On risque de se fourvoyer si, parlant de religion, on ne distingue pas l'institution sociale, la spiritualité et la superstition, les trois phénomènes pouvant interférer ou se conjuguer, mais ce n'est pas général. Il peut très bien y avoir de la spiritualité sans religion et, à l'inverse, de la religion sans spiritualité.
Les élans spirituels peuvent mener à une contestation de l'ordre établi, voire à des catastrophes, ce qui peut conduire les institutions religieuses à vouloir les réprimer. C'est ainsi que les ordres mendiants, nés dans un mouvement très contestataire, ont eu du mal à se faire accepter. Par la suite, ils se sont coulés dans l'institution non sans contradiction avec l'élan originel. A cet égard on peut donner l'exemple de la tyrannie du gouvernement de la colonie espagnole des Philippines assuré par des moines franciscains dans un esprit très éloigné de celui de Saint François. Des débordements aux conséquences catastrophiques auxquels peuvent conduire des élans spirituels, tel celui des fraticelles, sont évoqués par Umberto Eco dans son roman
Le nom de la rose. Dans une sphère réduite au champ d'une famille, un parfait exemple de conflit entre élan spirituel et ordre social soutenu par l'institution religieuse est donné par Marcel Aymé dans sa comédie
Clérambard : "De toute évidence, il a reçu la grâce, c'est fâcheux" dit un ecclésiastique.
Il peut y avoir de la spiritualité sans religion comme en attestent les réflexions d'Antoine de Saint-Exupéry dans son ouvrage
Citadelle.
A l'inverse, la religion apparaît fréquemment dénuée de toute spiritualité, pouvant concéder sur ses propres règles afin de préserver l'ordre social établi. C'est particulièrement frappant à la lecture des traités de droit canon rédigés à l'époque moderne : voir sur passion-histoire, la discussion
http://www.passion-histoire.net/viewtopic.php?f=52&t=37512. Sur la base des Ecritures et des travaux de différents théologiens, l'Eglise avait élaboré des règles sur le mariage. Un certain degré de parenté empêchait le mariage. Cependant, si cela devait favoriser le maintien de l'ordre social, il était possible d'y déroger. C'est ainsi qu'une jeune fille ne trouvant pas dans son milieu de mari étranger à sa famille pouvait obtenir une dispense pour se marier avec un cousin. Mais cette possibilité n'était pas ouverte aux personnes appartenant à "la lie du peuple" (sic) puisque celles-ci n'avaient aucun rang à préserver. Il n'y a pas la moindre trace de spiritualité dans tout cela.
Dans l'islam contemporain, l'essor des tendances fondamentalistes tend à rejeter le courant soufi, le plus chargé en spiritualité. Or le fondamentalisme s'accrochant à un ordre social condamné s'engage dans une impasse. C'est on ne peut mieux formulé dans le titre d'un ouvrage d'Eric Geoffroy,
L'islam sera spirituel ou ne sera plus, paru en 2001.
Le dogme religieux peut légitimer les aspirations les plus matérielles qui soient. On sait bien que le capitalisme a été favorisé dans les sociétés gagnées aux réformes de Luther et de Calvin. En gros, l'aptitude à s'enrichir étant un don de Dieu, il ne faut pas contrarier de telles dispositions.
En islam, l'usure, donc la notion de crédit indispensable à l'économie moderne, est prohibée. Mais il y a moyen de rendre licite l'illicite grâce à la technique des montages de la "finance islamique".
Quant à la superstition, on la trouve partout, dans le christianisme (on prie Saint Antoine pour retrouver un objet perdu), dans l'islam (les djinns, esprits pouvant être maléfiques qu'il faut ménager), dans les pratiques cultuelles chinoises (brûler de l'encens pour prospérer dans les affaires ou réussir à un examen). Les religions instituées les combattent dans la mesure où elles sont rationnellement aberrantes mais les tolèrent dans la mesure où elles participent à maintenir l'adhésion des fidèles, ce qui faisait dire à Karl Marx : "La religion est l'opium du peuple".