuis la moustiquaire du balcon de l'appartement familial, dans une tour de Kaboul. « Tu vois, maintenant, c'est comme ça que je vais voir la vie : à travers ce grillage. » N'ayant pas travaillé pour une ONG occidentale, Nadia ne pourra accéder à aucune liste d'évacuation. Même situation pour Sharifa, la voix emplie de terreur et de larmes devant les images des drapeaux blancs frappés de la chahada (la profession de foi islamique), qui appelle juste après. « Et dire qu'elle confiait qu'elle avait tellement de chance de ne pas naître dans le pays quand ces drapeaux étaient noirs… »

Difficile en effet pour les Afghanes de croire que les talibans aient pu évoluer dans leur vision de la femme. Non seulement quand elles se remémorent les vidéos de flagellations en public et d'exécutions sommaires pour suspicion d'adultère (dont certaines n'ont pas cessé de filtrer depuis les zones qu'ils contrôlaient ces dernières années), mais quand elles se souviennent de ce qu'était la loi pour une femme : interdiction d'étudier et de travailler, port du tchadri (la burqa afghane) dès qu'elles sont en public, chaperon masculin de rigueur quand elles devaient sortir de la maison. […]

Et quand, de plus, vous avez œuvré aux côtés des Occidentaux, promu leurs valeurs « mécréantes » et que vos pages Facebook relatent votre engagement pour l'éducation, la liberté et les droits des femmes, les raisons de s'inquiéter sont grandes. « J'ai travaillé pour plusieurs ONG et sociétés privées afghanes et occidentales. Dès que j'ai su que les talibans étaient entrés dans Kaboul, j'ai détruit tous mes anciens contrats de travail et mes cartes d'identité. J'ai appris qu'à Kunduz et Takhar, les talibans fouillaient les maisons à la recherche d'anciens fonctionnaires, soldats ou policiers. J'ai peur qu'ils fassent la même chose chez moi », raconte Fawzia*.

« Depuis qu'ils ont pris Kaboul, les talibans répètent qu'ils veulent protéger la population, poursuit Shirin*, employée dans une université. Ils ont promis qu'ils ne s'en prendraient pas à ceux qui ont travaillé pour l'ancien gouvernement. Mais un fonctionnaire qui vivait dans mon quartier a été agressé par des hommes armés puis arrêté. On ne l'a plus revu. Des amis qui vivent dans la province d'Hérat, dans le Nord, m'ont aussi raconté que les talibans avaient fermé les écoles et les universités alors qu'ils affirment le contraire. Ils disent vouloir respecter l'honneur des Afghans, mais dans les provinces de Kunduz et Takhar, des témoins racontent qu'ils marient de force les filles de plus de 15 ans. J'ai deux sœurs dont une de 16 ans. Moi-même, je suis célibataire et j'ai peur. Ils peuvent faire ce qu'ils veulent de nous. »

Sima*, politicienne afghane, comptait sur son passeport diplomatique pour quitter le pays. « Je ne pourrai pas travailler ni même vivre dans un pays contrôlé par les talibans. » Quelques heures avant le décollage, elle apprend que son vol est annulé et contemple désormais son avenir avec effroi : « J'ai quitté ma maison pour me cacher dans un autre endroit. » Au-delà de son sort personnel, Sima s'inquiète du choc de ce retour au Moyen Âge dans un pays qui n'est plus le même qu'à l'instauration de leur régime, en 1996 : « Les mentalités ont beaucoup évolué depuis leur chute en 2001, en particulier dans la jeunesse. L'éducation des filles s'est développée. Les talibans vont-ils le comprendre ? Ou rétablir leur police de répression du vice et de promotion de la vertu ? »
*Les prénoms ont été changés. (2021, Le Point 2557, 42-46)

Pari*, étudiante afghane réfugiée en Inde.
« Voilà sept ans que je vis et que je fais mes études en Inde. J’ai été secourue par une ONG afghane quand ma mère a été condamnée à une peine de prison. Ma tutrice, qui est toujours à Kaboul, m’a confié qu’elle était incapable de dire de quoi l’avenir serait fait. Elle panique. Elle n’est pas mariée et les talibans enlèvent des jeunes filles célibataires. Je n’ai plus de visa pour l’Inde, mais il est hors de question que je rentre.
Ma seule option en tant que femme afghane, si je rentrais, serait de rester chez moi et de porter une burqa. Je me suis enregistrée comme demandeuse d’asile auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, en Inde. J’ai aussi déposé une demande de titre de séjour. On ne peut pas faire confiance aux talibans. Ils prétendent suivre la charia, mais quand je regarde les exactions qu’ils ont commises ces dernières années, je m’aperçois qu’ils ne se l’appliquent même pas à eux-mêmes. »
*Le prénom a été changé. (2021, Le Point 2557, 44)

