carlo68 a écrit:
Mais enfin pourquoi toujours parler de Chiites contre Sunnites?
Par simplification. Généalogies plutôt chiites contre généalogies sunnites. Généalogies contre généalogies, surtout ; les étiquettes, c'est pour la gloriole. Si les Arabes étaient majoritairement chiites, les Persans seraient sunnites, c'est comme les concurrences religieuses entre chrétiens.
carlo68 a écrit:
Aujourd'hui les Turcs réactivent le conflit dans le Karabagh où des Arméniens chrétiens combattent des Azéris chiites et où l'Iran et le soit-disant croissant chiite soutient plutôt les Arméniens.
Bon, c'est Erdogan, il se croit plus malin que les autres, il vient de se rabibocher avec les Israéliens après ses harcèlements de "flottilles de Gaza", c'est vraiment n'importe quoi.
Pour le pantouranisme, les Azéris sont des turcophones, donc des "cousins". C'est toujours la généalogie qui prime. Pas la réelle, d'ailleurs, qui nous rend tous cousins, mais la généalogie fantasmée dans ce proverbe arabe, "Moi contre mes frères, mes frères et moi contre mes cousins, mes cousins, mes frères et moi contre les autres". Dans un monde de plus en plus interdépendant, ce genre d'intentions crypto-génocidaires trouvent rapidement leurs limites temporelles, car on ne se bat plus pour des tentes et les maigres ressources d'oasis entourés de désert.
carlo68 a écrit:
Là c'est la culture turque qui unit au-delà des différences sunnites-chiites.
Plutôt le fantasme de communion généalogique, "tous issus d'un grand et lointain ancêtre", en général mâle et rejeton d'une divinité, et même si on l'a oublié avec le monothéisme des générations ultérieures, ce genre de prétention traîne toujours dans l'héritage, avec la hantise des bâtardises, le "sang" et le certificat de paternité. Les dynasties germaniques, les empereurs-dieux romains, les Arabes, les Turcs, on a là un cliché transculturel rémanent.
carlo68 a écrit:
Al nosrah reprends un village en Syrie tenu par e.a. le Hezbollah libanais et parmi les morts libanais, surprise: un Sunnite... Un pilote de sukhoi est abattu au-dessus d'Alep? Il est sunnite, tiens ce ne sont pas seulement des troufions.
Des individus se "désunniseront" et rallieront des causes plus efficaces. S'ils perdent, ce seront des "collabos" et des "traîtres à la cause", s'ils gagnent, des "lucides" qui pourront, au mieux, fusionner avec les lignages des vainqueurs, au pire, rester suspects, comme les musulmans andalous convertis au christianisme ou les Israéliens musulmans.
carlo68 a écrit:
Nous considérons le régime syrien comme Alaouite, donc comme chiite, sans tenir compte du fait que les Chiites ne considérent les Alaouites comme Musulmans que depuis peu. Les Alaouites se présentent eux-mêmes comme des Chiites duodécimains sans trop y croire, ils épousent des sunnites et ne cherchent en rien à les convertir. La société issue de la dictature alaouite est en fait fondamentalement laïque. D'ailleurs la polarisation "religieuse" en Syrie n'a été possible que par l'injection massive d'éléments djihadistes.
Ce qui importe, ce sont les luttes entre soi-disant lignages, la "famille".
carlo68 a écrit:
Je pense qu'il est important d'envisager le conflit en Syrie dans son contexte régional, car sans l'intervention de puissances régionales il n'aurait pas pris la dimension que nous lui connaissons.
Vous oubliez toujours qui appuie sur les gâchettes. On ne dédouane pas une population entière juste à cause d'influences extérieures. Oh ! la répression coloniale ? Oui, mais influence régionale. Guerres mondiales, totalitarismes en Europe centrale et orientale ? Oui, mais influence extérieure. Ah ben, ce n'était pas de leur faute, alors. Les guerres indiennes, influence extérieure, l'esclavagisme, demande extérieure, les guerres de religion, influence régionale. Ce n'est plus la main qui tue, ni l'homme au bout de la main, ce sont les influences extérieures. Ça ne sert à rien, le TPI, il ne traque pas les influences extérieures.
