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 Sujet du message: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 14:46 
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C'est ce que propose l'ancien directeur de The Economist dans un article dans la Stampa traduit sur le site PressEurop dont je recommande la lecture régulière :

Citation:
Les nouvelles frontières de l’Europe

Nul ne devrait s'étonner que le colonel Kadhafi, retranché à Tripoli et avec plus de la moitié du pays (en termes de population) aux mains de l'opposition, se refuse à accepter la logique morale ou pratique de sa situation. En plus de quarante ans à la tête de la Libye, il n'a jamais fait preuve d'instinct moral ni pratique sauf pour préserver son pouvoir.

Quoiqu'il en soit, […] les évènements d'Egypte, de Tunisie et maintenant de Libye causeront une surprise qui nous envoie loin dans l'avenir. Ce sont les conséquences pour l'Union Européenne de la révolution démocratique qui s'étend dans une grande partie de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Nous devons nous montrer patient avant d'évaluer jusqu'où ira cette révolution, comme nous l'avons été dans les premiers mois qui ont suivi la chute du mur de Berlin en 1989. Mais aujourd'hui comme à l'époque il est utile de réfléchir à ce qui va se passer et de faire des projets pour l'avenir.

L'évolution de l'UE s'est faite à partir d'une série d'idées qui semblaient tirées par les cheveux quand elles ont été proposées mais qui sont apparues par la suite comme inévitables. La prochaine de ces idées sera probablement l'élargissement de l'UE à la côte sud de la Méditerranée. Nul ne s'attend à une telle évolution actuellement : la France, l'Allemagne et plusieurs autres pays de l'UE ne peuvent même pas accepter l'idée d'une adhésion de la Turquie, qui est déjà une démocratie.

Elargir l'UE à la côte sud de la Méditerranée
Mais repensez au début des années 1990 : il est vite devenu évident que l'Europe occidentale avait vivement intérêt à favoriser la stabilité, l'amitié et le développement économique de ses voisins anciens satellites soviétiques. C'est ce qu'elle a fait au cours d'un long et lent processus qui a culminé par l'adhésion pleine et entière à l'EU de dix d'entre eux plus de dix ans plus tard. Tous les anciens satellites de l'Union Soviétique ne sont pas devenus des démocraties et tous n'ont pas rejoint l'UE. On verra probablement le même phénomène pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

Songez toutefois aux parallèles qui existent entre la chute de l'Union Soviétique, à l'Est de l'UE, et la chute des dictatures arabes de la côte méridionale de la Méditerranée. Comme après 1989, le réveil arabe d'aujourd'hui présente pour l'Europe un vif intérêt et une occasion historique qui deviendront de plus en plus évidents au fil des mois et des années à venir, pour le meilleur et pour le pire.

Les Etats-Unis sont confrontés à des problèmes militaires délicats dans la région et seront tenus pour responsable de ce qui se produira ou ne se produira pas en Palestine. L'Europe a, comme après 1989, essentiellement des liens économiques et culturels à offrir, ce qui est plus positifs. Les pays européens sont déjà les plus grands partenaires commerciaux de la plupart des Etats d'Afrique du Nord ; l'Italie a des relations privilégiées en matière de gaz et de pétrole avec la Libye et l'Algérie par exemple. La logique de ces liens ne peut pointer à long terme que dans une direction : l'adhésion à l'UE, sous une forme ou une autre, de certains pays nord-africains.

Vers une Union européenne et Méditerranéenne

Plus qu'une adhésion pleine et entière telle qu'on l'entend aujourd'hui, on aura probablement une nouvelle sorte d'union qui connaîtra plusieurs formes d'adhésion. C'est déjà le cas actuellement avec la zone euro, qui ne regroupe que certains des 27 membres de l'UE, ou l'espace Schengen.

Il faudra donc trouver une nouvelle formule pour permettre l'intégration économique, puis la libre circulation des biens et le marché unique, des pays démocratiques d'Afrique du Nord. On s'arrêtera probablement avant la libre circulation du travail. Avec tout ceci, l'Union Européenne devra encore changer de nom pour devenir par exemple l'Union Européenne et Méditerranéenne.

Sans une telle proposition, sans ce projet à long terme, qu'est-ce que l'Europe aura à offrir aux nouvelles démocraties nord-africaines quand elles feront leur apparition ? Un peu d'aide et quelques places dans les universités, c'est tout. Pourtant, comme après la chute du mur de Berlin, nous avons une chose très précieuse à offrir pour inciter aux réformes démocratiques : la possibilité de nous rejoindre.

