La frontière entre l'analyse raisonnée et la profession de foi idéologique est difficile à discerner mais, avec Alain de Benoist, on sait qu'elle est allègrement franchie. L'Amérique est le Mal. Déjà, rien que l'introduction proposée par le site theatrum-belli est caricaturale.
Citation:
Comment l’Amérique a décidé d’une OPA sur l’Europe grâce au Traité transatlantique.
Il faut savoir que l'Europe apparaît comme un bastion économique en raison de ses normes sanitaires et environnementales. Les Etats-Unis souhaitent en discuter, ce qui est tout naturel. Cela ne signifie pas que l'Union Européenne cèdera sur tout. Le mandat affirme clairement que :
L'accord devrait établir que les parties ne favoriseront pas les échanges ou les investissements directs étrangers en réduisant la portée de la législation et des normes internes en matière d'environnement, d'emploi ou de santé et sécurité au travail, ou en assouplissant les normes fondamentales du travail ou les politiques ou la législation visant à protéger et à promouvoir la diversité culturelle. Même si l'on peut avoir des doutes, une limite a été officiellement posée.
En fait les objectifs sont :
- une suppression de droits de douanes,
- une suppression d'obstacles réglementaires superflus,
- une amélioration des règles.
On ne peut honnêtement nier qu'il y ait des normes excessives et superflues. Les mêmes qui poussent des cris d'orfraie à la seule évocation du pacte atlantique sont les premiers à s'insurger contre le carcan réglementaire élaboré à Bruxelles. Ce n'est pas cohérent. Quant à la suppression des quelques droits de douanes subsistant à l'entrée de produits américains, ce n'est certainement pas ce qui va achever les industries européennes. Les véritables menaces sont ailleurs.
Citation:
Les multinationales sont depuis le début au cœur des négociations grâce aux lobbies.
C'est exact. Les multinationales agissent en fonction de leurs intérêts. Mais c'est le fait aussi bien des multinationales basées aux Etats-Unis que celles basées en Europe. Par exemple, ce qui serait dans l'intérêt de Boing, serait tout autant dans l'intérêt d'Airbus. S'il y a OPA, ce n'est pas de la part de l'Etat américains mais la part des grandes entreprises qui ont tout intérêt à une dérégulation maximale.
Citation:
Le problème est que les Etats-Unis sont aujourd’hui en dehors des cadres du droit international en matière écologique, sociale et culturelle, qu’ils refusent d’appliquer les principales conventions sur le travail, le protocole de Kyoto sur le réchauffement climatique, la convention pour la biodiversité, les conventions de l’Unesco sur la diversité culturelle, etc.
C'est très exagéré et c'est en train de changer. C'est d'ailleurs une tradition américaine que de refuser de s'engager officiellement mais, en pratique de suivre le mouvement. C'est particulièrement vrai, par exemple, en droit maritime. Ainsi, pour de pures questions de principe, ils refusent de reconnaître la validité des règles de navigation imposées par la France au large d'Ouessant, mais, en pratique, ce ne sont pas les navires naviguant sous pavillon américain qui créent des soucis de sécurité dans la zone. En 1992, ils ont refusé de signer le protocole de Kyoto, mais la Californie avait une législation parmi les plus avancées au monde dans le domaine de l'écologie.
Citation:
De même que l’intégration économique de l’Europe était censée déboucher sur son unification politique, il s’agirait de créer à terme un grand bloc politico-culturel unifié allant de San Francisco jusqu’aux frontières de la zone d’influence russe.
Ce bloc existe déjà. C'est ce qu'on désigne sous le terme général d'
Occident, qu'on désignait pendant le guerre froide sous le terme de
Monde Libre. Mais, il n'est absolument pas question, ni d'un côté ni de l'autre, de s'engager dans un mécanisme d'intégration similaire à celui de la construction européenne. Les exceptions culturelles actuellement en vigueur dans le cadre des conventions en vigueur ne seront pas remises en question. C'est inscrit expressément dans le mandat de négociation de la commission européenne.
Citation:
Le continent eurasiatique étant ainsi coupé en deux, une véritable Fédération transatlantique, pourvue d’une assemblée parlementaire regroupant des membres du Congrès américain et du Parlement européen, et représentant 78 Etats (28 Etats européens, 50 Etats américains), pourrait ainsi être créée.
Là, on est totalement dans le domaine de la politique-fiction. En fait, Alain de Benoist, en évoquant le
continent eurasiatique fait savoir où est sa préférence : la Russie plutôt que les Etats-Unis. Ce n'est pas ce qu'a produit l'histoire et ce n'est pas ce à quoi aspire la très grande majorité des citoyens européens. Pendant que de Benoist et d'autres souverainistes fantasment, les citoyens lituaniens viennent d'intégrer la zone euro.
Citation:
Les souverainetés nationales ayant déjà été annexées par la Commission de Bruxelles.
Plus exactement, les peuples européens ont décidé de s'unir. Or, pour s'unir efficacement il est nécessaire de mettre en commun certaines compétences. La commission n'a rien annexé, elle a reçu ce que les Etats membres dont elle est l'émanation ont décidé de gérer en commun.
Citation:
L’arnaque du Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Ce dispositif qui prône le « déficit zéro »,, aboutit à la perte d’indépendance budgétaire des Etats-membres en stimulant toujours plus d’endettement.
Si on prône le déficit zéro, c'est pour diminuer l'endettement, non ?
Citation:
Comment la politique d’austérité accentue la misère des peuples. L’effondrement des recettes fiscales, qu’elle génère, ne fait qu’aggraver les déficits et crée toujours plus d’injustice sociale. A la disparition des services publics s’ajoute la précarisation grandissante du travail « pour plus de flexibilité ».
C'est un point de vue qu'on peut partager, mais les questions budgétaires ne sont absolument pas concernées par le projet de traité transatlantique. Hors sujet.
Il ne faut pas s'y tromper. Les buts d'Alain de Benoist sont troubles. Sous couvert de dénoncer des politiques contestables, il voudrait remettre en question non seulement la voie économique actuellement suivie par les politiques économiques américaine et européenne, il veut remettre en cause les liens, non seulement économiques, mais aussi culturels et idéologiques qui rapprochent Europe et Etats-Unis. C'est jeter le bébé avec l'eau du bain.
Dans la compétition économique au niveau mondial, le danger ne vient pas des Etats-Unis, mais de la Chine. L'exemple d'Alcatel-Lucent le montre bien. Cette entreprise est en train de disparaître. Depuis quinze ans elle ne recrute plus d'ingénieur. Progressivement, au fur et à mesure que les ingénieurs d'Alcatel-Lucent partent à la retraite ou quittent l'entreprise, elle délocalise en Chine, non seulement production mais aussi conception, avec transferts de technologie. Nous aurions plutôt intérêt à renforcer les liens avec les Etats-Unis pour résister aux appétits chinois qu'à résister contre un impérialisme américain plus imaginaire que réel.