Je crois au contraire que ça faisait des siècles que certains Syriens rêvaient de s'entretuer et que l'absence de police impériale (Ottomans, France, URSS) les livre à eux-mêmes. Les Marocains aussi vivent les influences extérieures, les Jordaniens aussi, les Omanais également, le Malawi aussi, le Canada encore. Pourquoi ne se livrent-ils pas à une tuerie interne ?
Je crois au influences locales récurrentes et déterminantes. C'est quand même bizarre que dans les mêmes circonstances certaines régions réagissent toujours avec les mêmes degrés de violence quand d'autres y échappent toujours. C'est quand même bizarre que la Libye assemblée par les Italiens se fissure entre villes autrefois ennemies. C'est bizarre que ces petites localités syriennes en guéguerre perpétuelle quand elles ne sont pas soumises à des dominations externes se livrent encore et toujours des conflits de clochers.
Ce qui a changé, et pas que régionalement, c'est que l'importation alimentaire permet d'alimenter des millions de Syriens en trop, et que la technologie leur permet de s'entretuer plus vite, et qu'ils vont en 2-3 générations intégrer dans leur logiciel familial quelques paradigmes modernes : "la nouvelle guerre, ça fait mal", "la virilité avec une mitraillette, ça fait mal", "le F-16, ça fait mal", "l'anarchie et la famine, ça fait mal". Alors, ils composeront, comme nous, de nouvelles morales plus prudentes. Ils sont passés du sabre ou du tromblon à la TNT sans avoir jusqu'ici testé la différence, sinon dans des guerres inégales comme au Liban, à Hama et en Irak ou très limitées, contre Israël et la Jordanie. Si ça a pu calmer la France et les Russes, la relativement douce Syrie se lassera vite des nouvelles formes de guerre.
Surtout les sunnites. Les sunnites ont trop glorifié la guerre, ils ne commémorent que leurs vieilles victoires. Chaque conflit armé les accule et les astreint, ils vont finir par détester la guerre et se faire hippies. Depuis qu'ils sont déclassés par les Européens, ils ne prospèrent et ne se renforcent qu'en paix et par la paix, où ils excellent par leur négoce et leur natalité.
carlo68 a écrit:
Dans ce contexte, le "tribalisme" me parait un facteur franchement très mineur et plutôt stabilisateur que perturbateur.
Quand on abandonnera le concept de "cousins" entre sunnites, je vous croirai.
carlo68 a écrit:
Certainement la diversité des identités culturelles n'a pas simplifié la situation, mais elle ne me parait pas, en soi, la cause principale du conflit en cours.
Je suis d'accord avec vous, j'évoque plus volontiers la domination humiliante d'une tribu et de ses complices de tous clans sur une population (la majorité soi-disant "sunnite") désœuvrée et privée de sa souveraineté et de sa fierté.
carlo68 a écrit:
Cause qui se situe plus probablement dans la volonté de domination de diverses puissances régionales, dans une redistribution des cartes après la chaos de la désétatisation (politique et économique) de l'Irak.
Les seuls étrangers qui tiennent des fusils et ont envenimé la situation en Syrie sont des djihadistes. Après, il y eut les Russes, les Turcs et d'autres pays arabes, puis des Occidentaux. Mais ce sont bien des Syriens qui ont tiré sur des Syriens en premier, et rien d'étranger ne les y astreignait.
Enfin, si les Syriens (et le reste des hommes) n'étaient que des décérébrés sans indépendance d'esprit et sous influence étrangère, leur destin me serait aussi indifférent que celui d'astéries livrées aux pales d'une hélice. Foin des zombies, il y en a déjà plein les écrans.