Nadia Nadim vit pourtant aujourd’hui loin de l’Afghanistan. Elle est footballeuse professionnelle au Racing Louisville du Kentucky, aux États-Unis, après avoir joué au Paris Saint-Germain. Mais, à 33 ans, elle n’a pas oublié sa jeunesse. Vingt ans plus tôt, elle a fui la guerre civile dans la capitale afghane avec sa mère et ses quatre sœurs pour une « nouvelle vie » de réfugiée en Europe – au Danemark précisément, où la famille est arrivée par accident en 2000, laissée par un camionneur malhonnête au bord de la route alors qu’elle croyait débarquer en Grande-Bretagne. « Ma vie est comme un film, avec des scènes dramatiques, de suspense, mais aussi avec une pointe d’humour, parfois. » C’est ainsi qu’elle décrit son destin de « femme libre », sans voile ni burka, qui s’est battue pour réaliser ses rêves. Les talibans, elle les connaît, ils ont tué son père, Rabena Khan, un général de Najibullah. « Ils ont jeté sa dépouille aux animaux sauvages », raconte-t-elle dans son autobiographie Mon histoire, parue en 2018 au Danemark et sortie en France en juin. C’est ce père qui lui a transmis son amour du football. Elle perfectionnera son dribble au Danemark dans un centre de réfugiés, qu’elle décrit comme un endroit très heureux pour la petite fille qu’elle était. « Je venais d’un pays dans le chaos où j’avais vu des choses horribles que les enfants ne devraient pas voir. Et puis j’ai atterri dans un endroit où il y avait la paix et où nous pouvions être à nouveau des enfants. »

Même au Danemark, elle suscite la réprobation du milieu afghan quand elle joue, ado, avec les garçons dans l’équipe de son école « pour progresser plus vite ». « Bien sûr, il ne faut pas oublier ses racines, sa culture ou ses traditions », dit-elle. Mais les parents doivent apprendre à montrer plus de confiance envers leurs filles. » Elle est pleine de reconnaissance à l’égard du Danemark, qui lui a offert une seconde chance dans la vie. « Les talibans m’avaient volé la première. »

La petite fille de Kaboul qui courait derrière un ballon est devenue une star du foot mondial. Elle est rapidement repérée par des clubs étrangers (Sky Blue et Portland, Manchester City et le PSG). Elle passe trois saisons dans le club parisien et obtient le titre de championne de France, une première pour le PSG. En équipe nationale danoise, elle est devenue la coqueluche du public, elle compte 99 sélections et 38 buts. Élue « Danoise de l’année » en 2017, elle accumule les distinctions comme celle de championne de l’Unesco pour l’éducation des filles et des femmes en 2019. Elle prendra bientôt sa retraite des terrains, mais elle a déjà pensé à sa reconversion. Elle poursuit en parallèle des études de médecine et veut devenir chirurgienne. Une belle revanche sur ses tortionnaires talibans qui voulaient l’empêcher de travailler. (2021, Le Point 2557, 46)


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 Sujet du message: Re: Afghanistan : 20 ans après
MessagePosté: Lun 15 Nov 2021 19:39 
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Avis très intéressant : des talibans qui se coucheraient devant les grandes puissances pour ne pas les agresser ; qui continueraient de travailler avec Al-Qaïda et donc contre l'EI qui n'en peut mais partout ; Al-Qaïda qui cesserait sa politique d'attaque des USA et comparses occidentaux (alors que son courroux principal était la présence de soldats impies en Arabie saoudite en 1990).

Je note aussi que les djihadistes français auraient, avec leurs acolytes de l'EI, tous trahi Al-Qaïda - les voilà en difficulté, ne leur restant plus qu'Erdogan.
Citation:
Le Point : Les talibans triomphent et personne n'avait anticipé un succès aussi foudroyant. Le mouvement est-il uni ou bien reste-t-il sous l'influence de différentes factions ?

Wassim Nasr : Ils sont assez unis. Les talibans ont un commandement clair et identifié. Ils avaient même dans chaque province d'Afghanistan une sorte de gouverneur fantôme, qui remplaçait les gouverneurs officiels dès qu'ils contrôlaient une région. Bien sûr, comme dans tout mouvement, il y a des courants, le fils Haqqani n'est pas dans le même groupe que le fils du mollah Omar. Mais ils travaillent ensemble et aucune divergence notable n'est apparue lors des négociations à Doha, au Qatar. Seule petite entorse : quand le commandement central a ordonné aux combattants de ne pas entrer dans Kaboul, le dimanche 15 août, certains chefs opérationnels n'ont pas pu s'en empêcher.

