Citation:
Ce qui inquiète beaucoup d'européens, c'est qu'il est évident qu'Erdogan veut faire entrer la Turquie dans l'Europe telle qu'elle est (nationaliste) et qu'elle devient (islamique) et non telle que les européens voudraient qu'elle soit:
C'est en effet mon impression; une chose m'a frappé dans cette affaire Rasmussen, qui met en évidence la différence entre islamisme (retour à une foi religieuse littérale et strictement observée) et fondamentalisme (utilisation politique d'une religion).
Erdogan a reproché à Rasmussen de n'être pas intervenu lorsqu'il était Premier ministre pour empêcher la diffusion de ces caricatures que certains musulmans considéraient comme une offense au Prophète; il a cependant accepté de transiger, acceptant la nomination du danois comme Secrétaire général de l'OTAN contre certains avantages politiques accordés à la Turquie.
Dans cette histoire des caricatures, iL a donc fait de ses convictions religieuses un "bargaining chip" (une monnaie d'échange?) dans une négociation pour obtenir des compensations de nature politique pour son pays (plus de pouvoir pour la Turquie dans l'OTAN et soutien des US à son adhésion à l'UE). Cette approche d'instrumentalisation de la religion à des fins politiques est selon moi caractéristique du fondamentalisme, chrétien ou musulman; un islamiste aurait tenu bon dans son refus, considérant qu'une offense au Prophète est une chose trop grave pour ainsi passer l'éponge, et que refuser Rasmussen était donc une question de principe.
Un individu qui refuse de transiger en ce qui concerne ses croyances est cohérent, sinon respectable: il peut être taxé de psychorigidité et d'intolérance mais pas de compromission morale. Erdogan, lui, semble avant tout considérer l'Islam non pas pour sa valeur religieuse et morale intrinsèque mais essentiellement comme une machine de guerre pour obtenir ce qu'il veut des occidentaux, et ainsi booster la puissance de la Turquie sur la scène mondiale.
Et bien évidemment, qu'Erdogan puisse avoir considéré comme une chose normale et faisable que le Premier ministre d'une démocratie puisse faire interdire la publication de telles caricatures dans la presse de son pays (saisir lesdits journaux, poursuivre les auteurs des caricatures? ) montre à quel point le Premier ministre turc reste étranger aux principes et modes de fonctionnements démocratiques fondamentaux, tels que le respect de la liberté de la presse.
Observant le retour actuel de la Turquie vers des traditions religieuses millénaires, on voit à quel point la volonté d'Ataturk de décréter la modernisation forcée de ce pays l'a peu changé dans ses profondeurs. Créer un homme nouveau est une entreprise très ambitieuse dans laquelle peu de leaders, aussi brillants et déterminés qu'ils soient, ont réussi.