J'aurais misé sur une efficace défense arménienne mais, comme les Arméniens partis au combat, je me suis bien trompé.
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L’Arménie […] sauve la capitale du Haut-Karabakh, Stepanakert. Mais elle perd l’essentiel : sa souveraineté sur l’enclave : « Les Russes en sont de facto les maîtres », confie un diplomate occidental. Un résultat obtenu à la faveur de la médiation de Vladimir Poutine et du déploiement de 2 000 soldats russes. « Ils sont bien plus nombreux et font venir beaucoup de civils », ajoute le diplomate. […]
L’Arménie se réveille avec […] une multitude de défis. Exemple, la protection du territoire. Depuis son retrait des zones tampons, elle doit sécuriser 500 kilomètres d’une nouvelle frontière avec l’Azerbaïdjan alors qu’aucun accord de paix n’a été conclu entre les deux belligérants. Elle doit aussi moderniser son armée, conçue sur le modèle soviétique et humiliée par celle de l’Azerbaïdjan, aidée des drones turcs. […] Autre impératif, la négociation autour du statut du Haut-Karabakh. […] « Nous sommes en partie responsables, admet le député de la majorité présidentielle Sargis Khandanian, car, après la guerre victorieuse de 1994, nous étions en position de force pour imposer une solution et nous n’avons rien fait. »
Reste enfin une plaie vive : le sort des disparus et des prisonniers de guerre. […] De notre côté, nous avons libéré la totalité des détenus azéris. » À l’inverse, dans les geôles ennemies croupissent encore plus d’une centaine d’Arméniens, dont 10 % de civils. Des survivants, car de nombreux captifs ont péri. […] La présence de sang dans les poumons révélera qu’il a été battu à mort dans une prison de Bakou, où d’autres détenus l’ont croisé. Les Azéris lui logeront ensuite une balle dans la tête et l’enseveliront près de son village afin de simuler une mort au combat. […] Elle vit hantée par une vidéo sur laquelle on voit un homme au sol, à plat ventre, la tête en sang. Un soldat azerbaïdjanais à genoux s’acharne à lui découper les oreilles. […] C’est à ce moment-là que des mercenaires turkmènes à la solde des Azéris surgissent. « Où est ton argent ? » lui demandent-ils. […] Samvel échoue à Bakou, aux mains de la police militaire. Il a les yeux bandés. On le frappe, on lui inflige des électrochocs, on lui brûle le dessus des mains. Sans même l’interroger. Les choses s’apaisent quand il rejoint une prison de droit commun. On lui annonce qu’« il pourrira ici » avant de le libérer à la faveur d’un échange de prisonniers. […] « Tuez-nous et envoyez nos corps en Arménie ! » répond un des membres du groupe. « On ne salira pas notre terre avec votre sang, sortez ! » […] Ils doivent répéter à tour de rôle : « Le Karabakh appartient à l’Azerbaïdjan. » Puis direction Bakou. Là, Gaguik est menotté à un radiateur et privé de nourriture pendant deux jours. Les coups pleuvent. […] Un jour, lors d’un interrogatoire, Gaguik demande à ce qu’on ouvre la page Facebook de sa femme. […] Il réalise alors son erreur. Si ses tortionnaires examinent son compte, ils découvriront qu’il est volontaire. Ce qu’il nie depuis le début. Heureusement, depuis Erevan, sa famille a pris soin de bloquer sa page.
« Les Azéris se disent qu’en gardant nos hommes, ils nous affaiblissent psychologiquement et peuvent obtenir de nouvelles concessions », se désole l’avocat Artak Zeynalian. […] Ilham Aliev, le président azerbaïdjanais, en réclame une, difficile à satisfaire. « Nous voulons connaître l’emplacement des mines laissées sur les territoires rendus », lance-t-il en conférence de presse. L’autocrate moustachu se garde bien, en revanche, d’évoquer le sort des églises arméniennes désormais sous le contrôle de ses troupes. À Djebraïl, l’une d’elle a été rasée après la conclusion du cessez-le-feu. Quant à la cathédrale Ghazanchetsots, située à Chouchi, l’une des plus emblématiques du monde arménien, nul ne connaît son état. […] « Je voudrais récupérer les archives et une Bible en argent datant de 1820, raconte le père Andreas, qui y officiait, mais les Azéris m’interdisent de venir, même accompagné des Russes. » Même incertitude au sujet des cinq chapelles entourant le célèbre monastère de Dadivank, érigé sur des terres rétrocédées. « Ils s’en servent comme toilettes et pour abriter leurs moutons », assure le père Andreas.
Le monastère, construit entre le IXe et le XIIe siècle, lui, est intact. Les militaires russes en assurent la protection. […] Seule interrogation : que se passera-t-il dans cinq ans, date à laquelle les forces russes doivent en principe se retirer ? […] « S’ils partent, les Azéris tuent les religieux dans la minute. »
[…] On pensait tous qu’on s’en allait prendre le thé à Bakou. » Il sourit. « On s’est bien retrouvés à Bakou, mais pas pour prendre le thé. »
2021, Le Point 2537, 46-48