Le salon géopolitique de Passion-Histoire

Il me semble nécessaire de consacrer un fil à la situation tunisienne.

Je vous propose de lancer le débat à partir d'un extrait d'un article du Figaro :

"Selon Karim Emile Bitar, une question essentielle se pose désormais : «cette révolution bénéficiera-t-elle à ceux qui l'ont faite ou va-t-elle être confisquée ?» Car derrière le départ précipité de Ben Ali en Arabie Saoudite, puis son éviction, il pourrait se cacher non pas une, mais deux révolutions : une révolution populaire et une révolution de palais. Autrement dit, l'armée, dont l'image n'est pas associée à la répression du régime de Ben Ali qui s'appuyait sur la police, était en désaccord avec le président sur sa manière de gérer les émeutes et aurait exigé son départ. L'armée pourrait donc jouer un rôle clé dans les jours à venir pour stabiliser la situation. «L'armée n'est pas politisée. Elle n'a pas joué le jusqu'au-boutisme en faveur de Ben Ali. » confirme Vincent Geisser."

La plupart des observateurs minimisent l'influence des islamistes : ils sont sans doute mal organisés mais ilsont un programme clair et une identité forte. L'opposition démocratique est marginale et divisée - quel est son programme ? Bien des benalistes peuvent se reconvertir à la démocratie sur le modèle de la Roumanie de 1990 ...

N'oublions pas non plus que l'origine de a crise est économique : comment protéger le modèle de développement de la Tunise face à la concurrence chinoise ?

Sur le plan géopolitique, la Tunisei avait conservé son indépendance face à ces dangereux voisins (Algérie et Libye) en optant pour un alignement quasi-total sur les pays occidentaux : un gouvernement démocratique pourra-t-il continuer ? des partis démocratiques peuvent ils gagner des élections sans présenter un programme "antisioniste" (selon l'expression consacrée dans le monde arabe) et anti-américain ?

En effet, y compris sur ce forum. Réflexion d'un tunisien, citée par un grand quotidien français: "on n'entend pas les islamistes, c'est suspect. Où se cachent-ils?"
Paranoia ou clairvoyance?

Article du Figaro sur le parti islamiste tunisien:

http://www.lefigaro.fr/international/20 ... amiste.php

Il semble exister un consensus parmi les observateurs pour exclure les intégristes musulmans (Ennadhah en Tunisie) des hypothèses électorales avec trois arguments : Ben Ali aurait bien fait son travail et démantelé toute infrastructure islamiste, l'expérience algérienne aurait porté (les Tunisiens veulent éviter la guerre civile), la société tunisienne (les femmes en particulier) serait plus moderne que le reste du monde arabo-musulman.

Ces arguments semblent cohérents et je connais trop mal ce pays pour les révoquer en doute.

Je note cependant qu'au-delà de l'islamisme se pose la question des programmes. Or je crains qu'il ne soit difficile de gagnr une élection en défendant l'alliance avec l'Occident (Etats-Unis ou même France) et en s'abstenant de critiquer Israel. Bref, si nous n'avons pas d'islamistes "pur sucre" nous aurons des démocrates qui par démagogie (ou simple réalisme électoral) seront conduits à afficher une certaine distance à l'égard des pays occidentaux.

Et n'omettons pas la dimension économique : ne risquons nous pas de voir surgir des programmes d'inspiration socialistes reposant sur l'alourdissement de la fiscalité et la redistribution de l'argent vers les classes populaires ? la Tunisie n'a pas de pétrole et un programme de type "Chavez" n'a aucune chance de réussir ... mais pourrait sans doute séduire le corps électoral ?

Je crois peu à une démocratisation de ce pays, la formation du gouvernement laisse les ministères clés au parti qui domine la vie politique depuis des dizaines d'années. La "révolution" est déjà confisquée et il ne reste plus qu'à la verrouiller. Un programme de libéralisation économique , de confiscation des biens de Ben Ali (vae victis) et empêcher l'augmentation des prix alimentaires devraient suffire à prolonger le régime sous une forme à peine modifiée. Je crois peu à une instauration d'un régime de type socialiste ou chaviste, le socialisme a échoué en Algérie et Chavez peut dilapider l'argent du pétrole pour soutenir sa politique ruineuse, ce que ne peut faire la Tunisie.

