Je voudrais donner quelques éléments d'information sur la sécurité des installations nucléaires pakistanaises, sujet qui m'intéresse depuis pas mal de temps à l'égal de celui de la guerre en Afghanistan car les deux questions sont liées, et l'expression "AfPak" utilisée par les Américains pour désigner cette zone et ce problème n'est pas qu'une vue de l'esprit.
Ces informations sont résumées et traduites de plusieurs rapports disponibles sur le net, notamment celui donné en lien ci-dessous, du PSRU (Pakistan Security Research Unit) de l'université de Bradford, UK.
L'auteur commence par rappeler la situation fragile et instable de l'Afghanistan: état d'urgence régulièrement proclamé, coups d'Etat militaires ou tentatives de coups d'Etat fréquents, attentats et fortes activités terroristes de divers groupes fondamentalistes étrangers et pakistanais, infiltration croissante de l'armée et des services secrets par ces groupes, islamisation croissante des élites même les plus occidentalisées, etc.
Pour protéger les 80/100 têtes nucléaires (certaines estimations avancent même le chiffre de 120), le Pakistan a adopté un système de sécurité largement inspiré du système américains.
Ce système comporte quatre types de procédures:
1/ protections techniques
2/ vetting (vérification de la fiabilité) du personnel
3/ dispositifs physiques
4/ secret et "déception" (camouflage)
D'abord, comme déjà précisé, c'est l'armée qui contrôle toutes les étapes et tous les aspects de la capacité nucléaire pakistanaise, y compris la décision d'utilisation de ces armes. Bien que sur le papier les chefs du gouvernement soient associés aux décisions d'utilisation, il n'en a rien été en fait lors des précédentes situations de mise en état d'alerte en temps de crise.
1/ Tous les ordres donnés sont accompagnés de codes numériques qui doivent être validés pour confirmer l'authenticité de ces ordres, le processus étant complété par des procédures rigoureuses de contrôle d'identité tout au long de la chaine de commandement.
On n'est pas sûr que les pakistanais aient développé une technologie du type PAL américain (Permissive Action Link) qui permet un verrouillage des armes nucléaires contre un usage non autorisé en utilisant une technologie "chip & pin" du type de celle utilisée sur les guichets automatiques bancaires. Le général Kidwai l'a affirmé mais les experts penchent pour une version rudimentaire du système PAL ou un autre type de système.
On suppose également que les codes sont créés par l'intelligence militaire; on ne sait pas comment ils sont transmis le long de la chaîne de commandement, tous les combien ils sont changés, etc. Vu la fragilité générale des systèmes techniques au Pakistan, des risques d'effondrement de ces systèmes de vérification existent en période de crise à différentes étapes de leur mise en oeuvre.
2/ le "vetting" (filtrage) des personnels nucléaires est basé sur une sélection rigoureuse des personnels et de leur famille. Par exemple, la majorité du staff sélectionné pour les installations est recruté dans le Punjab, régions connue pour être moins touchée par l'islamisme. Le personnel fait également l'objet d'une rotation pour réduire les risques. Le programe PRP (Personal Reliability Program) est appliqué pour cette sélection, on examine les personnels pour identifier les éventuels problèmes d' "affiliations inappropriées", de drogue, de déviances sexuelles, etc. Les personnels de la Division de la sécurité militaire, de l'Intelligence Bureau, de l'ISI (Inter- Service Intelligence) sont chargés du recrutement et de la surveillance du personnel nucléaire. Les membres de ce personnel doivent subir ces procédures de vetting tous les deux ans. On ne sait pas si ces procédures sont appliquées rigoureusement, où s'il y a des problèmes de corruption qui interviennent pour en fausser les résultats. On suppose, sur la base du pourcentage de personnel écarté aux US suite à ces procédures de vetting, que le "déchet" dégagé comme non fiable est de 4 à 5 %; tous les personnels écartés ne présentent pas un vrai risque de sécurité, mais ce risque existe pour certains.
