Voici un extrait de l'interview de Sloterdijk que je mentionnais dans mon dernier message :
Citation:
Mais ne disiez-vous pas que la défaite peut être salutaire ?
Oui, à condition d’être acceptée pour ce qu’elle est. Or, pour les peuples qui ont perdu la guerre, la recherche des raisons de la défaite peu mener soit à l’autocritique, soit à une fuite en avant dont le XXe siècle fournit plusieurs exemples impressionnants. Après la Première Guerre mondiale, les Italiens se sont brusquement retrouvés dans le camp des vainqueurs sans avoir vaincu. Cette vittoria mutilata, cette victoire mutilée, a sans doute été le plus grand malheur politique du XXe siècle, car elle a déclenché la réaction en chaîne qui a abouti au fascisme. Le fascisme est une compensation malsaine que s’offrent les faux vainqueurs – ils projettent le style guerrier sur la vie tout entière en proclamant la mobilisation permanente. […]
Pendant les « années de plomb », la jeunesse allemande n’a eu de cesse de demander des comptes à ses aînés. Au point que vous parlez d’un « fascisme de gauche ».
La rhétorique antifasciste qui a dominé la sémantique de l’après-guerre a occulté la dimension violente du socialisme et du communisme. Les auteurs – comme Hannah Arendt – qui voulaient souligner les analogies entre fascisme et communisme ont proposé de regrouper les deux phénomènes sous le concept de totalitarisme. Il aurait été plus pertinent de parler d’une dimension fasciste généralisée, qui pouvait être de droite ou de gauche. Après sa défaite en 1918, l’Union soviétique a elle aussi choisi la fuite en avant pour maquiller la débâcle militaire en victoire révolutionnaire. Mais après 1945, la gauche européenne, embarrassée par son identification au régime le plus meurtrier de l’histoire, a imposé l’énorme mensonge qui consistait à faire passer le fascisme de gauche pour un antifascisme. D’où, en particulier, l’embarras de la gauche française, qui devait en outre soutenir la fiction d’une France victorieuse au côté de l’URSS.
Peut-être mais, dans votre schéma, la France aurait dû, après 1945, sombrer dans le fascisme. Or cela n’a pas été le cas. À moins, évidemment, que vous ne rangiez le gaullisme dans la catégorie des fascismes ?
Comme les Italiens en 1918, les Français en 1945 ont nié la réalité de la défaite, mais ils ont eu la chance d’être représentés par de Gaulle. […] Avoir une conscience vous interdit de vous battre la coulpe sur la poitrine des autres. Mais les gauchistes français ont choisi d’être des consciences pour se sauver et monopoliser le privilège de l’accusation.
Peter Sloterdijk, philosophe, Le Point 1892-1893, 92-93
Voilà pourquoi à mon avis les sociétés arabo-musulmanes dans leur ensemble, loin de percevoir leurs échec économiques et géopolitiques, s'obstinent dans une surrenchère autodestructrice de valeurs xénophobes et soi-disant traditionnalistes issues des thèses wahabbites.
Le Pakistan n'échappe pas à cette automutilation.