Merci Caesar Scipio pour ces explications et ces liens sur la notion de « passager clandestin ».
Je note au passage que selon votre premier lien (
http://www.hec.fr/Club-Finance/Editoria ... CLANDESTIN) la Grèce fait partie des passagers clandestins de l’Euro car ayant bénéficié des taux d’intérêts faibles liés à une monnaie forte sans que l’économie grecque ait les fondamentaux correspondants.
Caesar Scipio a écrit:
Les contradictions inhérentes à l'euro que j'ai décrites : l'euro est une subvention massive des autres pays européens aux unités de production installées en Allemagne, leur permettant de minorer leurs prix réels. Si l'euro n'existait pas et qu'on en était resté aux monnaies nationales, la monnaie allemande se serait envolée, entraînant une flambée des prix qui aurait conduit à un rééquilibrage des parts de marchés au bénéfice des unités de production concurrentes installées hors d'Allemagne. Si l'euro n'existait pas, les autres monnaies européenns (franc, lire, peseta, ...etc) se seraient dépréciées, entraînant la baisse des prix à l'exportation des produits de ces autres pays qui prendraient des parts de marchés à leurs concurrents allemands et extra-européens.
J’ai un doute sur le mécanisme que vous décrivez.
Tout d’abord, cette dépréciation des monnaies des autres pays ne les aurait-elle pas conduits à subir de l’inflation et une hausse de leurs taux d’intérêts, néfaste notamment à l’investissement ? Et donc in fine à une dégradation de la compétitivité de leurs entreprises ?
Et d’autre part, la RFA puis l’Allemagne n’a pas attendu l’Euro pour avoir une monnaie forte et des excédents commerciaux importants (hormis la période de la réunification). Certes plus faibles que les records actuels, mais de l’ordre de 5% du PIB à la fin des années 80. Manifestement l’existence de monnaies nationales en Europe à l’époque n’a pas empêché l’Allemagne d’être un pays durablement et fortement exportateur tout en ayant une monnaie forte.
Par conséquent j’ai un vrai doute sur l’effet réel de l’euro sur ce point.
Caesar Scipio a écrit:
Oui, je réaffirme que l'Allemagne a bien déclenché 3 guerres.
C’est vraiment dommage de plomber votre raisonnement par ailleurs très intéressant et convaincant par ces considérations « morales » que j’estime, de plus, erronées.
Caesar Scipio a écrit:
La 1ère a été voulue, préparée, déclenchée par la Prusse. Ce n'est pas parce qu'un gouvernement français stupide et inconséquent est tombé dans le paneau en prenant bien son élan et en déclarant la guerre que ce n'en est pas moins la Prusse qui l'a voulue et organisée.
Je n’ai jamais contesté que Bismarck ait voulu et préparé la guerre de 1870. Je ne vois pas en quoi cela éclaire les relations actuelles entre l’Allemagne, l’Europe et la Grèce. Mais si vous voulez faire un compte rond, ajoutons la guerre avec l’Autriche (1866), celle avec le Danemark (1864), cela fera 5. Et puisque nous y sommes, ajoutons la guerre de 1806, le manifeste de Brunswick de 1792, la guerre de Sept ans et celle de succession d’Autriche. Tout ceci devrait montrer que « l’Allemagne » est un fauteur de guerre : et alors ?
Et surtout, de quelle entité parle-t-on ? L’Allemagne n’a tout simplement pas pu déclencher la guerre de 1870 parce que, à cette date, il n’y avait pas d’Etat allemand.
Caesar Scipio a écrit:
La 2ème, aussi. La théorie de l'accident ne tient pas. La réalité c'est que l'Allemagne a donné le feu vert à l'Autriche pour être poser des demandes inacceptables à la Serbie et que l'Allemagne a délibérément préféré que la guerre éclate en 1914 plutôt que plus tard parce que la Russie était en croissance et en modernisation rapide et que l'Allemagne voyait que le rapport de forces allait évoluer d'une manière qui lui serait défavorable dans les années à venir.
Le seul fait que vous ayez dû mentionner 3 autres puissances pour expliquer ce mécanisme est un indice… comme je vous l’ai dit, votre résumé lapidaire me choque quand je vois la complexité des débats entre historiens sur ce sujet encore aujourd’hui. Parmi les ouvrages récents, même G. Krumeich (« Le feu aux poudres »), qui met l’accent sur le rôle de l’Allemagne, arrive à la conclusion que la position allemande n’a pas forcé la main à l’Autriche.
Par ailleurs, vous oubliez qu’au départ, lorsque le gouvernement allemand a donné son « feu vert », il pensait (et cherchait à faire en sorte) que le conflit resterait localisé entre l’Autriche et la Serbie ; avec certes l’idée que, si malgré tout la Russie intervenait, on lui ferait la guerre. C’était un risque qu’on était prêt à prendre, et non un événement que l’on cherchait à provoquer. Mais revenons à la base.