Cela paraît difficile, même sans parler de l'islam. N'oublions pas cependant que cette évolution serait logique politiquement et économiquement pour l'Europe. Après tout, la Méditerranée, en latin, c'est le centre de la terre, pas une sorte de frontière méridionale ni une barrière. Ce fut le centre de notre monde pendant des siècles. Elle fait partie du voisinage de l'Europe.

Bill Emmott


http://www.presseurop.eu/fr/content/art ... e-l-europe

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 Sujet du message: Re: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 14:50 
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Europa, sic transit gloria mundi.

Le libéralisme dissout tout, même le libéralisme.


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 Sujet du message: Re: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 14:51 
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La même chose dans le monde aujourd'hui !

Citation:
Proposons à la Tunisie d'adhérer à l'Union européenne
Face au printemps des peuples arabes, les dirigeants européens sont à la peine. Leur incapacité à s'enthousiasmer pour ces batailles de la dignité et du courage aux portes de l'Union européenne (UE) crève les yeux. Invoquer, comme le président français depuis 2008, l'Union pour la Méditerranée (UPM), ajoute de la confusion à l'inaction. Unir des démocraties et des dictatures ne débouche sur aucun progrès. Et aujourd'hui, chaque pays arabe en révolution appelle une politique spécifique. La Tunisie est à ce moment le pays où la révolution démocratique est la première à s'accomplir. Pour l'Europe, comment soutenir la Tunisie ? Comment la conforter ? Comment s'engager aux côtés des tunisiens enfin libres ?


En prenant un engagement généreux, audacieux, durable et responsable : celui d'ouvrir l'UE à une adhésion de la Tunisie. Une telle politique serait la plus pertinente sur tous les plans : idéalisme, intérêt, géopolitique, réalisme.

L'idéalisme : la Tunisie, si proche et familière bascule dans la liberté : n'est-ce pas une extension des valeurs universelles qui animent en pratique l'Europe depuis la décolonisation et le Traité de Rome ?

L'intérêt bien compris : il y a une continuité démographique, territoriale, réticulaire, économique, sociale, universitaire, entrepreneuriale, commerciale, touristique, immobilière et linguistique entre les européens et les tunisiens. C'est en l'organisant ensemble que les uns et les autres en tireront le meilleur parti.

La géopolitique : l'élargissement est, l'expérience le démontre, la voie la plus efficace pour co-produire un intérêt général commun aux postulants et aux Etats déjà membres. Il permet de mutualiser la mobilité géographique et les circulations migratoires, des idées et des richesses.

Le réalisme : les négociations d'adhésion, bien plus que les politiques de coopération et d'assistance, sont un levier puissant pour la transition démocratique, la construction de l'état de droit et le développement.

UN PIED D'ÉGALITÉ

Les français et les espagnols évoquent un plan Marshall (la Tunisie serait-elle ruinée et menacée d'un retour de la guerre froide ?). L'Italie un don immédiat de 5 millions d'euros. La Commission, 258 millions sur trois ans, plus un statut de partenaire avancé, comme le Maroc et la Jordanie, ni plus ni moins. Pourtant, l'UE n'a pas attendu 2011 pour financer l'investissement en Tunisie et d'autres pays du monde arabe. Le partenariat euro-méditerranéen puis la politique de voisinage ont programmé 16 milliards d'euros depuis 1995.

Nos dirigeants européens sont en décalage avec leur propre histoire. Avec les grecs se libérant de la dictature des colonels et les portugais en révolution des œillets (1974), la Communauté économique ruopéenne (CEE) a très vite envisagé l'adhésion. Idem avec les espagnols s'affranchissant du franquisme (1975). La Tunisie actuelle n'est-elle pas comparable à la Grèce et au Portugal d'alors ? L'UE s'est ensuite ouverte aux européens de l'Est libérés des dictatures communistes en énonçant les critères d'adhésion de Copenhague (1993) : ils sont toujours en vigueur !

L'heure n'est plus aux dons et à la guerre anti-émigration. Avec les tunisiens, il s'agit de conforter l'Etat de droit naissant, le dynamisme de la population et une économie sociale de marché libérée du népotisme, de la corruption et des monopoles prédateurs. Que l'UE place la Tunisie démocratique sur un pied d'égalité. Qu'elle lui propose d'adhérer.


