Le salon géopolitique de Passion-Histoire

Il me semble que les observateurs n orientent pas assez leurs analyses sur les secteurs périphériques de la guerre d'Ukraine : Kaliningrad, Transnistrie, Biélorussie.

Or la Biélorussie fut très certainement utilisée par les Russes comme base arrière pour leur offensive vers Kiev en 2022 et son régime est quasiment resté soviétique...l'espace aérien bieloirusse reste utilisé par les Russes sans difficulté.

La Transnistrie abrite une (petite) garnison russe qui vit sa vie comme avant 2022...

L'exclave russe de Kaliningrad continue aussi sa vie normalement.

Loin de moi l'idée de proposer l'ouverture de nouveaux fronts. Mais je note que malgré les articles très émotifs des journaux, Ukrainiens, Polonais, Lituaniens et Moldaves restent très raisonnables en ne prenant pas de mesures contre ces territoires Russes ou russophiles.

Bizarre, bizarre...

Certes. Mais pour paraphraser Staline : la Moldavie - qui pose également une question de viabilité concernant son identité ethnique et culturelle (ce sont des Russes et des Roumains qui cohabitent là depuis 1991 et c'est pratiquement tout...) - et la Lituanie c'est combien de divisions ?
Car en dehors de la Pologne, les pays que vous citez sont incapables politiquement et militairement de prendre le risque de s'engager dans un conflit avec Moscou.

D'un autre côté la question que vous posez est intéressante : c'est comme si Washington avait avancé ses pions vers la Russie sans avoir une réelle stratégie en cas de guerre avec Moscou (pour les pays que vous citez), ou bien la stratégie était justement de pousser la Russie à l'engagement militaire dans le but qu'elle s'effondre, sans véritablement avoir anticipé des actions communes et coordonnés des anciennes Républiques soviétiques tombées dans son giron. Un peu comme l'ancienne théorie des dominos, mais inversée dans ce cas.
En quelque sorte, du point de vue des E.-U. cela revient à dire : "ils n'ont qu'à se détruire, j'envoie des armes, de l'argent et des "instructeurs" et cela s'arrête là".
Le risque c'est, malgré les combats et les morts, qu'un beau jour ces "alliés" s'en rendent compte et entrent dans une logique de négociation avec Moscou - nous n'en sommes pas encore là, c'est certain.
Qui plus est, il faut admettre qu'en Moldavie les orientations politiques et d'alignement à l'égard de la Russie ou des "occidentaux" oscillent en fonction des personnes au pouvoir, un peu comme ce fut le cas en Ukraine lors de ces 20 dernières années.

Je ne sais pas si les États-Unis sont aussi machiavéliques que vous le supposez.

Pour ma part, je note une étonnante modération- à l'exclusion de quelques sanctions économiques dont on sait l'inefficacité, aucune action serieuse (c'est à dire militaire) n'a été tentée par l'Ukraine et ses alliés contre les forces russes en Transnistrie (qui semblent pourtant bien vulnérables) ni contre la Biélorussie alors qu il est établi que son territoire a servi de base arrière à l'attaque de février 2022.

Lituanie et Pologne respectent prudemment l' oblast russe de Kaliningrad.

Bref, Zelenski ne porte pas de cravate et exige des missiles des chars et des avions...mais quand on examine certains détails...il semble (comme ses alliés) très raisonnable finalement...

L'Ukraine n'a déjà pas assez de troupes, elle n'a pas besoin d'ouvrir un front avec la Biélorussie.



Je ne pas pas des Baltes qui n'ont aucun moyens de faire quoique ce soit, surtout que les Russes ont Kaliningrad, donc un accès direct à la Baltique.

Lorsqu'une grande puissance étend son aire d'influence sur des territoires qui étaient sous l'influence d'une autre puissance, elle doit nécessairement se poser la question d'une stratégie globale.
Nous avons donc deux options :
- Washington en avait une précise directement, ressemblant à la théorie des dominos, qui était de faire tomber toutes les anciennes républiques socialistes soviétiques dans son giron. Elle a donc anticipé tous les types de réactions possibles du côté de la Russie et adopté les contre-mesures adéquates.
- Washington s'est retrouvée "par hasard" obligée d'accueillir ces anciens territoires russes, dont les dirigeants fuient un impérialisme russe exacerbé, dans son système d'organisation diplomatique et politique européen. Elle a donc réagi de manière empirique et pragmatique, pratiquement au fil de l'eau.

