Tonnerre a écrit:
Citation:
-Enthousiasmer les masses : le taux de participation, à peine plus haut qu'en 2004 et nettement en dessous des prévisions, notamment chez les jeunes (18% de l'électorat contre 17% en 2004 selon les SSU de CNN) et les afro-américains (13% de l'électorat contre 11% en 2004), ne me permet pas d'arriver à cette conclusion très optimiste
Edwards, je ne peux être d'accord avec aucune de vos conclusions, tirées de chiffres et de faits erronnés.
Taux de participation "à peine plus haut qu'en 2004"?
Pas exactement; voici les chiffres:
- élection de 2004: 122, 3 millions de votes.
- élection de 2008: 131,2 millions de votes.
Soit quelque 9 millions d'électeurs de plus, et un chiffre record en pourcentage (62/63% selon les estimations du nombre d'électeurs éligibles)--c'est un niveau de participation que l'on avait pas vu depuis les 60s. Cela dit, il faut relativiser ce chiffre en rappelant qu'il y a eu également une augmentation importante du nombre de "popular votes" aux élections de 2004 par rapport à celles de 2000.
C'est une question de perception. Comme le montre les pages consacrées à la participation de la George Mason University, l'augmentation de la participation a été nettement plus forte entre 1996 et 2000 (+2,5%), puis entre 2000 et 2004 (+5,6%), qu'entre 2004 et 2008, où elle n'a augmenté que de 1,6 point, ce qui, tout de même, ne me semble pas exceptionnel, et ne me parait pas témoigner d'un "enthousiasme de masse" particulièrement plus frappant qu'en 2004.
http://elections.gmu.edu/voter_turnout.htmConcernant l'augmentation numérique, j'ai des chiffres très légèrement différent au total (même pour l'élection de 2004, ce qui n'est pas sans désintérêt pour montrer l'extrême décentralisation du processus électoral aux Etats-Unis) tirés du même site et de l'Atlas électoral de David Leip, qui est une source inestimable, mais le différentiel est en gros le même, 9 millions. Or, sachant que l'augmentation de la population est de 1% par an en moyenne (
http://www.census.gov/popest/national/t ... 007-01.csv), soit plus ou moins 3 millions par an et donc 12 millions en quatre ans, en comptant les non-inscrits, cela explique la très faible hausse de la participation depuis 2004 (de 60,1% à 61,7% selon GMU).
http://uselectionatlas.org/RESULTS/index.htmlTonnerre a écrit:
Vous dites que les taux de participation ont été "nettement en dessous des prévisions". Affirmation inexacte de nouveau: elle est tirée d'un rapport du CSAE (Center for the Study of the American Electorate) d'American University publié peu après l'élection (le 6 novembre); il a été établi depuis que ce rapport a sérieusement sous-estimé l'augmentation du taux de participation (d'environ 33%) car il était basé lui-même sur des données fausses--voir 1) sur ce point.
Je parlais des attentes pré-élection et d'ailleurs je n'ai pas du tout parlé de ce rapport. Je pense qu'on sera d'accord pour dire que vu l'enthousiasme immense décrit par les médias autour de la candidature de Obama, et au vu de l'impression favorable faite par Palin parmi l'électorat le plus conservateur, on s'attendait à une augmentation nettement plus conséquente que ces 1,6%. Les sondages montraient aussi un accroissement de l'intérêt pour la campagne (notamment ceux du Pew) nettement plus conséquent que ces 1,6%. Et je vous rappelle les très fortes audiences des discours de Obama, Palin et McCain aux Conventions et des audiences très honorables des débats. Tout semblait indiquer un enthousiasme très fort autour de cette campagne qui se traduirait en une très forte hausse de la participation. C'est en tout cas ce que j'ai entendu à tout bout de chant depuis la période des primaires. Or, pour moi, +1,6%, ce n'est pas exceptionnel, mais nous pouvons avoir un avis divergent sur la question.
