Deux ennemis naturels, dont l'ancien dominateur cumule les désastres géostratégiques quand l'ancien dominé a repris vie à l'échelle de la planète : ce genre de situation n'augure rien d'heureux pour des individus comme pour des collectivités, et ici pour la Russie militairement humiliée par Poutine en Ukraine.
Sur les 130-150 millions d'habitants de la Russie, il y a beaucoup de non-Russes et seuls 20 millions vivent entre l'Oural et le Pacifique. Ces terres vides ne peuvent qu'attirer la convoitise de la Chine communiste.
L'armée russe se trouvant écrasée, même si elle finissaient par quelque(s) victoire(s), en Ukraine, rien ne peut défendre ces régions contre une invasion chinoise en dehors de la dissuasion nucléaire. Les deux États peuvent de la sorte s'entredétruire, mais les Russes ou Poutine accepteraient-ils l'anéantissement de la Russie pour les déserts sibériens ?
Par ailleurs, une Russie ruinée par la guerre d'Ukraine pourrait vendre ces régions à la Chine pour se refaire économiquement...
De plus, parmi les crimes européens commis contre la Chine et qu'elle n'oublie pas (elle en cultive le souvenir dans ses manuels scolaires), la trahison russe de 1897 nourrit des ressentiments. Tout commence par la guerre sino-japonaise de 1895 et une trahison russe :
Citation:
La pomme de discorde a pour nom la Corée, vassale de la Chine. En 1895, le Japon gagne la mainmise sur ce territoire avec une facilité déconcertante qui révèle l’incurie de l’armée chinoise, sur terre comme sur mer : « Les canonnières servaient au trafic de contrebande, les canons des fusils, mal entretenus, à sécher du linge. » […] Grâce au traité de Shimonoseki, le Japon […] récupère aussi Taïwan […] La curée débute deux ans plus tard quand l’Allemagne réclame la baie de Jiaozhou dans le Chandong et le port de Qingdao pour en faire une base navale. […] Une semaine après les Allemands, les Russes se présentent au portillon, massant des navires de guerre à Port-Arthur, autre base navale. Le coup est d’autant plus bas que la Chine venait de signer un accord secret avec les Russes, censés se porter à son secours en cas de nouvelle attaque japonaise. Il est établi que les principaux négociateurs chinois de la cession de Port-Arthur, dont le comte Li, reçurent de Moscou de larges pots-de-vin. […] Les Russes, dans la foulée, récupérèrent la péninsule du Liaodong. […] La Grande-Bretagne, qui ne veut pas être en reste dans le Grand Jeu l’opposant à la Russie, obtient le port de Weihai, en face de Port-Arthur.
2021, Le Point 2575-2576, 168-169
Ironiquement, les Russes, sans aucuns appuis terrestres ou escales portuaires jusqu'en Extrême-Orient, pâtiront de la neutralité chinoise dans leur défaite contre le Japon en 1904-1905
On comprend ainsi que dans l'opinion publique de la Chine communiste montent des velléités de profiter de la débâcle russe en Ukraine pour reprendre les provinces orientales, ce qui inquiète les Russes et russophiles les plus avertis :
Citation:
Les Américains fournissaient déjà des renseignements à la Chine sur le déploiement des troupes russes à la frontière sino-soviétique. On compte à peu près 60 à 70 divisions. Aujourd’hui, il n’y en a pratiquement plus ; des soldats russes venus d’Extrême-Orient combattent en Ukraine. […] Mais, depuis peu, sur les réseaux sociaux chinois, on préconise de profiter de la faiblesse russe pour récupérer la vaste zone que la Russie a obtenue en 1858 et 1860 (comprenant Vladivostok), qui empêche la Chine d’avoir accès à la mer de l’Est, aussi appelée mer du Japon.
[…] Certes, les Chinois procèdent à des achats de forêts en Sibérie, à des implantations de casinos le long de la frontière, mais […] l’inquiétude n’est pas immense sinon chez les militaires.
2022, Le Point 2591, 126-127
Les régions orientales de la Fédération de Russie pourraient devenir pour la Chine communiste bien plus appétissantes et moins dissuasives que Taïwan.