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Si nous revenions à la discussion générale, à savoir que l'absence ou quasi-absence de subjonctif en anglais crée une situation dans laquelle les gens ont tendance à avoir une vision plus binaire des choses: êtes-vous d'accord, pensez-vous que c'est pertinent, que c'est une idée à creuser? Etant donné que votre pays est vu dans le monde comme fortement binaire ayant une prédilection à tout voir en noir et blanc, à diviser les choses en deux camps, en tant qu'Américain, comment vous sentez-vous? Pensez-vous que la langue a quelque chose à voir là-dedans? Ou pensez-vous que non, que cette hypothèse (car c'est une hypothèse, rien de plus) n'est pas pertinente, qu'il y a d'autres causes?
D'abord, j'insiste, il y a eu un usage répandu, normal du subjonctif en anglais jusqu'il y a trois ou quatre cent ans, même si les formes étaient moins nombreuses et variées qu'en Français; en vertu de votre raisonnement, il faudrait donc accepter la thèse curieuse que les anglophones, pas binaires au départ, le soient devenus progressivement au fur et à mesure de la régression de l'usage de ce subjonctif.
D'autre part, le subjonctif exprime une différence entre ce qui existe et ce qui n'existe pas, ou pas encore. Si l'on acceptait votre postulat de la correspondance étroite entre les structures de la langue et les mentalités, on en tirerait que les anglophones ne savent pas faire la différence entre ce qui est possible et ce qui est réel.
Puisque nous discutons ici de clichés culturels, admettez que celui des Américains/Anglais caractérisés comme des rêveurs ne différenciant pas entre les souhaits, les possibilités, et les faits, va sérieusement à l'encontre des stéréotypes en vigueur sur le pragmatisme de la culture anglo-saxonne, n'est-ce pas?
Enfin, il existe un certain nombre de stéréotypes culturels que les peuples entretiennent les uns sur les autres--il est intéressant de noter d'ailleurs que ces stéréotypes peuvent différer de pays à pays et que l'opinion que vous citez sur les Américains n'a pas nécessairement cours ailleurs.
Vous me dites qu'en France, les Américains ont la réputation d'être binaires et de tout voir en noir et blanc. Pensez-vous que ce soit la partie la plus éclairée, la plus éduquée de la population qui accepte de tels schématismes? Est-ce que ce ne sont pas ceux qui rendent compte de faits culturels complexes en des termes aussi réducteurs qui sont, justement, binaires? Belle manifestation de projection psychologique.
Il existe aussi des clichés très péjoratifs sur la France aux US (cheese eating monkeys, couards incapables de gagner une guerre, sales etc.). Ces clichés ont connu une vogue regrettable récemment suite au différend franco-américain sur l'Irak et à l'offensive de démonisation de la France lancée en représailles par l'administration Bush. Le fait qu'ils soient tenus pour vrais par une partie importante de la population américaine suffit-il à vos yeux à établir leur validité?
Ces stéréotypes culturels appartiennent au domaine de la propagande politique, de l'idéologie et des croyances populaires. Il peut être intéressant pour un sociologue, un psychologue, un spécialiste en sciences politiques ou un historien de les étudier. Il peut amuser certains--un écrivain comme Flaubert par exemple dans son "Dictionaire des idées reçues"--d'en dresser la liste dans un bêtisier.
Néanmoins, une personne adhérant sans questionnement ni analyse à de tels schémas réducteurs sur la base de leur seule dominance sociale s'exclut ipso facto du champ du débat intellectuel.