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Sylvain Kahn est l'auteur de Géopolitique de l'Union européenne (Armand Colin, 2007), et co-directeur du Dictionnaire critique de l'Union européenne (Armand Colin, 2008).

Sylvain Kahn, professeur d'histoire de l'intégration européenne à Sciences Po


http://www.lemonde.fr/idees/article/201 ... _3232.html

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 Sujet du message: Re: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 15:26 
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C'est bien beau tout ça. Il ne faut pas oublier que ces pays traversent une phase d'instabilité importante qui pourrait durer une dizaine d'années et qu'on ne sait pas ce qui va déboucher.

Je reconnait avoir été très positif, peut-être trop. A propos des retour récents de la situation en Tunisie, on peut percevoir de très gros risque d'une continuation de l'anarchie. Même si heureusement on a affaire à une population bien éduquée.

Dorénavant, il semblerait que les populistes prennent le dessus sur les gens raisonnables.
Les habitants souhaitent une augmentation immédiate de niveau de vie, ce que le gouvernement ne peut pas fournir. Les gens au pouvoir qui parlent de cet état de fait se font tout de suite hués par la population. Il paraît que le mot d'ordre, dès qu'un politique contrarie la population c'est "dégage".

Ceux qui ne disent pas ce genre de problèmes et qui promettent beaucoup à la population s'en sortent très bien par contre.

Il y a une partie de la population qui tente de faire justice soit même, et des tas d'entrepreneurs qui ont dus faire avec le régime précédent sont accusés de collabos.

La population Tunisienne est très raisonnable et est capable d'accéder à une vraie démocratie, mais il est encore bien trop tôt pour penser les associer à ce genre de processus.

Par contre, une aide d'urgence est souhaitable pour légitimer le pouvoir en place et éviter que l'anarchie ne s'installe.


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 Sujet du message: Re: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 15:29 
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Et accessoirement Tunisie, Lybie et autres pays du nord de l'Afrique ne sont en aucun cas européens... et même en bonne démocratie Ou bien un truc m'échappe...

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 Sujet du message: Re: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 17:01 
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Décidément, nos élites n'en ratent pas une: l'Europe est devenue un gros navire encalaminé, suite (en partie) à un élargissement trop rapide. Dans nombre de problèmes sur lesquels elle devrait prendre parti sur la scène internationale et agir rapidement et de façon unie, que ce soit le contrôle des flux migratoires ou une politique étrangère commune, elle se révèle paralysée et impuissante parce qu'il y a trop de violons à accorder, et aussi parce que les institutions européennes manquent de légitimité et d'efficacité suite à leur caractère bureaucratique.
Donc l'UE à 27 ne marche pas, faisons l'UE à 30 et peut être que les choses iront mieux :twisted: .
Le Mediator vous rend très malade? Doublez la dose et ça ira mieux.
Un tel aventurisme, un tel manque du plus élémentaire bon sens de la part de décideurs et de responsables est des plus inquiétant.
Avec des gens comme ça aux manettes--et il y en a à Bruxelles--, l'Europe va s'enfoncer peu à peu. C'est si vertigineusement absurde qu'on se demande si ces élites européennes ne sont pas habitées par un "death wish".


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 Sujet du message: Re: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 17:06 
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Isidore a écrit:
Et accessoirement Tunisie, Lybie et autres pays du nord de l'Afrique ne sont en aucun cas européens... et même en bonne démocratie Ou bien un truc m'échappe...

Pour la démocratie, je suis d'accord. Il est nécessaire que ces pays soient démocratiques (et stables) pour rentrer dans l'UE.
Pour la géographie, par contre à part le nom "Union Européenne", il n' y a aucune raison sensée de refuser l'entrée de pays non Européens dans l'Union.
On a empêcher des pays de rentrer après Maastrich par ce qu'il y a 12 étoiles dans le drapeau de l'UE ?


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 Sujet du message: Re: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 17:22 
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Temudjin,
Dans UE il y a Europe et ça fait partie des critères de Copenhague aussi lâches soit-ils. En 1986 le Maroc a été refusé car il ne faisait pas partie de l'Europe (à confirmer par un document car je n'ai eu que des confirmations orales). La question de l'appartenance de la Turquie à l'Europe est encore au coeur du débat démocratique dans les 27 pays d'Europe.

