Isidore a écrit:
L'utilisation du terme féodal me parait incongrue et inappropriée sur ce sujet. Il ne s'applique, si on veut l'utiliser à propos, que pour une situation relative à l'Europe médiévale même sur un plan symbolique.
Eh bien il existait des relations tout à fait comparables au Japon ou en Chine et je ne sais comment qualifier ou décrire cette inféodation ou cette vassalité des individus aux chefs de famille, des chefs de familles aux chefs de clan, des chefs de clan aux chefs de tribu, des chefs de tribu aux émirs, aux chefs religieux ou politiques qui guident la majorité des habitants du Moyen Orient.
Isidore a écrit:
Le terme asiatique n'est pas moins incongru.
J'entends que de Jérusalem à Tokyo en passant par Kaboul, Madras et Bangkok existent des rapports de soumission des individus à des groupes, qui restent méconnus aux Occidentaux individualistes et incompréhensibles aux universalistes. Cette inféodation est en Occident confinée aux mafias, et encore non sans mal. C'est un état d'esprit étranger au nôtre et les universalistes buttent toujours sur cette incompréhension.
Isidore a écrit:
Il existe DES sociétés musulmanes rendant les rapprochements difficiles. De plus il existe DES histoires et DES sociétés arabo-musulmanes pour traiter un ensemble supposément plus homogène. Donc attention à une approche ne serait ce qu'arabo musulmanes.
Il n'en existe pas moins des caractères communs aux habitants d'Occident, d'Afrique subsaharienne ou d'Amérique latine. L'inféodation des individus au groupe caractérise la majorité des habitants du monde arabe - musulmans ou non, d'ailleurs, comme le rappelle Marocain.
Isidore a écrit:
Maintenant il me semble que les sociétés maghrébines dans des situations politiques assez différentes sont en train de prendre leur propre chemin vers la modernité.
Elles n'ont cessé de le faire depuis la colonisation française.
Isidore a écrit:
J'aurais tendance à suivre des gens comme Kepel, Courbage et Todd (et probablement d'autres) qui voient dans l'islamisme actuel comme une crise de modernité du monde arabe. Pour aborder la modernité, occidentale et exogéne, il y a un recours à l'histoire et à la tradition.
J'interpréterais plutôt leur analyse comme Tonr :
Tonr a écrit:
Bien sûr. Si vous allez par là, on peut considérer les fascismes comme des modes d'adaptation de certains pays européens lents à s'unifier politiquement à la modernité.
J'y vois moins un chemin par la modernité qu'une réaction conservatrice des privilégiés (aristocrates) du monde arabe : les hommes, les chefs de famille, de clan, de tribu, de parti, les émirs, les imams n'entendent pas tous se laisser déposséder de leurs prérogatives par la libéralisation de leur société. Ils s'accrochent à leur pouvoir menacé en agitant toutes les traditions, toutes les superstitions, toutes les peurs qui peuvent les aider à se maintenir en place. Khomeyni, Ahmadinejad et Ben Laden comme Ben Ali, Moubarak ou el-Assad se posent en patriarches protecteurs, et promettent d'éviter au peuple les écueils de modèles domestiques (le fondamentalisme religieux) ou ressentis comme étrangers (le socialisme, le libéralisme).
Leur mouvement équivaut chez nous à la Restauration, aux sudistes américains, aux nationalismes et aux totalitarismes européens et asiatiques du XXe siècle, au pantouranisme turc, au racisme, à l'apartheid sud-africain. S'ils accompagnent la modernisation/libéralisation, c'est malgré eux, en dépit de toutes leurs énergies et parce que rien ne semble arrêter, à terme, la révolution libérale qui dépose les privilèges du groupe au profit des compétences et des mérites individuels.
Isidore a écrit:
Ces deux recours permettent de disposer de référence pour produire un discours d'accès à la modernité, le blindage de l'adolescent qui rentre dans la vie adulte (si on me permet le parallèle). Ainsi je ne pense pas qu'une voie islamique soit systématiquement une preuve de soumission à quelque totalitarisme que ce soit, mais plutôt le choix d'une tradition, aussi mythifiée, pour aborder la création d'un espace politique moderne. On a utilisé Vercingétorix, Clovis, St Rémi et les héritages de l'empire romain, parmi des dizaines d'autres matériaux, pour accompagner la création de la France moderne par exemple.
Les Malek Chebel et Dalil Boubakeur, qui sont d'authentiques musulmans libéraux et occidentalisés, sont les héros et les héraults des universalistes mais restent conspués par les fondamentalistes arabes.
Vous n'avez, Isidore, qu'une manière d'expérimenter l'état d'esprit de l'Orient dont je vous parle, qui semble vous échapper : allez insulter l'Algérie ou le FLN à Alger, brûlez un Coran dans une rue d'Hérat ou promenez-vous avec une femme tête nue à Téhéran et vous découvrirez que je ce que j'appelle vos espérances sont, dirait-on, anachroniques dans ces régions-là. Allez tout simplement flirter avec les filles de nos cités pourries sous le nez de leurs frères.
Vous niez ces états d'esprit que j'appelle féodaux. Vous y confronter peut s'avérer fatal. Vous et moi vivons avec "Lili" de Pierre Perret et "L'azziza" de Balavoine. Dans la réalité de l'Orient, les filles sont menacées de mort quand elles échappent à la domination des groupes familiaux, claniques, tribaux, nationaux ou religieux.
Isidore a écrit:
Je décèle ces mouvements au moins dans les trois pays maghrébins qui finalement vivent peu ou prou les mêmes aventures sans que cela soit vécu comme une trajectoire commune. Le Maghreb des révolutions comme il y eut 'Europe des révolutions. Les éléments de rapprochement n'interdisent pas des trajectoires très différentes vers la modernité, je prendrai comme exemple les cas pour le moins opposés du Royaume Uni et de l'Allemagne au XXème siècle.
Vous contez là l'inéluctabilité de la révolution libérale. Il existe quand même des détours dont, par exemple, les Cambodgiens ou les Allemands se seraient passés.
Isidore a écrit:
Ce chemin n'est pas forcément porteur de paix, d'équilibre ou de quelque autre résultat qui lui serait attaché avec certitude. Il ne conduit même pas forcément à une modernité qui soit si proche de la notre.
Là encore, je suis en complet désaccord. Il semble n'exister qu'un seul type de libéralisme qui lisse les sociétés libéralisées (USA, Japon, Allemagne, Taiwan, Pologne...), les élites intellectuelles du monde entier (notamment celles du Tiers-Monde)
et leurs valeurs vers un
modèle unique, n'entretenant que les folklores neutres ou utiles au développement socio-économique, anéantissant petit à petit toutes les traditions nuisibles.