Zadrobilek a écrit:
Même si l'action du CRAN a peu de chances d'aboutir, l'essentiel est de la lancer. L'objectif à terme est d'occuper sur le segment "Noirs" la place que le CRIF occupe sur le segment "juif" : un groupe de pression de type ethno-communautaire, autrement dit un lobby. Le CCIF et organisation parallèles tentent la même chose sur le segment "arabo-musulman". On notera d'ailleurs la fascination-répulsion pour les Juifs qui imprègne ces mouvements. Il n'y a pas de tradition historique de tels mouvements consistants chez les Noirs, en France, d'où la nécessité d'agir vite pour profiter de l'époque qui est au regroupement communautaire (l'essor du FN en est une des facettes). Pour ce faire, quel thème est plus indiqué que l'esclavage ? Symbolique, imprégné d'une forte charge affective, et dont les effets sont encore palpables aux Antilles (= il a concrètement structuré les sociétés caribéennes).
Evidemment, se pencher sur des problèmes plus concrets et actuels comme les conditions de vie des Noirs en France impliquerait une analyse politique qui contrarierait fortement les intérêts personnels des membres du CRAN. Pour être direct : leurs intérêts n'ont pas grand chose en commun avec ceux d'un éboueur malien ; si l'on consulte la bio d'un Lozès ou d'un Tin on s'aperçoit qu'il s'agit de grands bourgeois (avec transmission héréditaire de cet avantage).
Je suis entièrement d'accord avec le premier paragraphe mais beaucoup réservé sur le second.
La constitution du CRAN et ses actions s'inscrivent bien dans un mouvement de reconnaissance officielle de la communauté noire à la différence des organisations traditionnelles de lute contre le racisme et cette communauté des Noirs de France est une construction très artificielle puisque tous ces Noirs n'ont qu'une chose en commun, la couleur de leur peau, à la différence des juifs et des Maghrébiens qui se définissent par une toute une culture spécifique et une histoire.
Mais je ne vous suis pas sur vos considérations portant sur la position sociale et les intérêts des membres du CRAN. Il ne me semble pas du tout évident que leur motivation soit de servir leur intérêt ni, qu'objectivement, leur militantisme les serve. L'engagement idéologique et l'altruisme, cela existe aussi. ADT Quart Monde et Emmaüs ont été menés par des personnes issues de la bonne bourgeoisie, Geneviève de Gaulle-Anthonioz pour la première et l'Abbé Pierre pour la seconde, non par des personnes appartenant aux milieux les plus pauvres. Bien installés parmi les élites de la société française, des Lozès et des Tin n'ont rien à attendre personnellement de la discrimination positive. Car celle-ci a des effets pervers. Elle amène à douter des qualités intrinsèques de leurs bénéficiaires qui se heurteront inévitablement au soupçon qu'ils doivent leur position non à leur mérite mais à leur appartenance à un groupe. Favorable à ceux qui sont au plus bas de l'échelle sociale, la discrimination positive nuit à ceux qui sont parvenus aux échelons supérieurs.
Zadrobilek a écrit:
D'où la nécessité d'un discours plus "affectif" que strictement dépassionné comme devrait l'être celui d'un historien. C'est ainsi que la "Mémoire" se substitue à l "Histoire", avec pour finalité d'apitoyer l'opinion pour qu'elle avalise un mécanisme de compensation pour les descendants des esclaves ; descendants qui sont plus symboliques que scrupuleusement héréditaires.
Tout à fait et je ne vois pas l'intérêt d'agir sur l'affectif. Cela ne peut qu'exalter des passions. Dans quel but ? Si l'on vise des changements révolutionnaires, ce peut être utile. Ainsi, si l'on vise la " dictature du prolétariat " a-t-on intérêt à dénoncer les " 200 familles ". Mais si l'on vise des changements en douceur, il faut travailler à la paix sociale et éviter de se placer sur le terrain des passions. Or je ne crois pas que le CRAN soit une organisation révolutionnaire. Quelques coups d'éclat comme la plainte contre Antoine Seillière peuvent lui faire bénéficier d'une position momentanée dans les media, mais à long terme, je pense que c'est au mieux inopérant, au pire nuisible au but visé.
Zadrobilek a écrit:
On a d'un côté la "vieille Gauche", de l'autre celle qui se prétend antiraciste et qui fait preuve d'une complaisance alarmante avec des individus tels que Tariq Ramadan ou encore Houria Bouteldja.
Oui, mais ne nous alarmons pas outre mesure. Cela ne date pas d'hier. Déjà à la fin des années 1970 cette nouvelle gauche était dépeinte sans aucune complaisance par le dessinateur Gérard Lauzier : il faut lire des albums comme
Mon papa, ma maman et ma communauté ou
P'tit con. Ces portraits ont pris quelques rides et l'on ne s'en plaindra pas. Tariq Ramadan et Houria Bouteldja ont éveillé des sympathies mais, me semble-t-il, la tendance est plutôt à la lucidité qui incite au rétropédalage. Je vois quelques analogies avec le phénomène Knobelpiess, aujourd'hui heureusement bien oublié. Certes, de tels personnages existeront avec des thuriféraires pour les encenser, mais c'est le lot de la démocratie. Dans l'ensemble, la nouvelle gauche s'en détourne. Regardons un instant les quelques exemples que vous donnez :
Ilham Moussaïd : elle appartenait au NPA, parti révolutionnaire et marginal, et a fini par le quitter. A la marge de la marge, ce n'est pas très significatif.
Edwy Plenel : c'est autre chose. Edwy Plenel est un journaliste d'investigation, un lanceur d'alerte pour utiliser une appellation en vogue. Il en faut. Il y en a d'autres au
Monde, au
Canard Enchaîné ou au
Washington Post. C'est un intransigeant que je vois plus comme l'avocat de l'accusé que comme l'accusé lui-même.
Rokhaya Diallo : si vous voulez, mais je ne la mets pas dans le même sac que Houria Bouteldja.
Articles sur l'excision parus dans Slate : j'y ai jeté un coup d'oeil. Je n'ai pas d'avis tranché mais j'ai tout de même tendance à la suivre lorsqu'elle dit :
le misérabilisme des Occidentaux sur la question est une forme de néo-colonialisme. Les Africains d'aujourd'hui veulent qu'on les regarde comme on regarde un Européen ou un Chinois et cela me semble parfaitement légitime. Je ne crois pas avoir lu le mot
néocolonialisme, en tout cas le fond de ces articles porte beaucoup moins sur le colonialisme ou le néocolonialisme que sur la condescendance. Le bon docteur Schweitzer était une personne très estimable, mais son temps est révolu. Cela s'observe dans un tout autre domaine qui est celui de l'économie. Pendant des décennies la France a apporté une aide au développement en Afrique avec une très faible efficacité. Aujourd'hui la Chine supplante la France en maints endroits et maints secteurs. Elle n'apporte pas d'aide mais investit et fait du business sans aucun état d'âme dans une pure logique capitaliste. Et ça marche. Les PIB africains décollent enfin. Je crois que c'est une bonne leçon.
Clémentine Autain : je ne la connais pas vraiment mais j'ai le même sentiment que vous. Cependant j'observe qu'elle fait partie d'une mouvance qui n'est pas au pouvoir et qui a de moins en moins de chance d'y accéder et, là non plus, rien à voir avec Houria Bouteldja.