Quant au drapeau à douze étoiles il fait référence à Marie ce qui faisait enrager Spinelli... En aucun cas il ne faisait référérence aux 12 pays de l'époque du traité de Maastricht. Le drapeau a d'ailleurs été proposé en 1955... et pour le conseil de l'Europe.

Vous pourrez aussi vous reporter à la notion d'Eurafrique fondée par le comte hongrois Coudenhove-Kalergi, repris par Schumann pour bien voir que le projet européen ne vise en rien l'intégration des payx africains mais que par contre une coopération de type Lomé ou même aujourd'hui UPM est souhaitable.

L'évocation de cette hypothèse impose de réfléchir aux nouvelles frontières de l'Europe et à des règles de gouvernance futur qui feraient les actuelles discussions bruxelloises pour des discussions de café du village. On arriverait à un machin sans âme et ingouvernable. Une ONU régionale.

Enfin est ce que les européens en veulent ? Je pense que non.

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 Sujet du message: Re: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 19:12 
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Citation:
Enfin est ce que les européens en veulent ? Je pense que non.


Bien sûr. Et c'est pourquoi l'UE ne deviendra pas plus démocratique de sitôt, sauf printemps européen, :mrgreen: Dans une Europe vraiment démocratique, la volonté des peuples mettrait un terme à cette fuite en avant des eurocrates.


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 Sujet du message: Re: Faire adhérer la Tunisie et le nord de l'Afrique à l'UE ?
MessagePosté: Mer 2 Mar 2011 19:38 
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Et de trois... A croire que le sujet va devenir une figure imposée de l'existence pour certains producteurs de tribine de profession.

Citation:
La Tunisie et la nouvelle donne arabe : quelle réponse européenne ?

Le point de vue exprimé ici est que la révolution en cours en Tunisie et en Égypte renouvelle entièrement les termes de l’intégration euroméditerranéenne. L’ampleur potentielle du changement qui a commencé en Tunisie est telle, que l’approche européenne doit changer. C’est bien une transition qui s’est enclenchée en Tunisie, de nature comparable à ce qui s’était passé il y a quelques décennies dans d’autres pays de la région : Espagne, Portugal, Grèce, Peco. Et donc on risquerait de passer à côté de l’événement si on ne posait pas d’abord la question qui s’impose : celle de l’adhésion de la Tunisie à l’UE. Poser la question n’implique pas d’y répondre positivement ; mais ne pas la poser c’est à coup sûr s’interdire de considérer toutes les options ouvertes par ce moment historique.

1. La révolution en Tunisie est une transition comme l’Espagne, le Portugal ou les Peco en ont connu.
Le mot-clé des événements en cours en Tunisie est « transition », au sens de la triple transition politique, économique et sociale.
Politique : c’est la remise en cause de la confiscation du pouvoir et de la sous mobilisation des acteurs de la société civile, du dévoiement de l’État en tant qu’instance ordonnatrice de l’intérêt général, et le passage à la démocratie.
Économique : c’est la remise en cause de l’opacité des marchés, de la distribution des prébendes aux amis du pouvoir et de la perpétuation du rôle central des secteurs de rente dans l’économie politique nationale.
Sociale : c’est les chances nouvelles d’une redistribution plus juste de la richesse créée par une gouvernance améliorée.

Beaucoup de pays de la « région européenne » ont connu une telle transition dans les dernières décennies. Ce processus n’est certainement pas réservé à cette partie du monde : plusieurs des pays d’Asie orientale et d’Amérique latine ont eux aussi connu ce passage à un leadership assuré non plus par les tenants des secteurs de rente mais pas des représentants de l’économie concurrentielle, promouvant une libéralisation économique et politique plus ou moins poussée selon les pays. Mais c’est sans doute la région européenne qui constitue le plus grand laboratoire des transitions modernes, pour deux raisons : (i) l’importance du nombre de pays venus du « camp socialiste », (ii) l’effet de levier politique que jouait la conditionnalité de l’adhésion à l’UE.

