Bonjour Aigle,
votre questionnement est intéressant. Je me permets d'y apporter quelques précisions, car derrière l'hystérie qui a pris nos médias depuis le début de cette affaire et l'événementiel noyant l'essentiel, certaines tendances lourdes sont d'importance.
Aigle a écrit:
Le rétablissement partiel pro occidental : les séparatistes renoncent et sauf en Crimée, le pouvoir du gouvernement nationaliste, appuyé par l'occident, est rétabli sur tout le pays.
Le gouvernement que l'on nomme généralement "pro-occidental" est tout sauf homogène et de profondes craquelures sont déjà apparues au cours des derniers mois. En gros, il y a trois composantes :
- les libéraux sauce FMI, très pro-occidentaux. Ils sont massivement en faveur de l'entrée de leur pays dans l'UE et dans l'OTAN. Le parangon de ce courant est le premier ministre choisi par Victoria Nuland : Yatseniouk.
- les néo-nazis de Svoboda et du Pravy Sektor, pro-OTAN (quoique avec des réserves) mais anti-UE. Minoritaires dans le pays (comme l'a montré le résultat de l'élection présidentielle), ils n'en sont pas moins surreprésentés dans les sphères du pouvoir actuel car ce sont eux qui ont fait le Maïdan et fait partir Ianoukovitch. Occupant un tiers des strapontins ministériels pendant les premiers mois, ils sont un peu moins présents actuellement du fait de certaines démissions et de la guerre dans l'est où beaucoup se sont engagés dans la Garde nationale. Toutefois, ils font régulièrement de la surenchère, occupent toujours partiellement le Maïdan (des barricades de pneus y ont brûlé il n'y a pas plus tard que deux semaines) et menacent régulièrement de "marcher sur le Parlement". A noter que cette tendance est elle-même très divisée et plusieurs fusillades ont eu lieu entre ces deux groupes en mars et avril. Plus important, le Pravy Sektor accuse Svoboda d'être l'auteur de la tuerie du Maïdan du 21 février, qui a occasionné le départ de Ianoukovitch (il est à peu près certains que ce n'est pas le pouvoir qui a tiré sur les manifestants le premier jour). Une enquête officielle est ouverte et les familles des victimes réclament justice, mais le Procureur général, membre de Svoboda, ralentit le dossier.
- les oligarques : Akhmatov (l'homme le plus riche du pays), Kolomoïski etc. qui financent une partie de la campagne militaire dans l'est. Kolomoïski offre même ouvertement une récompense de 10 000 dollars par tête de séparatiste. Ces oligarques sont rivaux et manoeuvrent dans l'ombre, chacun ayant son poulain.
Au milieu de tout ce beau monde nage, un peu perdu, le président Poroshenko, sans parti politique et qui peut se prévaloir de la seule alliance avec le parti Udar du boxeur Klitschko. Largement élu à la présidentielle car se présentant comme l'homme de la paix et le candidat le plus modéré, sa popularité est en chute libre actuellement du fait de la poursuite de la guerre. Il semble parfois otage des surenchères et des manoeuvres autour de lui.
Ainsi, l'actuel pouvoir à Kiev est extrêmement divisé. Le seul point commun de tous ces gens est leur opposition résolue, pour ne pas dire leur haine du Russe, et la nécessité de s'unir devant l'insurrection des provinces russophones de l'est. Mais si la situation venait à s'apaiser dans l'est, il est probable que des luttes intestines paralysent le gouvernement voire qu'une petite guerre civile éclate à son tour dans l'ouest ou le centre, du fait par exemple des néo-nazis de Svoboda et du Pravy Sektor dont les dizaines de milliers d'engagés sur le front de l'est reviendront un jour à Kiev. Bien malin qui pourrait prévoir le futur mais il n'est pas tout rose...