Il existe une 3ème option, mais qui soulignerait l'actuelle détérioration des éléments de puissance des E.-U. et de ses alliés, à la grande satisfaction d'un "sud global" : Washington avait bien l'intention d'intégrer dans son escarcelle ces anciens territoires russes, mais a pensé qu'elle pouvait y parvenir sans trop s'investir, avec une économie de moyens patente et se fondant sur une "chair à canon" locale, qui plus est en sous-estimant totalement la capacité de la Russie à éviter la défaite, ainsi que les 2/3 de l'Humanité de lui signifier qu'ils avaient compris la manoeuvre et qu'ils ne cautionneraient plus sa politique expansionniste.

Je ne sais trop si Machiavel a quelque chose à voir là-dedans, mais convenons que l'extension de l'OTAN en Europe centrale et orientale depuis 1999 - sous le prétexte de quelle menace ? - n'est pas étrangère à tout ceci.
D'ailleurs Kissinger le reconnaissait déjà après le début de cette guerre fratricide en 2014 et appelait à la raison les "occidentaux".

Quant au reste, la réponse est au-dessus. Kiev peine à trouver des soldats et à les armer, il parait délicat de mener des offensives tous azimuts et ainsi risquer l'ouverture de nouveaux fronts alors que le principal est déjà difficile à tenir. Envoyer des drones et/ou des missiles sur des zones peuplées ou sur des infrastructures énergétiques est beaucoup moins cher et moins risqué, qui plus est cela peut contribuer à saper le moral de la population adverse. Les Russes le leur ont appris depuis l'automne 2022, le régime de Kiev fait de même désormais.

Les Russes de Kaliningrad réviseraient leur adhésion à l'Empire moscovite si celui-ci ne les alimentait pas sur ses réserves générales.

À long terme, en anticipant l'effondrement de l'Empire moscovite (morcellement possible, perte de son empire colonial asiatique et caucasien), le seul espoir identitaire des Russes de Transnistrie réside dans la volonté libérale de l'UE (respect des minorités). Jusqu'ici, la Russie a su intimider à distance la Moldavie pour y imposer sa loi, et la Moldavie et la Roumanie de fusionner, noyant les minorités russes locales dans un océan roumain.

La Biélorussie est l'unique succès poutinien, qui l'a quasiment annexée durant la guerre d'Ukraine avec des dizaines de milliers de soldats russes l'occupant. Son tyran n'a guère plus de latitude qu'un gouverneur d'État de la fédération de Russie. Peut-être que cette occupation induira un rapprochement nationaliste et indépendantiste entre les opposants (écrasés en 2021 grâce aux forces armées de Poutine) et les actuelles forces armées biélorusses, dont certains membres ont déjà participé à des actions de sabotage contre l'invasion russe de l'Ukraine en 2022.

La guerre d'Ukraine accompagne et relève de la décomposition morale et nationale des mondes russophones, qui ne peuvent progresser qu'en reconnaissant leurs crimes passés et leurs impasses pérennes.

Qu'est-ce qui vous/nous indique que - même à long terme - la fédération de Russie s'effondrerait en se disloquant de la sorte ?

C'est l'ex-kgbiste Jirnov qui en parlait, comme un souci des militaires russes.

C'est aussi le destin des empires qui piétinent ou échouent dans leurs invasions et leurs guerres : France, Royaume-Uni et Pays-Bas après 1945, Empire ottoman depuis l'expédition napoléonienne en Egypte et Russie à maintes reprises (1905-1917, 1979-1989).

Si le prestige et l'autorité moscovites sont contestés par les autochtones et que son armée est moribonde, qu'est-ce qui empêchera des indépendances ? Par exemple, si une Tchétchénie proclame son indépendance aujourd'hui, Moscou ne saura l'interdire.

Certes, mais observe-t-on actuellement des contestations ou des velléités d'indépendance chez ces peuples "allogènes" ?

Depuis la seconde guerre de Tchétchénie, non, mais des revendications montent depuis 2022, en marge, par exemple, des manifestations antisémites d'octobre 2023, contrariant le régime, et antiguerres. De plus, des agressions racistes antimusulmanes et anti-asiatiques se multiplient au sein de la soi-disant ethnie russe.

Plus largement, observait-on ces contestations dans les exemples que j'énonçais ? Dans les Indes, Irlande et Afrique du Sud britanniques depuis le XIXe siècle, dans un contexte répressif bien moindre, et qui s'en apercevait vraiment et anticipait vraiment leurs évolutions avant l'écueil des deux guerres mondiales ?