On a coutume de dire que l’impuissance politique et militaire de l’Europe signerait son impuissance à peser sur les enjeux du monde. Un tel jugement sous-estime pourtant ce qu’on pourrait appeler la « puissance normative » de l’Europe, et son effet sur la transformation, au moins, des pays de son voisinage (même si ce sont d’abord les conditions politiques internes au camp socialiste qui ont expliqué les changements de régime). À chaque fois que des pays européens se sont libérés des dictatures, l’Europe a su apporter une réponse ambitieuse : la pré-adhésion et l’adhésion, qui furent des leviers considérables pour l’évolution de tous ces pays.
Jusqu’à récemment, la région qui comporte l’Europe occidentale, l’Europe centrale et orientale et les pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée (Psem), était caractérisée par un contraste entre une Europe occidentale ayant opéré sa transition vers la « démocratie de marché » depuis deux siècles, et des « périphéries » socialistes ou arabes qui en restaient exclues.
La transition des pays de l’Est s’est mise en marche voici vingt ans, celle des Psem a (sans doute) commencé depuis trente jours. Si elle parvient à son terme en Tunisie, les conditions pour une réelle intégration régionale vont être accrues. C’est d’une grande portée pour cette région, si elle entend tenir son rang face à l’intégration de l’Asie orientale et à celle de l’Amérique.

La (puissante) modernisation turque mise à part, la transition au Sud de la Méditerranée ne se réduit pas à la révolution tunisienne : par exemple la modernisation économique du Maroc s’est enclenchée depuis dix ans, l’investissement dans la formation a élevé le niveau de qualification des jeunes actifs de tous les Psem, dans la majorité de ces pays les dernières années semblent montrer une certaine dévaluation des solutions extrémistes (y compris au sein des partis islamiques), enfin les accords d’association et les plans d’action de voisinage avec l’UE ont accéléré la marche vers l’État de droit des pays qui les ont signés. Mais la transition reste dans l’ensemble parcellaire, et hormis l’Égypte, on peut penser que les chances d’une contagion politique positive depuis la Tunisie dans l’ensemble des Psem restent limitées. Le chemin restera sans doute long pour sortir la région de son hémiplégie politique.

2. La question directrice est l’adhésion de la Tunisie à l’Union européennePour autant, et si elle confirme son entrée dans le cercle des pays démocratiques, la Tunisie devient un candidat potentiel à l’adhésion à l’Union européenne : les critères de Copenhague ne sont plus hors de portée ; la Tunisie est un pays aussi « européen » et même plus européen que bien des pays de l’UE eux-mêmes au regard de sa géographie économique (elle fait les trois-quarts de ses échanges commerciaux avec l’Europe) ; elle partage avec les pays européens un grand nombre de fondements historiques, de traditions culturelles, de normes, et d’hommes (nombre de binationaux, importance de la diaspora, multiplication des modes de vie à cheval sur les deux rives, etc.).
En sorte que l’UE peut remercier la Tunisie de lui offrir une opportunité exceptionnelle :
- la Tunisie est un pays petit et aux écarts internes de richesse limités (rien à voir avec la dimension des fonds structurels qui devront être consacrés à la Turquie si elle entre dans l’UE) ;
- le PIB par habitant est du même ordre de grandeur que celui de la Turquie, pays candidat ;
- la stabilisation macroéconomique est avérée, signe que le pays a su tirer parti des contraintes positives contenues dans l’accord d’association avec l’UE, ce qui laisse penser que la perspective d’une adhésion permettrait d’accélérer les réformes ;
- l’administration publique est solide, la cohésion nationale semble forte, le niveau de qualification moyen est élevé et étendu à une large classe moyenne, résultat de la vision d’Habib Bourguiba dans les années 1960.

La Tunisie pourrait donc, à bon droit, être le laboratoire d’une première adhésion d’un pays arabe à l’UE.

Les avantages pour l’Europe seraient nombreux :
- démontrer qu’il n’y a aucun ostracisme vis-à-vis des pays du Sud et/ou musulmans ;
- affirmer la vision stratégique d’une région fondée sur la complémentarité économique et la proximité géographique – que l’UE a affirmée en soutenant le lancement de l’Union pour la Méditerranée ;
- prendre la mesure de la formidable concurrence qui se joue entre les trois grandes régions mondiales et qui pour le moment tourne à l’avantage de la région américaine et surtout est asiatique, deux régions qui ont su valoriser la complémentarité économique entre pays développés et pays émergents ;
- faire la démonstration que de nouvelles relations Nord-Sud sont possibles à l’échelle régionale, et d’une manière plus solidaire, plus durable et mieux régulée qu’en Amérique ou en Asie ;
- servir de stimulant à la transition des autres pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée. Il faut rappeler que seule l’adhésion représente des concours financiers (subventions et prêts) significatifs : 23 € par habitant pour le Voisinage méditerranéen (hors Palestine), deux fois plus pour le Voisinage oriental, huit fois plus pour l’ex-Yougoslavie (en adhésion actuelle ou potentielle) et onze fois plus pour les Peco membres de l’UE (260 € par habitant).