Il ne semble de toute façon pas que la situation s'arrange. Le Conseil de sécurité nationale ukrainien vient de reconnaître que les pertes des forces militaires gouvernementales s'élèvent à 722 morts et 2625 blessés, le double du mois dernier ! L'armée ukrainienne vient de perdre autant d'hommes ces 25 derniers jours que durant les quatre premiers mois du conflit. Sans compter les multiples cas de désertion, le mouvement des Mères de soldats qui fait de plus en plus entendre sa voix dans l'ouest du pays et attaque même les recruteurs de l'armée à coups de parapluie.
Depuis hier, les médias ukrainiens parlent même d'une sérieuse poussée des rebelles vers Marioupol, sur la mer d'Azov.
L'armée ukrainienne paraît en très grosse difficulté en ce mois d'août après avoir, semble-t-il, joué son va-tout en juillet. Il n'est pas impossible que l'on assiste à une débandade des forces gouvernementales ces prochaines semaines.
Citation:
L'effondrement : le sud et l'est du pays sombrent dans l'insurrection tandis que les régionalistes lancent des attaques terroristes à Kiev et à l'ouest. La Russie n'intervient pas ouvertement.
Votre prédiction semble s'est réalisée, sauf que les séparatistes ne sont pas, n'en déplaise à Kiev, des "terroristes".
Citation:
La partition : le sud et l'est sont " libérés" par les Russes tandis que Kiev conserve le contrôle d'une petite Ukraine farouchement anti russe.
Je crois que c'est une profonde erreur de penser que Poutine veuille mettre la main sur l'est de l'Ukraine, malgré de le déluge d'inepties débitées par nos médias. Ce serait même contraire à l'intérêt stratégique de la Russie !
L'obsession de Moscou, c'est de ne pas avoir l'OTAN à ses portes. Si l'est de l'Ukraine se rattache à la Russie, l'ouest de l'Ukraine, pro-occidentale, entre immédiatement dans l'OTAN et Poutine se retrouve avec ce qu'il voulait surtout éviter.
Il semble que le calcul du Kremlin soit au contraire de laisser une importante population russophone
à l'intérieur des frontières de l'Ukraine pour rééquilibrer les penchants occidentaux de l'ouest du pays et peser sur la politique de Kiev : une Ukraine neutre (ni otanienne ni russe) et fédérale, laissant une large autonomie culturelle aux russophones. C'est ce qu'il propose depuis le début, il faut lui reconnaître une certaine constance.
Tout ceci expliquerait pourquoi Moscou était assez gêné lorsque les russophones ont mis sur pied le projet d'organiser un référendum d'auto-détermination dans l'est du pays. Rappelons-nous que Poutine a tenté de les en dissuader et qu'il a ensuite refusé d'en reconnaître le résultat. Si le président russe voulait mettre la main sur l'Ukraine comme nous le rabâchent les médias, la première chose qu'il aurait faite eût été de reconnaître le résultat du référendum, ça tombe sous le sens...
NB : D'ailleurs, lors du débat à Moscou sur la Crimée, le seul argument qui allait contre le rattachement était le fait d'affaiblir la communauté russophone d'Ukraine en lui faisant perdre deux millions de personnes, donc de diminuer son poids sur la politique ukrainienne.
Citation:
Le retour sous tutelle russe : les oligarques pactisent avec Moscou et tournent le dos à l'Occident. En échange Poutine accepte que le sud et l'est restent provinces ukrainiennes, avec une autonomie limitée .
Cette hypothèse est tout sauf idiote, même si je n'y crois qu'à moitié. La situation de l'Ukraine est catastrophique. Les mesures d'austérité prises sous pression du FMI sont très impopulaires, les caisses sont quasiment vides, le chômage augmente. Et nous sommes encore en été : on n'ose imaginer ce que ça sera cet l'hiver, sans gaz russe puisque Kiev refuse de payer les pré-contrats. Un très grand mécontentement existe en Ukraine centrale et occidentale et d'après ce que j'ai pu lire (mais les infos sont très partielles), le "
finalement, c'était mieux avant" commence à gagner la population.