Tonnerre a écrit:
9 états républicains sont passés aux démocrates en 2008, alors que seulement 2 états étaient passés aux reps en 2004; le nombre de votes des collèges électoraux, qui était de 280 en 2000 et 286 en 2004 pour Bush, est de 365 pour Obama. Sans être aussi largement gagnée que celle de Reagan (489 votes des collèges électoraux), l'élection d'Obama se place tout de même en très bonne position dans le palmarès des élections récentes de ce point de vue: non seulement devant Bush 2000/2004, mais aussi devant Clinton 1992 et 1996.
En terme de Grands Electeurs, Clinton en avait obtenu 370 et 379 en 1992 et 1996, plus que Obama et ses 365 mandats donc. C'est d'ailleurs marrant de voir qu'en 1988, alors que la marge en voix était similaire à celle de 2008 (+7,73% pour Bush Sr., +7,25% pour Obama), Bush écrasait Dukakis en terme de Grands Electeurs (426 contre 111) et d'Etats gagnés (39 contre 11), là ou McCain fait encore bonne figure (165 GE, 22 Etats) (cf. David Leip). Mais à la limite, parler du nombre d'Etats gagnés et du nombre de Grands Electeurs obtenus n'apprend strictement rien sur le taux de participation.
Tonnerre a écrit:
Citation:
''C'est vrai, mais (1), le pourcentage de républicains qui ont voté Obama est faible, plus faible que ces dernières années".
Inexact de nouveau--et entre parenthèses, d'où diable tirez-vous vos chiffres?
Selon les chiffres officiels, aux élections de 2004, 6% des électeurs républicains (et il s'agit uniquement de "registered republicans" comme spécifié plus haut), ont voté pour Kerry en 2004, contre 10% pour BO en 2008 (chiffres cités dans 1 et 2); et si l'on définit "électeurs républicains comme "tous ceux qui ont voté républicain aux dernières élections", le pourcentage serait plus élevé.
Déjà, il ne peut pas y avoir de "chiffres officiels" concernant le vote des électeurs républicains ou démocrates pour un candidat, puisque le vote est secret, ce qui est heureux. Tout cela repose sur des sondages sortis des urnes, qui sont fait assez sérieusement par CNN, et avec une extrême minutie et une très grande rigueur par l'ANES (un groupe réunissant des chercheurs de l'Université du Michigan et de Berkeley), même si ces derniers chiffres sont plus longs à obtenir. Alors bien sûr, quand on lit que 6% des républicains ont voté Kerry en 2004 contre 10% pour Obama en 2008, c'est statistiquement la même chose (marge d'erreur + risque d'
outlier), mais on fait avec ce qu'on a en estimant raisonnablement qu'il y a quand même une différence.
Ensuite, oui, Obama a augmenté le vote républicain pour le candidat démocrate de 4 points. Mais si on regarde sur la longue durée, et c'est ce qui compte, ce n'est pas aussi clair : même Dukakis avait autant d'attrait pour les républicains en 1988 que Obama en 2008, alors... Pour la source, vous avez un tableau issu des chiffres de l'ANES que j'ai déjà mis plus haut sur cette page. Les chiffres de 2008 tomberont le 27 février prochain, je ne manquerais pas de les indiquer pour voir s'ils concordent avec ceux de CNN, à qui je fait un peu moins confiance même si je ne les rejette pas.
Tonnerre a écrit:
votre analyse de ces résultats électoraux pêche sur un autre point: vous semblez n'accorder d'importance qu'à des variations quantitatives massives, style tsunami, alors que la plupart du temps, ce sont des variations minimes ou faibles de ces chiffres qui sont la norme et qui déterminent le résultat des élections.
Je ne suis fondamentalement pas d'accord, et sur les deux points : les tsunamis sont excessivement rares (
realigning elections), car l'électorat est très stable; les variations faibles sont la norme, mais elles ne sont pas dues à la perception que l'électorat à des candidats, mais bien au jugement de la situation présente.
