« Vous êtes tous des Arméniens, sortez qu’on vous attrape ! » Avec Erdogan, l'armée turque a une curieuse manière de commémorer des génocides de 1915 officiellement niés... Décidément, les fondamentaux de l'Empire ottoman échappent à Erdogan :
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« Ils étaient une vingtaine et ressemblaient à des Rambo », dit-il. […] C’est là que les snipers se postaient. […]
Après neuf jours de siège, Cizre panse ses plaies. La ville turque de 120 000 habitants, située à 2 kilomètres de la frontière syrienne et à une trentaine de la frontière irakienne, sort d’une punition collective. Un déluge de feu infligé par Ankara. Son péché ? Être le berceau des Kurdes de Turquie. Ceux du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), interdit dans le pays. […] C’est aussi la région des combattants qui partent lutter contre Daech de l’autre côté de la frontière. Ceux-là mêmes qui ont chassé l’an passé l’État islamique de Kobané, en Syrie, avec l’aide de l’aviation américaine. Des rebelles loués par l’Occident pour leur bravoure.
Or les voilà aujourd’hui pilonnés par les canons turcs ! Un châtiment voulu par le président Recep Tayyip Erdogan, 61 ans, effrayé à l’idée de voir les Kurdes établir une région autonome entre la Turquie et la Syrie. L’intéressé tente aussi un coup machiavélique : remporter les législatives de novembre en rallumant la guerre contre le PKK. Un conflit vieux de trente ans et susceptible de souder son opinion nationaliste. Fort d’une majorité absolue, il prévoit ensuite de changer la Constitution et d’introduire un régime présidentiel selon la « tradition turco-ottomane ». Autrement dit, installer des institutions à sa botte et s’ériger en nouveau sultan. « Il pourra ainsi étouffer les dossiers de corruption qui ne demandent qu’à sortir », souligne Ahmet Insel, professeur de sciences politiques à l’université de Galatasaray, à Istanbul.
Pour l’heure, le scénario fonctionne. Sa campagne contre le PKK ne suscite qu’un silence gêné de Washington et des capitales européennes. Le président turc, il est vrai, a su amadouer son partenaire américain en lui concédant l’utilisation d’une base aérienne non loin des fiefs de Daech. […] Au moment où la Turquie, membre de l’Otan et candidate à l’Union européenne, doit combattre Daech aux côtés de ses alliés, Erdogan envoie ses F16 bombarder les villages kurdes. Depuis deux mois et demi, l’aviation turque a effectué trois sorties contre l’EI et plus d’un millier contre le PKK. Parmi ses cibles : les villes de Diyarbakir, Silvan, Hakkari et même les montagnes du Qandil, en Irak. Avec parfois des mises en scène sordides. A Sirnak, un véhicule militaire a traîné sur plusieurs centaines de mètres le cadavre d’un Kurde de 24 ans. Pour l’exemple. Certes, en face, le PKK riposte. Et multiplie les assassinats de militaires. […] Mais si cette guerre continue, la Turquie est menacée d’éclatement. » Témoin, l’attentat survenu à Ankara au cœur d’une manifestation prokurde (97 morts) et dont on ignore qui sont les commanditaires. […] Pas de quoi troubler le président Erdogan. « Nous avons tué plus de 2 000 rebelles et nous n’arrêterons pas », prévient-il.
Des rebelles ? Possible. Mais surtout des civils. Il suffit de sillonner Cizre et de longer ses façades criblées d’impacts de balles et de roquettes. […] Ce jour-là, elle entend aussi des voix dans les haut-parleurs. « Vous êtes tous des Arméniens, sortez qu’on vous attrape ! » Deux cents véhicules blindés et 5 000 membres des forces spéciales fondent alors sur la ville. On compte les premiers morts.
