Tout le monde parle de la guerre d'Afghanistan (mes petites estimations macabres en sont à 130.000 morts dont, du côté afghan, 10.000 combattants, 3.000 soldats coalisés, 1.000 mercenaires étrangers, 83.000 civils dont 3.000 tués par les forces afghanes et coalisées, 11.000 tués par les talibans ; du côté taliban, 33.000 combattants) mais personne ne considère la guerre menée par les talibans contre le Pakistan depuis 2004.
Cette dernière a tué 72.000 personnes (dont, du côté pakistanais, 5.000 soldats pakistanais, 200 miliciens villageois, 100 civils américains et 40.000 civils contre ; du côté taliban, 27.000 combattants dont plus de 1.000 abattus par des drones américains) (Wikipedia).
La zone frontalière entre l’Afghanistan et le Pakistan demeure une poudrière et une base arrière pour les combattants islamistes : parmi eux, le TTP, le mouvement des talibans pakistanais, et son allié du Lashkar-e-Taiba. Ce groupe est réputé proche des services de renseignement pakistanais, qui l’ont déjà utilisé contre l’armée indienne au Cachemire.
Depuis le mois de février, les talibans pakistanais ont lancé douze opérations contre leur propre pays, dans les régions de Dir, Chitral, Bajaur et Mohmand. Le dernier raid a eu lieu à Chitral le 27 août. Une trentaine de paramilitaires sont morts dans l’attaque de sept postes de contrôle. En sept mois, ces opérations ont tué plus de 100 hommes des forces de sécurité et environ 27 civils.
Les habitants de Shaltalo en ont fait l’amère expérience. Située à 6 kilomètres de la frontière afghane, dans le district du Haut-Dir, c’était il y a encore quelques mois une paisible bourgade. Niché entre des montagnes verdoyantes, le village compte quelques centaines d’habitants qui vivent de l’agriculture et de l’élevage. Désormais, sur les toits des maisons, des soldats pakistanais font le guet. D’autres sont postés sur les hauteurs, camouflés au milieu des arbres. Au centre du village, une route en terre mène à l’école. Le bâtiment est en ruine. Il ne reste que les murs, noircis par les combats qui ont fait rage à l’aube du 1er juin.
Cette nuit-là, une centaine de talibans s’infiltrent depuis l’Afghanistan. Ils encerclent Shaltalo en silence avant de passer à l’attaque.
« Il était 3 heures du matin. J’ai entendu des tirs nourris. Je suis sorti pour voir ce qui se passait. Dehors, un homme armé m’a ordonné de rentrer chez moi », raconte Gul Hakim, un habitant. À coups de roquettes et d’armes automatiques, les combattants islamistes s’acharnent sur le commissariat qui jouxte l’école.
Les policiers sont débordés. Les rescapés se replient dans la mosquée. Un autre se réfugie dans la maison de l’imam.
« Livre-nous le policier qui se cache chez toi ! », ordonnent-ils. Le prêcheur refuse. Les talibans l’abattent. Un deuxième groupe prend la mosquée d’assaut à la grenade. Bilan : 27 policiers tués, 16 prisonniers.
Pendant six semaines, les habitants sont sans nouvelles des otages. Le 18 juillet, les talibans postent la vidéo de leurs exactions sur Internet. Alignés le long d’une butte, les mains liées dans le dos, cinq talibans les tiennent en joue.
« Vous êtes des ennemis de l’islam et Allah commande de vous tuer », hurle celui qui semble être le chef. Des rafales de kalachnikov claquent. Les policiers s’écroulent avant d’être achevés. Un par un.