3/ Contre le risque d'attaque extérieure par des groupes de terroristes par exemple, soit qu'ils s'introduiraient pour voler des armes ou des composants nucléaires, soit qu'ils provoqueraient une explosion ou un incendie, les mesures mises en oeuvre sont la protection des sites par barrières physiques, système de détection et gardes armés.
De plus, les têtes nucléaires sont physiquement séparées de leurs dispositifs de détonation; le stockage de ces dispositifs de détonation est effectué dans des sites souterrain protégés où ces dispositifs sont regroupés. Bien évidemment, ces silos ne sont pas très éloignés de l'emplacement où sont installées les têtes nucléaires, et les têtes et dispositifs de détonation peuvent être assemblés très vite. Les mouvements de ces éléments pour entretien et vérification , et leur mouvements d'un lieu de stockage à l'autre comportent cependant des risques de sécurité non négligeables.
4/ Les emplacements des composantes de ces armes nucléaires de quelque type qu'ils soient sont évidemment secrets, de même que le détail des procédures d'entretien, de sécurité etc, et des chaines de commandement; des sites de faux missiles existent également pour lancer d'éventuels repérages sur de fausses pistes. Néanmoins, le secret sur ces sites ne peut être total, du fait de la visibilité des procédures de maintenance, des dispositions écologiques prises au voisinage des sites, et vu la taille spéciale des routes nécessaires pour le déplacement des lanceurs de missiles, leurs itinéraires de déploiement sont connus d'avance. De plus, nombre de ces sites, pour des raisons évidentes, sont situés dans la partie du pays la plus éloignée de l'Inde, l'Ouest du Pakistan, zone particulièrement instable et à présence terroriste importante.
Selon ce rapport, il existe deux risques de sécurité majeurs concernant ces armes nucléaires: l'un est celui d'une attaque extérieure par des groupes armés, l'autre, plus importante selon nombre d'experts, est celui de coup d'Etat militaire par des éléments islamistes infiltrés dans l'armée. La jeune génération d'officiers est de plus sensible à l'islamisme que l'ancienne, les observateurs relèvent que le "compte des barbes" dans l'armée est en augmentation constante, les liens de l'ISI avec les talibans et le groupe Lashkar e Taibi sont connus, ceux de l'armée avec AQ aussi, l'habitude des officiers de comploter contre les dirigeants du pays est traditionnelle.
Un exemple entre autres: Khaled Sheikh Mohamed, qui serait un des organisateurs de 9/11, a été arrêté dans la maison d'un officier de l'armée pakistanaise. Et AQ ne cache pas sa volonté d'accéder à la technologie nucléaire. Il y a aussi l'affaire du réseau Khan, ce savant nucléaire pakistanais du plus haut niveau et membre d'AQ. Enfin, le système pakistanais est par nature tel qu'il permet, en fait quasiment garantit les fuites plus qu'un système de sécurité occidental, il est fatal que des membres du personnel nucléaire éprouvent une antipathie à l'égard de l'Occident et une sympathie envers les islamistes; il y a une démoralisation et une radicalisation croissante dans l'armée, beaucoup d officiers n'acceptent plus l'inféodation de leur gouvernement aux US, et de devoir tirer sur leurs compatriotes si les US le leur demandent.
Contrairement à certaines rumeurs, la possibilité pour les US de détruire ou saisir toutes les 80/100 têtes nucléaires pakistanaises en cas de coup d'Etat islamiste est pratiquement nulle: leur destruction impliquerait la destruction de plusieurs grandes villes voisines de ces installations, comme Islamabad et Rawalpindi, les conséquences seraient désastreuses pour les pakistanais comme (diplomatiquement) pour les US . La saisie de toutes ces têtes est également impossible: on se rappelle que plusieurs opérations de ce type mais beaucoup moins difficiles, comme la tentative (opération Eagle Claw) d'enlever les otages en Iran sous Carter ou l'opération Warlords en Somalie en 93 ont échoué.
Le rapport conclut à un ensemble de risques de sécurité important dans le dispositif nucléaire pakistanais, vu en particulier le sentiment antioccidental et les infiltrations islamistes croissantes dans l'armée et services impliqués.
http://spaces.brad.ac.uk:8080/download/ ... alised.pdf