Artigas a écrit:
Marocain a écrit:
bonjour,
j'aimerais avoir votre avis sur le coup d'état militaire en Egypte et l'arrêt du processus démocratique.
ce que j'en pense :
l'occasion était trop belle de démontrer au monde à quel point le programme des islamistes est un non-sens et est surtout incapable de règler les problèmes de l'Egypte moderne (chômage, crise économique, sur-population, corruption, délinquance, agressions sexuelles, etc..).
Mais les militaires ont empêché la démonstration d'aller à son terme.
Paradoxalement, en s'imposant et en arrêtant le processus démocratique, les militaires sauvent la mise des islamistes:
[...]
bref, ce coup d'état est la pire chose qui puisse arriver a l'Egypte, la crédibilité des islamistes restent intact alors qu'elle était en passe de se déteriorer auprés des couches populaires.
Ils apparaissent comme les victimes, et il est peu probable que l'armée abandonne son pouvoir.
Bonsoir, affirmer qu'une part importante de la population égyptienne continuera à penser que l'islam est la solution n'a pas vraiment de sens. La réalité sur le terrain semble plus nuancée, voire plus complexe. Il semble y avoir désormais deux Egyptes entre modernistes qui sont descendus par milliers dans les rues et les partisans des frères musulmans qui semblent minoritaires.
Je pense que la démocratie n'est pas la priorité des Egyptiens. Elle constitue une finalité pour les libéraux et une étape pour les ultraréactionnaires (parce qu'ils comptent sur leur agit-prop et sur le poids démographique de leurs partisans).
L'Egypte poursuit une logique révolutionnaire qu'elle a entamé après le passage de Napoléon (avec une première et longue phase souverainiste et indépendantiste consistant d'abord à se débarrasser des Ottomans avec les pachas, puis des Anglais, puis des pachas qui étaient d'origine albanaise, puis des Soviétiques). A présent, deux camps politiques s'affrontent dans une épreuve de force pour décider l'avenir politique du pays et l'un des deux camps doit finir écrasé par la force.
Je reprends l'expression d'Artigas des "deux Egypte". L'Egypte presque souveraine (dans l'étroite limite de son manque d'autonomie économique) comporte actuellement deux grands blocs politiques opposant des modernistes à des ultraréactionnaires.
Les ultraréactionnaires sont la large cohorte des intégristes sunnites qui, pour des raisons de pouvoirs et d'intérêts personnels (imams, patriarches, matrones, phallocrates...), ne veulent rien concéder à la modernité (libéralisation des individus). Ils pensent même qu'un islam totalitaire soulageraient l'Egypte de ses plaies.
Les modernistes regroupent des libéraux, laïcs, non musulmans, bref une clique d'individus et communautés qui a compris que non seulement les archaïsme égyptiens (ou, plus largement, arabo-musulmans) les écrasaient mais en plus appauvrissaient l'Egypte et sa population.
Les modernistes étaient prêts à composer avec les ultraconservateurs (ils les ont supporté un an) mais ont compris que les ultraconservateurs ne feraient pas de compromis à long terme. Ils entrent alors dans une logique de guerre civile : modernistes et ultraconservateurs vont devoir écraser, jusque physiquement, le camp adverse jusqu'à ce que l'un des deux camps cède. En Iran, c'étaient les ultraconservateurs qui l'emportèrent (320.000 morts). En Algérie, les conservateurs (la mafia clanique en place qui n'est ni moderniste, ni ultraréactionnaire) ont remporté une victoire temporaire (178.000 morts, les ultraconservateurs ont abandonné la lutte en 2004 avant leur élimination totale). En Syrie, la guerre est en cours.
Je pense qu'en Egypte les ultraconservateurs, déjà écrasés à maintes reprises, se rendent compte qu'ils n'ont pas les moyens de purger l'Egypte de ses modernistes, tandis que les deux blocs réalisent à nouveau que les modernistes ont de quoi purger le pays de ses ultraconservateurs. Je pense également que la société égyptienne est à peu près unifiée d'un point de vue tribal (coptes et bédouins du Sinaï sont à part) et que les antagonismes entre les deux blocs politiques ne se nourriront pas de clivages ethniques, tribaux et religieux comme en Algérie, Libye, Liban, Syrie et Irak.
Cela dit, l'Iran est ethniquement assez homogène et a quand même connu une sordide épuration, mais il est vrai que c'était les ultraconservateurs qui avaient gagné. Je crois que les modernistes égyptiens ne répéteront pas les mêmes erreurs que ceux d'Iran, qu'ils ont compris à quelle tyrannie ils avaient affaire.