Les talibans qui ont attaqué Shaltalo sont originaires de la région de Swat et de Dir. La plupart en avaient été chassés en 2009, après une offensive de l’armée pakistanaise. Les militaires les ont laissés s’échapper, en particulier un de leurs chefs, Maulana Fazlullah. Lui et ses hommes se sont réfugiés en Afghanistan. Ils seraient entre 600 et 700, installés dans les provinces orientales du Nuristan et de la Kunar, au nez et à la barbe de l’Otan et des forces afghanes. Si les Américains ont évacué le Nuristan, ils ont encore des troupes dans la Kunar. Côté afghan, le gouverneur de la Kunar, Fazllullah Wahidi, dément la présence des hommes du TTP sur son territoire et indique qu’il attaque l’Afghanistan depuis le Pakistan. Un vrai dialogue de sourds. Le 7 juillet, des militaires américains, afghans et pakistanais se sont retrouvés à Peshawar pour évoquer le problème. Résultat des discussions ? Rien.
« Nous n’avons jamais monté d’opération militaire avec les Afghans ni avec l’Otan », assure le porte-parole de l’armée, le général Athar Abbas. Les Pakistanais seraient-ils réticents à cibler le Lashkar-e-Taiba ? Quoi qu’il en soit, faute de mieux, chacun balance des obus de l’autre côté de la frontière dans l’espoir de tuer quelques talibans.
Depuis son quartier général de Timargarha, dans le Bas-Dir, le général Nadeem commande 6 000 soldats pour garder 64 kilomètres de frontière.
« Nous avons entre 30 et 40 postes le long de la ligne avec une cinquantaine d’hommes dans chacun, détaille l’officier, moustache noire et épaules carrés.
Mais on ne peut pas garder tous les villages. Les locaux doivent se défendre eux-mêmes. » Les talibans savent que l’attitude de la population est cruciale. En filmant l’exécution des policiers et en multipliant les raids, ils veulent terroriser les habitants pour les dissuader de résister.
Dans le district de Bajaur, près de Dir, Faqir Mohammed, le chef local du TTP, possède un émetteur radio et diffuse des messages sur la bande FM.
« Il menace de mort tous ceux qui soutiennent les forces de sécurité et l’administration », rapporte le Fata Research Center, un centre de recherche basé à Islamabad. Quand la peur ne suffit pas, les talibans ciblent leurs opposants. À Bajaur, le 17 août, ils ont assassiné le chef de la lashkar, la milice villageoise.
« Les talibans veulent le pouvoir. Ils veulent imposer leur interprétation de la loi islamique, estime Salim Marwat, le chef de la police du Bas-Dir.
Si les civils renoncent à se battre, ils soutiendront les talibans de gré ou de force et nous aurons perdu. »[…] Les drones américains multiplient les bombardements contre leurs bastions du Waziristan du Sud et du Nord. Depuis 2004, les frappes ont tué au moins 1 357 combattants, selon les calculs de la New America Foundation, un groupe de réflexion installé à Washington.
Les talibans réussiront-ils à imposer leur loi ? Le 1er août, une milice villageoise est parvenue à repousser une de leurs attaques dans le Haut-Dir. À Shaltalo, à l’inverse, les habitants ne savent pas se défendre. Le capitaine Majid commande l’unité qui protège la zone.
« De temps en temps, ils nous bombardent au mortier depuis l’Afghanistan », peste l’officier, le visage tendu. Autour de lui, des coups de feu sporadiques.
« On tire en l’air pour leur signaler notre présence et les dissuader d’attaquer, précise-t-il.
Ils sont bien entraînés, en particulier leurs chefs. »Assis dans la moquée, Gul Hakim contemple les impacts de balle et de grenade qui constellent les murs.
« Ils ont tué notre imam, ils ont attaqué notre mosquée et détruit notre école. Comment des musulmans peuvent-ils faire ça ? Nous n’avons pas d’autre choix que de nous battre », affirme-t-il. Mais comment ? Les villageois n’ont ni armes ni entraînement. Les talibans possèdent des fusils d’assaut AK-47, des mitrailleuses de 7,62, des lance-roquettes, des mortiers de 80…
« Les talibans n’en feront qu’une bouchée », conclut un journaliste local.
2011,
Le Point 2036, 80-82
http://www.lepoint.fr/monde/talibans-sa ... 214_24.php