Depuis octobre, le Pipelineistan a un nouveau maître, ou du moins un nouveau leader. Avec le rachat de TNK-BP pour plusieurs dizaines de milliards de dollars (le "deal de la décennie"), la compagnie russe Rosneft devient la plus grande compagnie pétrolière du monde, avec une production de 4,5 millions de barils/jour.
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/20121022trib000726478/rosneft-bp-tout-comprendre-au-deal-petrolier-de-la-decennie.htmlCitation:
L'issue d'une affaire complexe résumée ici en dix points :
1/ Une éminence grise incontournable de Poutine, Igor Setchine. Le patron de Rosneft, a transformé ce qui était un tout petit pétrolier d’Etat en 2003 en un gigantesque groupe grâce à l’appui de son mentor Vladimir Poutine, dont il est le bras droit dans le secteur énergétique. Igor Setchine est réputé être le cerveau de « l’affaire Ioukos » qui a vu le groupe pétrolier de Mikhaïl Khodorkovski se faire phagocyter par Rosneft. Véritable éminence grise du Kremlin, Igor Setchine est souvent considéré comme la personnalité la plus influence de Russie après Vladimir Poutine
2/ Un nouveau leader mondial. Rosneft va devenir le premier groupe pétrolier mondial coté en terme de production avec 4,5 millions de barils par jour, loin devant les actuels leaders mondiaux Petrochina (2,4 mln b/j) et ExxonMobil (2,3 mln b/j). Rosneft est déjà leader mondial en terme de réserves de pétrole parmi les sociétés cotées en bourse.
3/ Rosneft fait d’une pierre trois coups importants dans cette transaction. Il acquiert une domination écrasante de la production domestique (presque la moitié des volumes russes de brut), un accès au savoir-faire de BP en matière d’exploration et d’exploitation offshore. Et surtout, grâce à son actionnaire stratégique BP, une stature internationale, alors que le groupe russe cherche à acquérir des gisements en Afrique et en Amérique Latine.
4/ BP reste en Russie. En scellant une alliance capitalistique avec Rosneft, le groupe britannique table sur un accès privilégié aux gisements de la zone Arctique, dont seuls les groupes d’Etat russes Rosneft et Gazprom détiennent les clés.
5/ Un deal qui demeure complexe... Si AAR récupère 28 milliards de dollars en liquide, BP ne va de son côté recevoir « que » 17 milliards de dollars en liquide et monter à hauteur de 19,75% de Rosneft (en comptant les 1,25% déjà entre ses mains). La part de l’Etat russe dans Rosneft tombera de 75% à 55,25%.
6/ ...et déséquilibré. Les milliardaires d’AAR récupèrent 2 milliards de dollars de plus que BP alors qu’ils détiennent chacun 50% de TNK-BP. Toutefois, si l’accord de BP a déjà été validé par Vladimir Poutine, le régulateur russe n’a pas encore donné son feu vert pour la transaction avec AAR, et les milliardaires ne sont pas en position de force vis-à-vis d’Igor Setchine. Loin de là.
7/ Un financement aux contours flous. Rosneft affirme financer l’acquisition de TNK-BP grâce à ses propres ressources, ainsi qu’à travers des crédits bancaires. On sait que Rosneft table sur un crédit de 15 milliards de dollars.
8/ Un rebond en Bourse? Beaucoup d’experts prédisent un placement boursier d’une partie de TNK-BP ou de Rosneft lui-même pour réduire l’endettement du nouveau géant.
9/ La bataille politique n'est peut-être pas finie. L’aile libérale du gouvernement pourrait mettre des bâtons dans les roues d’Igor Setchine. Le vice-premier ministre en charge de l’énergie Arcadi Dvorkovitch s’est dans le passé prononcé contre l’acquisition d’un pétrolier privé par Rosneft.
10/ En attendant la privatisation? L’Etat pourrait encore réduire sa participation dans Rosneft jusqu’à 50% plus une action, afin de réaliser son programme de privatisations.
Quelques points intéressants à relever...
Vu la place d'Igor Setchine dans l'organigramme du pouvoir russe (il est souvent considéré comme l'éminence grise, le Père Joseph du cardinal Poutine) et le fait que le principal actionnaire de Rosneft est l'Etat russe, cet accord est donc un important mouvement de Moscou dans la grande bataille du Pipelineistan. Ce ne serait pas le cas avec Lukoil, par exemple, seconde compagnie russe, largement aux mains du secteur privé.
La Russie de Vladimir Ier, tsar de l'énergie, possède donc maintenant les leaders mondiaux du gaz (Gazprom) et du pétrole (Rosneft).
L'accord entre BP et Rosneft est d'importance et semble gagnant-gagnant pour les deux. Surtout, il semble légitimer internationalement la prise de pouvoir russe. Il sera difficile aux Américains de tenter de mettre des bâtons dans les roues de Rosneft sans se mettre BP, donc les Britanniques, à dos.
On voit quand même que le pouvoir russe n'est pas monolithique et que plusieurs courants existent parmi les dirigeants de Moscou (neuvième point de l'article).