Les talibans assurent qu'ils n'ont rien à voir avec Al-Qaïda, que c'est de l'histoire ancienne. […]

Leurs liens sont en réalité encore très solides. Al-Qaïda considère que cette victoire est la sienne. Toutes les branches d'Al-Qaïda, sans exception, ont prêté allégeance à l'émirat islamique des talibans : le GSIM [Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans, NDLR] au Mali, Aqmi au Maghreb, etc. Quand un émir d'Al-Qaïda prête allégeance, il a toujours un mot dans son discours pour les talibans. Des éléments d'Al-Qaïda ont participé à la campagne militaire qui les porte aujourd'hui au pouvoir, c'est certain. Mais les talibans préfèrent rester discrets là-dessus. Si on écoute leurs porte-parole, qui s'expriment en anglais à destination des médias occidentaux, ils disent qu'Al-Qaïda, c'est du passé, que leurs relations remontent à l'époque de Ben Laden. Mais dans leurs communiqués en arabe, en pachtou et en ourdou, ils n'ont jamais renié Al-Qaïda. D'ailleurs, le chef d'Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, avait félicité les talibans lors des négociations avec les Américains à Doha, au Qatar. Il sait bien qu'il ne pourrait pas survivre sans eux. […] En revanche, on sait qu'il se trouve quelque part entre le Pakistan et l'Afghanistan. Il devrait voir revenir « au pays » une partie des commandants d'Al-Qaïda, qui s'étaient réfugiés en Iran.

Et l'État islamique (EI) dans tout ça ? On a cru à un moment qu'il allait supplanter Al-Qaïda en Afghanistan…

Il n'en a jamais eu les moyens, mais l'EI conserve une grosse force de frappe dans le pays. Les derniers attentats à Kaboul, dont certains comptent parmi les plus sanglants de l'histoire de l'Afghanistan, ce sont eux. Les membres d'Al-Qaïda ont pu être jaloux de leur réussite au moment du « califat » en Irak et en Syrie. Mais ils ont vu dans la mort de leur leader, Al-Baghdadi, et dans leurs revers militaires un message divin : la preuve que Dieu est avec Al-Qaïda, et non avec l'État islamique.

Y a-t-il des combattants français aujourd'hui en Afghanistan ?

Pas dans les rangs des talibans. Ceux-ci sont majoritairement composés de « locaux ».

Et dans les rangs d'Al-Qaïda ?

C'est possible, mais pas à ma connaissance.

On dit que certains des djihadistes les plus dangereux au monde étaient détenus dans la prison de Bagram. Que sont-ils devenus ?

La plupart des gros bonnets se trouvaient dans cette prison de haute sécurité. […] Depuis que les talibans se sont emparés de la prison, elle est désormais ouverte aux quatre vents. La principale figure qui a été libérée, c'est Maulvi Faqir Mohammed, le cofondateur du Mouvement des talibans au Pakistan, ou TTP. […] Ce qu'on sait, c'est que les chefs de l'État islamique qui étaient détenus à Bagram n'ont pas été relâchés par les talibans. L'émir de l'EI dans le pays, Abu Omar Khorasani, qui était détenu dans une prison de Kaboul, a même été abattu ! Les autres ont été placés « en lieu sûr ». Un gage de bonne volonté envers les Américains ? Une future monnaie d'échange ? […]

Pour le grand public, les talibans restent associés au 11 Septembre et à Oussama ben Laden. Quel rapport entretiennent-ils encore avec cette grande figure du djihadisme ?

Il faut se rappeler qu'ils ont tout perdu pour lui. À la fin des années 1990, les talibans contrôlaient une bonne partie du territoire afghan et commençaient à discuter avec d'autres pays. Le 11 Septembre arrive et vient balayer tout ça. Ils ont été pris de court par Al-Qaïda mais ils ont refusé de livrer Ben Laden aux Américains, préférant être chassés du pouvoir plutôt que de se renier. Ça fait partie de leur fierté, ils n'ont pas livré un musulman aux mécréants.

Comme à l'époque de Ben Laden, l'Afghanistan va-t-il redevenir la base arrière des djihadistes du monde entier ?

Comme dans les années 1990, les talibans sont revenus au pouvoir à Kaboul. Sauf que, cette fois, ils contrôlent tout le pays. Sont-ils prêts à sacrifier à nouveau ce qu'ils ont accompli pour plaire à Al-Qaïda ? Je ne le crois pas. D'ailleurs, dans les négociations à Doha, ils ont dévoilé une partie de leurs intentions. Aux Américains, ils ont dit : nous garderons Al-Qaïda sous cloche et nous combattrons l'État islamique. Aux Chinois, ils ont dit : nous empêcherons le Parti islamique du Turkestan [PIT, ouïgour, NDLR] de s'attaquer aux intérêts chinois. Aux Russes, ils ont dit : nous tiendrons la frontière avec les anciennes républiques soviétiques pour empêcher l'EI de s'y développer. Alors, certes, les talibans hébergent Al-Qaïda, mais ils veulent surtout prouver leur respectabilité. Ils affirment qu'Al-Qaïda n'est plus celui de Ben Laden, qui était focalisé sur les attentats en Occident. Rappelons que le dernier gros attentat d'Al-Qaïda en Occident remonte à décembre 2019. Il s'agit d'une fusillade sur la base militaire de Pensacola, en Floride. Avant ça, c'était l'attentat de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, avec les frères Kouachi, qui s'étaient réclamés d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique au Yémen. Depuis, c'est surtout l'EI qui a frappé l'Occident. Les talibans le savent bien… (2021, Le Point 2557, 47-48)


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