La question de l’adhésion de la Tunisie à l’UE se pose donc. L’éviter reviendrait à cantonner le voisinage méditerranéen dans une deuxième division, alors que le voisinage oriental aurait vocation à devenir membre à long terme. Que la réponse à cette question se révèle (vraisemblablement) négative est une autre chose. Car si l’on veut placer l’enjeu des relations entre l’UE et la Tunisie au niveau historique auquel la révolution du jasmin l’a situé, il ne faut pas éluder cette éventualité.
Tous les a priori qui pourraient servir de pseudo évidence pour l’éviter (« l’Europe s’arrête à l’Europe », « la Tunisie est en Afrique » – l’essentiel du territoire turc n’est-il pas, en toute rigueur, en Asie ?, « la Tunisie appartient au monde arabe », « le monde chrétien n’est pas le monde musulman »…) sont des géographismes de circonstance qui ne permettent pas de comprendre qu’une géoéconomie absolument nouvelle prend naissance dans la globalisation à travers les régions Nord-Sud.

Les Tunisiens nous l’ont montré : l’heure est à l’audace, à l’innovation et à la prospective ; elle n’est surtout pas au repli sur des délimitations continentales qui renvoient au mieux au découpage géologique de la science du XIXe siècle, au vrai à la conception de l’antiquité grecque qui séparait le monde en fonction des mers ou des bras de mer (Méditerranée, Marmara, Mer rouge), et au pire à la segmentation religieuse de Samuel Huntington. À l’heure où la mobilité des hommes, des marchandises et des informations (et des missiles) dessine les territoires modernes, s’en tenir aux bras de mer des marins grecs nous donnerait deux mille cinq cents ans de retard sur Facebook…

3. Les réponses possibles des Tunisiens et des EuropéensCompte tenu des enjeux géopolitiques du monde arabo-musulman et de ses relations avec l’Europe occidentale, on peut estimer que ce qui s’est passé dans la petite Tunisie peut, à terme, avoir un impact aussi important que la chute du mur de Berlin, y compris sur la configuration de l’Union européenne. En particulier, la perspective de l’entrée d’un pays comme la Tunisie pourrait réactiver l’idée des cercles concentriques et l’accélération du fédéralisme des pays du « cœur » de l’UE. Tous les pays européens n’ont jamais avancé au même rythme, ils ne sont pas tous dans Schengen ni dans la monnaie unique ; on peut donc relancer l’idée d’une Union européenne à géométrie variable qui relancerait la dynamique européenne par le haut.
Les Tunisiens pourront eux-mêmes répondre qu’ils ne souhaitent pas entrer dans l’Union européenne. Les Européens, ou certains États européens, pourront répondre qu’ils ne souhaitent pas l’entrée de la Tunisie. Alors, seulement, on pourra envisager, ensemble, d’autres solutions, qui seront d’autant plus crédibles que l’option de l’adhésion aura été clairement posée comme un horizon possible :
- la suppression des visas avec la Tunisie, à commencer par l’immédiate libre circulation de tous les étudiants, enseignants, chercheurs, artistes et toute les personnes participant à des réseaux professionnels travaillant entre la Tunisie et l’Europe ;
- des outils de financement pour les investissements à long terme dans les infrastructures, l’eau, l’assainissement et la transition énergétique ;
- le Statut avancé, non pas généraliste et potentiel mais appliqué à quelques politiques qui deviendraient vraiment communes, à commencer par l’agriculture et le développement rural – n’oublions pas que la révolution avait commencé, il y a quelques années, par des révoltes de la faim, et que la situation agroalimentaire des pays du Maghreb, y compris la Tunisie, reste très tendue à moyen-long terme ;
- un plan Marshall d’une dizaine de milliards d’euros qui conjuguerait l’effort budgétaire de la BEI, de l’AFD, de la KFW et d’autres bailleurs européens ainsi que de la Banque africaine de développement. Depuis le lancement de l’IEVP en 2007, l’Union européenne et les pays membres ont, en matière d’attribution des subventions et des prêts bonifiés aux pays du voisinage, choisi de donner la préférence à ceux qui moderniseraient leur gouvernance. Jusqu’à présent, c’est le voisinage oriental qui en a tiré parti ; le coup d’éclat des Tunisiens commande un effort financier européen à la hauteur de l’événement. Et cet effort ne serait pas démesuré : sur cinq ans, ces dix milliards deviennent deux milliards par an soit encore 200 € par habitant – loin de ce dont les Peco bénéficient aujourd’hui ;
- des avancées dans l’intégration financière, depuis la facilitation de mouvements de capitaux sécurisés entre l’Europe et la Tunisie, jusqu’au remboursement des malades européens qui vont se faire soigner en Tunisie (au même titre que tous les malades européens sont remboursés quel que soit le pays de l’UE) et vice-versa.