Le résultat d'une élection est décidée par des fondamentaux sociologiques invariants, et par une conjoncture politico-économique qui évolue certes dans le temps mais ne change pas du jour au jour. Sur ce point, les deux plus grands livre de la sociologie politique américaine (de la sociologie politique tout court en fait) sont catégoriques. Il y a un "entonnoir de causalité" (
funnel of causality) qui permet d'expliquer le comportement électoral individuel, et les variables sociologiques (âge, sexe, classe, religion) puis la conjoncture politique jouent un rôle qui permet d'expliquer une très grande part des résultats. Seuls les électeurs soumis à des pressions contraires (par exemple un républicain qui désapprouve très fortement l'administration Bush, ou un sudiste démocrate qui refuse la désagrégation dans les années 1960) se prononcent sur des critères tels que la personnalité des candidats, mais la plupart de ces gens s'abstiennent.
Les bouquins en question :
-The people’s choice: How the voter makes up his mind in a presidential campaign, 1948, de Lazarsfeld, Berelson et Gaudet.
-The American Voter, 1960, de Campbell, Converse, Miller et Stokes.
Bien sûr,
on a l'impression qu'on apprécie particulièrement Obama et qu'on aime pas McCain (pour les démocrates du moins), mais cela n'explique pas le vote d'une vaste majorité des électeurs. Ceux-ci se sont prononcés parce qu'ils ont été socialisés dans un milieu particulier, qu'on leur a instillé des valeurs précises, que leurs parents, leurs amis votaient démocrate, et parce que l'administration sortant est impopulaire et que face à une crise économique, les démocrates sont considérés comme plus crédibles, surtout quand ils ne sont pas au pouvoir. Si Clinton avait remporté l'investiture démocrate, elle aurait très certainement gagné par une marge assez similaire à celle de Obama malgré quelques changements à la marge.
Là où je vous rejoins, c'est que des variations faibles peuvent faire le résultat. On a d'ailleurs l'impression, à voir les marges de victoires des dernières élections, qu'elles tendent à se réduire, et donc, que tout se joue à rien, genre quelle First Lady à gagné le concours de recette de
Family Circle...
+7,25% pour Obama en 2008.
+2,46% pour Bush en 2004.
+0,52% pour Gore en 2000.
+8,52% pour Clinton en 1996.
+5,56% pour Clinton en 1992.
+7,73% pour Bush Sr. en 1988.
+18,22% pour Reagan en 1984.
+9,74% pour Reagan en 1980.
(
http://uselectionatlas.org/RESULTS/index.html)
Or, c'est un effet d'optique. On assiste à une polarisation de plus en plus forte de l'électorat aux Etats-Unis. Il y avait dans le passé plus d'indépendants, et les électeurs partisans étaient plus susceptibles de passer d'un parti à l'autre. Depuis les années 1990, on a de plus en plus deux blocs antagonistes, et pour un républicain ou un démocrate actuel, il est beaucoup moins envisageable de voter pour le parti adverse qu'il y a 30 ou 40 ans.
Pourquoi ? Parce que les partis américains sont peu à peu devenus homogènes politiquement : il n'y a plus une aile réactionnaire et sudiste et une aile libérale et nordiste dans le parti démocrate, et le GOP ne se divise plus entre progressistes et conservateurs. Tout cela est devenu beaucoup plus clair pour les électeurs qui peuvent faire un choix basé sur un programme politique clair, et non pas sur des alliances parfois contre-nature. Du coup, les libéraux votent pour le parti démocrate, les conservateurs pour le parti républicain, et il y a moins de raisons de changer d'avis. Dans le même temps, le nombre d'indépendants baisse alors que celui des républicains et des démocrates augmente. Comme ces deux derniers groupes sont très fortement "fixés", alors ce sont les indépendants qui "décident" du résultat. Puisqu'ils sont de moins en moins nombreux, même s'ils votaient en masse pour un candidat, la marge ne serait pas énorme.
Voilà pourquoi, selon moi, Obama n'a pas gagné avec une très forte marge alors que la situation politique et économique favorisait insolemment les démocrates, comme jamais depuis 1932 peut-être.