Vous voyez, je fais preuve de mon optimisme habituel.

Ditto. Que d'anciens ministres de BA allaient assurer l'interim était hautement prévisible, une classe de dirigeants politiques sort difficilement du néant.
L'étendue de la mise en coupe réglée de la Tunisie par l'intéressante tribu Trabelsi laisse réveur: voilà des gens qui non seulement manifestaient un sens de la famille exemplaire mais leur détermination féroce à s'enrichir par tous les moyens en fait aussi un exemple pour tous les authentiques néo-libéraux :
http://www.liberation.fr/monde/01012314 ... cleptodame

Je ne vois pas trop le rapport avec les neo-libéraux, m'enfin....

C'est plutôt le bon vieux népotisme qui existait à grande échelle déjà du temps de l'empire ottoman, et qui bloque le développement économique du pays. Quand il faut une foultitude d'autorisations et de bakchichs de tous ordres pour faire vendre des légumes dans la rue, arrive un moment où ça ne passe plus. Quand des Tunisiens montent des sociétés écran à Malte pour investir dans leur propre pays parce qu'on n'emmerde pas les boîtes étrangères, je n'appelle pas ça du libéralisme.

C'est de ça qu'est mort le régime, pas d'une aspiration brutale et soudaine à la démocratie.

Extraits d'un article du Figaro sur Ennadah ("http://www.lefigaro.fr/international/2011/01/16/01003-20110116ARTFIG00268-le-nouveau-pouvoir-tunisien-face-a-l-inconnue-islamiste.php")

Qui profitera du vide laissé par Zine el-Abidine Ben Ali ? Des civils, des militaires ou des islamistes ? Après vingt-trois années de pouvoir absolu, le président déchu laisse derrière lui un champ de ruines politique, la faiblesse de l'opposition laïque rendant aléatoire le succès d'une transition démocratique.

Le fait est cependant qu'Ennahda, contrairement au mouvement islamiste algérien, n'a jamais basculé dans la violence et que cette formation était et demeure jusqu'ici plus proche des islamistes modérés de l'AKP turc que des barbus algériens du FIS.

La Tunisie est un paradoxe. Sa classe moyenne et l'égalité juridique des femmes en font un modèle de modernité au sein du monde arabe. L'idéologie salafiste n'a guère d'assise sociale en Tunisie. Mais les acquis de l'ère Bourguiba, despote éclairé, ont été dévoyés par son successeur qui avait verrouillé tous les espaces de liberté. La vague de religiosité apparue ces dernières années, tout comme la violence de cette «révolution de jasmin» témoignent d'un profond malaise social. Ennahda a été décimé, mais les années d'humiliation endurées par le peuple tunisien pourraient renforcer son réservoir électoral. Les prochaines élections constitueront un test.

Une partie de l'opposition démocratique a mesuré le danger. Elle plaide depuis longtemps pour la réintégration d'Ennahda dans l'arène politique et s'est alliée aux islamistes modérés sur la base d'un «code de bonne conduite». "

On a vu les islamistes modérés au travail en Turquie. Moralité, l'entrée dans l'UE semble reportée aux calendes grecques(amusant, non ? )

Il n'y aura qu'un clignotant qui peut sembler dérisoire, mais qui ne l'est pas, pour mesurer l'influence des islamistes modérés ou non : est-ce que les Tunisiennes continueront à être en cheveu dans la rue et à se vêtir à l'occidentale

Tiens, le RCD, parti de Ben Ali, s'est vu exclure de l'Internationale Socialiste hier. Il y a des jours comme ça où j'ai une immense envie d'éclater de rire.

Tous unis, camarades de Gbagbo à Ben Ali pour l'avenir du genre humain.

Et dire qu'il y en a encore pour croire aux politiques.