Le salon géopolitique de Passion-Histoire

D'une longue conversation avec un officier français de retour d'Afghanistan, je retiens quelques éléments qui rendent plus ou moins optimiste.

L'idée de base est qu'on ne fait pas de guerre mais plutôt une sorte de pacification. Il s'agit d'occuper le terrain par des opérations très visibles avec des moyens massifs (blindés, hélicos, avions) pour réconforter les Afghans qui nous sont favorables et décourager les talibans (qui ne sont pas idiots et n'attquent pas nos forces quand elles atteignent un certain volume). Si les Talibans attaquent (ce qui n'arrive guère qu'une fois par semaine pour le contingent français - beaucoup plus en zone anglaise), on se défend en général en appelant l'aviation ou l'artillerie à l'aide - la priorité est évidemment qu'il n'y ait ni mort ni blessé chez nous.

L'objectif est qu'à terme (à long terme..) les talibans se découragent et que les Afghans pro-ocidentaux trouvent la force de combattre sans nous.C'est totalement contraire au "surge" que préconisent (et vont mettre en oeuvre les américains dans leur zone) et qui impliquent un engagement offensif massif de la part de l'OTAN.

La formation des unités afghanes est une gageure : d'abord parce que les officiers et sous officiers afghans ont souvent 10 à 20 ans de pratique de la guerre et n'ont plus vraiment besoin d'apprendre. En revanche ils auraient beaucoup à nous enseigner mais à Paris et à Washington nul ne veut le savoir car l'objectif n'est pas de combattre ni de gagner mais de pacifier en décourageant les uns et en encourageant les autres (voir paragraphe précédent).

Ensuite l'armée afgahne est très mélangée sur le plan tribal - alors que les tribus afghanes au minimum se méfient les unes des autres - voire se détestent profondément. C'est absurde, pour créer des unités efficaces, il faudrait de l'homogénéité ethnique.

De plus les occidentaux (et l'ANA) combattent selon des techniques américaines conçues pour la guerre en Europe (blindés, artillerie, aviation, etc ...) et qui sont assez peu adaptées à la guerre en montagne ou dans la neige. Le problème est que les américains ne savent faire que ça - 8 ans après le début de la guerre, ils n'ont toujours pas d'unités capables de combattre en montagne (le "mountain division" est équipée de chars et de blindés comme n'importe quelle division de l'US army) - sauf quelques "special forces" qui sont dévoyées de leur métier d'origine ....

Enfin, grâce à nos formations, les Afghans apprennent nos façons de concevoir et conduire nos opérations : toutes informations qui passent aussitôt chez l'ennemi au rythme des désertions ou des trahisons.

A noter aussi que l'emploi généralisé de l'anglais expose massivement les alliés à l'espionnage... avec un bemol : Les interprètes (dont environ le quart travaillerait pour les talibans) étant exclusivement formés à l'anglais même quand ils travaillent pour la France !, nos plans sont moins facilement compris et dévoilés par les espions.

Conclusion de cet officier : tant que nous seront là-bas en force, les talibans ne pourront reprendre le pays, si nous partions demain, Karzai ne pourrait pas résister plus de 6 mois ! si nous voulions partir et laisser derrière nous une armée afghane digne de ce nom, il faudrait revoir entièrement la conception de l'ANA ...

Dans ces observations, beaucoup a déjà été dit sur ce forum - mais il est intéressant d'entendre ces choses dites par des "acteurs" de ce "théatre".

Très intéressant.
Un point à connaître: Eikenberry, l'ambassadeur des Etats-Unis en Afghanistan, a envoyé il y a quelque temps (en novembre dernier je crois) différents mémos à BO, écrivant en substance qu'un surge dans ce pays n'était pas la bonne solution, qu'il fallait au contraire dissuader le gouvernement et l'ANA de compter essentiellement sur les troupes alliées pour maintenir l'ordre et affronter les talibans, comme ils le font maintenant, et donc viser à une réduction progressive des troupes pour laisser plus de responsabilités à l'ANA, même si sa préparation n'est pas parfaite.
Ces memos n'ont été rendus publics que récemment, et bien sûr BO n'en a pas tenu compte et a préféré écouter les militaires plutôt que le diplomate .

le monde du 29 janvier dernier publie une très longue interview du colonel durieux commandant le regiment de legion etrangere (de Nîmes ) qui livre son experience de l'afghanistan éclaire par la theorie clauswitzienne.

un aspect est developpe : celui du temps. les europeens sont engagés en afghanistan dans une guerre lonue de basse intensite sur le modèle mis en oeuvre en yougoslavie depuis 1992 visant à limiter la brutalité militaire pour permettre une solution politique.

l'us army de son côte developpe une vision plus brutale, purement militaire et sans souci de savoir ce qui se passera après la victoire.

Un autre témoignage est disponible sur la "toile" : l'audition du colonel Martini, commandant un OMLT en 2009: http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr ... 910022.asp


Quelques extraits significatifs:

"Il est difficile d’établir une typologie générale des insurgés : nous sommes confrontés à plusieurs types d’insurrections, qui mêlent étroitement délinquants et talibans. Pour dix insurgés, au sens large, on compte deux vrais talibans, convaincus et formés, et huit combattants intermittents ou contractuels qui viennent prêter main-forte contre rétribution ; la participation à la pose d’un IED par exemple est rémunérée entre 100 et 200 dollars, soit largement plus d’un mois de salaire. Les insurgés, constitués en groupes de 3 à 20 personnes, connaissent parfaitement le terrain qu’ils arpentent pour certains depuis plus de trente ans. Ils nous observent et connaissent bien nos techniques auxquelles ils s’adaptent très rapidement, ce qui nous contraint à des évolutions permanentes.

La faiblesse du gouvernement afghan tient essentiellement à celle de sa police, qui souffre d’un recrutement local et de soldes trop faibles, deux facteurs favorisant la corruption. J’insiste sur un point : les OMLT de formation de la police afghane (POMLT) ont un bilan très positif. On a observé dans la zone française une bonne coordination entre les unités encadrées par les OMLT et les forces de police supervisées par les POMLT. Des actions communes ANA-ANP crédibles ont été menées sous commandement français.

Le métier de soldat est, en Afghanistan, un métier comme un autre. Le choix répond à des raisons conjoncturelles. Il ne faut pas oublier la notion d’équilibre entre les personnes. Avant l’invasion soviétique, les individus se sentaient redevables envers leur famille, leur village puis leur ethnie. L’intervention a quelque peu modifié ces équilibres, par l’introduction de dépendances financières, de liens dus aux combats, de la corruption, etc. Une personne peut ainsi se retrouver redevable envers un taliban à travers un membre éloigné de sa famille. Il en vient à ne pouvoir refuser de poser un IED, action pour laquelle il sera en outre rémunéré. Il faut lui donner un métier, le faire participer à la construction d’une route afin qu’il refuse d’y poser un IED ou, au moins, puisse financièrement se soustraire à cette obligation.

La clef est économique. Si nous parvenons à donner du travail aux afghans, la rébellion se trouvera circonscrite au fond des vallées et nous aurons réussi : la population se rendra compte que grâce à l’État et à l’armée afghane, elle a retrouvé prospérité et sécurité."

Bâtir une économie ça ne se fait pas en claquant des doigts en même temps ...

Lord_Akhen@ton