Au troisième jour du siège, Cemile Cagirga, 10 ans, s’écroule devant son portail. Il est 20 h 30. La balle d’un sniper lui a perforé l’aisselle. « Elle m’a dit : “Oh, maman !” et elle est morte, raconte sa mère, Emine. […] La famille appelle une ambulance qui ne viendra pas, bloquée par les barrages militaires. […]
« Ceux qui sortent de chez eux sont des terroristes ! » assène pourtant Erdogan à la télé. Il en sera ainsi du vieux Mehmet, 75 ans, décidé à braver le couvre-feu pour aller chercher du pain. […]
Durant neuf jours, Cizre vit coupée du monde. Privée d’eau, d’électricité et de téléphone par l’armée. Des familles se terrent dans les caves, puisent dans leur réserve de riz et distribuent à chacun un demi-verre d’eau par jour. […]
L’armée prétend avoir tué 40 combattants du PKK, mais la population recense la mort de 21 civils. […]
Du coup, dans la crainte d’un nouvel assaut, Cizre se barricade. « La police n’a plus accès à 60 % de la ville », admet le député Faysal Sariyildiz. Tranchées, sacs de sable et blocs de pierre jalonnent les rues. La nuit, des jeunes cagoulés tiennent des check-points. « C’est la communauté qui m’a appris à m’en servir, dit l’un d’eux en brandissant un fusil de chasse. Mais je n’ai pas envie de rejoindre le PKK. »
[…] La ville se range sous la bannière du mouvement de guérilla fondé en 1978 et placé sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis et l’UE. […] « Le PKK n’est plus seulement dans les montagnes. Il est dans les villes. » […] « Il y a un an, ma fille m’a expliqué qu’elle ne supportait plus les crimes de Daech et qu’elle n’irait pas à l’université. Elle m’a laissé sa bague de fiançailles et son portable, puis elle est partie », raconte la première. […] « On était heureux de voir les Américains à nos côtés en Syrie ! Pourquoi ne nous protègent-ils pas contre Erdogan ? Lui et Daech, c’est pareil ! »
Et, pour prouver le pacte noué avec les djihadistes, il évoque la dernière trahison du « sultan » : le cas de six combattants kurdes soignés en juillet à Ankara et remis par des agents turcs au groupe extrémiste Front Al-Nosra au poste-frontière syrien. […]
Face à la menace militaire, Cizre se mure, mais elle entend aussi s’autogérer. Mehmet Tunch, 38 ans, camionneur, dirige un conseil de la ville autonome composé de 80 représentants. « En 2009, j’ai fait quatre ans de prison pour avoir tenté de le mettre en place, mais cette fois j’irai jusqu’au bout. Et tout ça ne m’empêche pas d’être un citoyen turc ! » poursuit-il en montrant sa carte d’identité.
[…] Depuis la fin des années 80, des dizaines de villages soupçonnés d’abriter le PKK ont été vidés de leurs habitants. « Dachto, Maidin, Charafi… C’est à deux heures de route au nord et l’armée nous interdit d’y retourner », se lamente le vieil Abdoul, lui-même chassé en 1985. Autre revendication : la reconnaissance de la langue kurde, toujours bannie des écoles publiques. […] Sans parler des religieux, enclins à pratiquer la grève des mosquées. « Je reçois des sermons en turc rédigés par Ankara. Moi-même je les comprends à peine. Comment voulez-vous que j’organise la prière ? » déplore le mollah Saleeh.
Dans la rue, les gamins refusent aussi les ordres d’en haut. « Je ne vais pas à l’école parce que je veux parler kurde », dit l’un d’eux.
2015, Le Point 2249, 54-59
Pourtant, le despote Erdogan, passé factuellement au grade de tyran, a bonne presse et les superficiels médias occidentaux ou les médias arabes sunnites sectaires ne brandissent pas ses massacres comme ils agitent les violences israéliennes ou d'el-Assad.
Au moins, l'armée turque est capable de s'ébranler de nouveau, qui frappe désormais les Kurdes en Irak. Erdogan massacreur, menteur et traître, un cliché de "tête de Turc" ?
Citation:
Ce sont les camions du soupçon. Quatre véhicules interceptés par la police à moins de 100 kilomètres de la Syrie et transportant des armes. Le tout escorté par le MIT, le service de renseignements turc. Destinataire supposé : Ahrar al-Sham, un groupe extrémiste lié à Al-Qaeda et présent de l’autre côté de la frontière. L’affaire, révélée en janvier 2014, déclenche alors la colère d’Erdogan. « Qui se permet d’arrêter des camions d’aide humanitaire ? » Une sortie qui ne trompe personne. Car les enquêtes des médias d’opposition confirment le jeu trouble du pouvoir avec les djihadistes. Exemples ? La contrebande du pétrole syrien contrôlé par les groupes radicaux et acheminé en Turquie, ou ces photos d’avril 2014 montrant un commandant de l’EI soigné dans un hôpital dans le sud du pays. Ou encore celles prises en 2012 lors d’une rencontre entre Erdogan et un ex-responsable financier d’Al-Qaeda. Il y a enfin une rumeur : le piège dans lequel serait tombée la Division 30, un groupe de rebelles modérés formé par Washington et massacré par le Front Al-Nosra… à partir d’un tuyau donné par des agents turcs.
2015, Le Point 2249, 57