4. Et l’UpM ?Ces perspectives condamnent-elles l’UpM ? Au contraire :
- si l’option de l’entrée de la Tunisie dans l’UE devait être retenue, cela renforcerait l’idée d’intégration régionale euroméditerranéenne ; durant le long processus d’adhésion, la dynamique tunisienne « boosterait » l’UpM ;
- si la perspective de l’entrée de la Tunisie dans l’UE devait ne pas être retenue, l’Union pour la Méditerranée apparaîtrait comme le cadre d’une action spécifique ambitieuse avec la Tunisie, conformément à la géométrie variable en vigueur dans l’UpM. Le plan Marshall évoqué pourrait en être une des actions éminentes. Les innovations lancées avec la Tunisie (sur la libre circulation, sur les outils financiers pour l’investissement à long terme etc.) serviraient de prototypes pour une généralisation progressive dans les autres Psem.

Pour ne pas provoquer de rupture au sein de l’UpM entre les pays bénéficiant du statut avancé ou d’une action spécifique comme le plan Marshall tunisien, et les autres Psem, ces derniers pourraient bénéficier de quelques grandes politiques communes : énergie, agriculture, eau…, qui approfondiraient les relations avec l’Europe (convergence des normes, ouverture régulée des marchés, partage de la valeur), et favoriseraient leur chemin vers la transition. La création d’une institution financière dédiée à la Méditerranée permettrait de financer la diversité de ces actions, du Maroc à la Tunisie et aux Psem les moins avancés dans la transition, à des niveaux d’implication variés, selon les projets et les politiques promus par les différents pays. Compte tenu des circonstances exceptionnelles, le lancement de cette banque régionale de développement, si longtemps retardé, devient une urgence.

Pour enclencher vraiment son intégration économique et faire face à ce qui s’est mis en place en Asie orientale depuis les années 1960 et entre les États-Unis et le Mexique depuis les années 1990, la région euroméditerranéenne manquait d’une vision ambitieuse, d’outils communs pour le développement, et d’une détermination politique. La vision ambitieuse existe depuis 2008 : c’est l’UpM ; l’outil commun est au milieu du gué : c’est la banque régionale de développement. Quant à la détermination, les Tunisiens puis les Egyptiens viennent de proclamer leur volonté d’entrer dans la modernité politique et économique – la balle est donc dans le camp européen, qui doit, maintenant, prendre ses responsabilités devant l’histoire.

Pierre Beckouche.
Professeur agrégé de géographie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Conseiller scientifique de l’Ipemed

http://www.ipemed.coop/IMG/article_PDF/article_755.pdf
http://kapitalis.com/fokus/62-national/ ... eenne.html
http://www.lejmed.fr/Pr-Pierre-Beckouch ... nisie.html


Pour la petite histoire l'IPEMED auquel se rattache l'auteur de la tribune a été au centre d'un article croustillant du Canard Enchainé. En effet on y trouvait comme soutien financier un certain Aziz Miled aussi connu pour ses liens privilégiés avec Aliot Marie ! Cela a entrainé la démission d' ... Elisabeth Guigou de l'IPEMED think thank fondé par ... son mari Jean Louis Guigou.

Cela rend d'autant plus savoureux certaines leçons de morale distillées dans le texte par l'auteur... qui Lui Sait.

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« Étudiez comme si vous deviez vivre toujours ; vivez comme si vous deviez mourir demain. » Isidore de Séville


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