Fin du résumé de l'article ci-dessus:
Marc Sageman (déjà cité sur ce fil), psychiatre, ex-membre de la CIA et spécialiste du terrorisme, affirme que les théories qui réduisent l'explication du terrorisme à des facteurs individuels sont inadéquates: selon lui, seule une compréhension de l'impact du groupe sur l'individu peut éclairer sur les causes du terrorisme. Les politologues spécialistes du terrorisme sont ainsi essentiellement d'accord pour reconnaître que la justification des actes terroristes par une doctrine religieuse ou politique est toujours considérablement amplifiée par une dynamique de groupe: elle rend les individus plus audacieux, les désinhibe moralement et les rend capables de commettre des actes qu'ils auraient été incapables de commettre seuls. Une explication--ce n'est pas la seule--est que les membres d'un groupe ont davantage tendance que les individus isolés à prendre des risques parce que le risque est ainsi perçu comme partagé, et donc moins effrayant. Et si le groupe se radicalise, l'individu est quasiment contraint de se radicaliser avec lui, pour ne pas perdre l'approbation de ce groupe; il subit ainsi une pression considérable pour rester en accord avec le consensus en vigueur, ce d'autant plus que ce groupe lui fournit soutien affectif, camaraderie, sécurité morale et donne un sens à sa vie, toutes choses qu'il craint de perdre.
Le groupe devient d'autant plus soudé qu'il est isolé et menacé: la réthorique antiterroriste syle Bush "smoke them out, get them running and bring them to justice" contribue à unifier le groupe et à lui attirer des sympathisants, de même que les invasions et les campagnes contre lui. La plupart des groupes terroristes s'effondrent suite aux dissenssions internes mais les groupes forcés à la clandestinité, coupés des groupes concurrents et des opinions de l'extérieur développent des liens très forts. L'identité et la moralité d'un membre d'un groupe mené par un individu charismatique sont subordonnés à ce groupe.
Dans un livre publié en 2008, le Pr. John Horgan, Directeur du International Center for the Study of Terrorism de l'université Penn State, a rassemblé les récits de 29 ex-terroristes, issus de l'IRA ou d'AQ; il a découvert que, dans tous les cas, pour passer à l'acte les terroristes devaient croire que la violence contre un ennemi n'était pas immorale mais qu'ils avaient aussi des limites internes individuelles qu'ils ne découvraient généralement que lorsqu'ils bien impliqués dans un groupe. Des terroristes de l'IRA acceptent de tuer des soldats, même hors service, mais refusent de tuer des animaux. Un autre membre de l'IRA a quitté le groupe et s'est caché pour lui échapper lorsqu'un supérieur s'est vanté qu'en assassinant une femme policier enceinte, on "en aurait deux pour le prix d'un". D'autres terroristes interviewés par Horgan expriment leur désillusion lorsqu'ils ont découvert que d'autres membres volaient ou braquaient des banques: moralement, ils acceptaient l'assassinat mais pas le vol.
David Rapoport, professeur de sciences politiques à l'université de Californie du Sud, spécialiste des questions de terrorisme et d'éthique, souligne que le point commun est un calcul éthique basé sur la notion que leurs ennemis ont fait quelque chose de si terrible qi'ils doivent être punis; leur objectif est de créer un monde dans lequel les innocents persécutés membres de leur groupe verraient enfin leurs droits reconnus mais pour ce faire ils doivent tuer d'autres innocents, détruisant ainsi leur propre rêve. Et donc de nombreux terroristes pensent que "le chemin du paradis passe par l'enfer". Pour pouvoir tuer, et donc violer leur propre code moral, les terroristes doivent penser qu'ils réaliseront une ''condition morale supérieure" pour le groupe ou l'ensemble de la société. De nombreux groupes se dispersent ou fractionnent sur des questions d'éthique.
Pour ce qui est des kamikazes, une fois engagés dans ce processus et assignés à leur mission fatale, il leur est très difficile de revenir en arrière. Ce sont des "walking martyrs", reculer serait honteux et humiliant. Fathali Moggadam, professeur de psychologie à l'université de Georgetown, parle d'un "escalier vers la terreur " pour décrire le processus de radicalisation. Chaque nouvelle marche rend l'évolution plus irréversible, il est de plus en plus difficile de faire marche arrière. L'interprétation du suicide dans l'Islam varie: le Coran l'interdit mais certains groupes disent que les kamikazes ne sont pas des suicidés mais des martyrs de la foi qui se sont sacrifiés et qu'il est honorable de mourir en combattant contre les infidèles. Des motifs individuels peuvent entrer en jeu: dévouement au leader, honneur familial, pression de l'entourage (cf kamikazes japonais), récompense et soutien de la famille après l'attentat. Le Pr. Kruglanski, professeur de psychologie à l'université du Maryland, souligne qu'il y a aussi une quête de sens à donner à sa vie dans ce choix, sens qui ne se réalise que dans la mort.
Le Pr. Horgan a étudié la sortie du terrorisme: il peut y avoir abandon de la violence sans abandon des vues radicales, ou ne intense désillusion peut se produire lorsque le terroriste, appâté par la promesse d'aventures excitantes et héroiques et la perspective de changer le monde, découvre la réalité de la vie des terroristes: passer des jours voire des semaines dans des "safe houses" à attendre, à ne rien faire sauf boire du thé et regarder la télé. Le terrorisme vécu, c'est surtout des jalousies et rivalités entre membres, des luttes intestines et beaucoup d'ennui. Ou si le terroriste continue à mener une vie apparemment normale, il doit mener une double vie et donner le change, ce qui est épuisant. Ou encore ses priorités peuvent changer: il veut fonder une famille, ou encore il peut réaliser que les objectifs du groupe sont utopiques ou contredisent ses valeurs morales personnelles. Une recrue d'AQ envoyé en Afgnanistan a été dégoûtée de ce mouvement en réalisant que les talibans enrôlaient de force des enfants et des vieillards, son image du mouvement comme noble, éthique et omniscient a été détruite.
http://www.nytimes.com/2010/01/10/weeki ... w.html?hpw