Pour que la guerre éclate, il a bien fallu que l’archiduc soit tué, ce qui résulte de la complaisance du gouvernement serbe envers les réseaux nationalistes qui ont organisé l’attentat (voire du soutien actif de certains de ses membres). Par ailleurs, le gouvernement serbe savait qu’en repoussant l’ultimatum il déclenchait la guerre, et il était prêt à la faire.
Pour que la guerre éclate, il a bien fallu aussi que l’Autriche la déclare (et auparavant envoie l’ultimatum). Si l’Autriche n’avait pas voulu la guerre, le « feu vert »allemand n’y aurait rien changé. Or pour une grande partie des dirigeants austro-hongrois, il était nécessaire et opportun de châtier la Serbie.
Nous avons donc déjà, sans trop chercher, deux coresponsables du déclenchement de la guerre (Serbie, Autriche) que vous avez d’ailleurs déjà cités. Les deux ont eu l’occasion d’éviter la guerre, aucun ne l’a saisie. L’Allemagne a certes aussi une part de responsabilité mais je ne vois pas comment on peut dire qu’elle a « déclenché » la guerre. Tout ceci sans même mentionner les actions de la Russie et de la France pendant la crise de juillet qui, si elles n’ont pas contribué à déclencher le conflit, ont participé à transformer le conflit austro-serbe en guerre européenne et donc mondiale.
Caesar Scipio a écrit:
Et sur cette 1ère guerre mondiale, s'il y a eu des réparations, c'est, au delà de la question de principe de la responsabilité du déclenchement, à cause des destructions sans précédent que l'Allemagne a commises sur les territoires des pays qu'elle a envahis et sur lesquels ont eu lieu les combats : lorsqu'elle s'est retirée, l'armée allemande a détruit les mines, les voies ferrées, ...etc. Sans parler des exactions à l'encontre des populations civiles.
Non. Chaque pays vainqueur voulait des réparations aussi importantes que possible pour compenser non pas seulement les destructions dont vous parlez (qui sont essentiellement dues au fait que les combats ont eu lieu en France et en Belgique), mais l’ensemble des pertes liées au conflit, y compris en particulier les emprunts contractés auprès des USA. D’où l’article 231 du traité :
« Les Gouvernements alliés et associés déclarent et l'Allemagne reconnaît que l'Allemagne et ses alliés sont responsables, pour les avoir causés, de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les Gouvernements alliés et associés et leurs nationaux en conséquence de la guerre, qui leur a été imposée par l'agression de l'Allemagne et de ses alliés. ». C’est cet article qui justifie le principe des réparations et il ne fait référence qu’à la responsabilité de l’Allemagne qui aurait causé les pertes et les dommages. Notons que cela inclut par exemple tous les dégâts causés par les armées alliées sur les territoires français et belge (bombardements, destructions d’infrastructures, tranchées…).
Au vu de la capacité de paiement de l’Allemagne, et à l’issue de longues négociations entre vainqueurs pour la répartition des réparations, une formulation a été adoptée pour l’article 232 en se limitant à exiger la réparation des « dommages causés aux civils ». Cette présentation, plus acceptable et voulue par Wilson, ne change pas le fait qu’il s’agissait en réalité de faire payer l’Allemagne au maximum de ses capacités, en tant que responsable (comme énoncé dans l’article 231). D’ailleurs, les réparations exigibles incluaient, entre autres, les pensions de guerre pour les invalides et les familles des victimes ; l’assistance fournie par les gouvernements alliés aux prisonniers de guerre et leur famille ; mais également là encore les dommages causés aux civils par les armées alliées. Je ne vois pas quelles « fautes » particulières, hormis celle d’avoir fait la guerre, justifient que l’on fasse payer ces frais-là à l’Allemagne.
En conclusion et pour ce qui concerne la 1ère guerre mondiale, votre phrase « Les dettes de l'Allemagne étaient les dettes résultant de ses crimes : le fait qu'elle a voulu et déclenché 2 guerres mondiales qu'elle a conduite d'une façon atroce. » me semble injustifiable.
Et donc pour ce cas précis, je prends le contrepied de votre comparaison entre la dette allemande et la dette grecque : en 1919, les réparations ont été imposées à l’Allemagne qui n’a même pas été représentée aux discussions de paix : ce sont donc les Alliés qui étaient responsable de la dette que l’Allemagne n’a pas pu rembourser. Au contraire, personne n’a forcé la Grèce à emprunter. Vu comme cela, quelle est la dette la plus « moralement irrévocable » ?
La vérité, c’est qu’il ne faut pas mêler la morale à cette affaire. Si les dirigeants allemands exigent que la Grèce paie ses dettes, c’est parce qu’un défaut de paiement de la Grèce serait une perte sèche financée en majeure partie par le contribuable allemand. Après avoir été forcés en 2010 de reprendre la dette grecque pour éviter une nouvelle crise du secteur bancaire, les dirigeants allemands (et autres) vont probablement se voir obligés d’expliquer à leurs contribuables que leur argent a disparu. On peut comprendre qu’ils fassent tout pour limiter l’extension de ce mécanisme à d’autres pays, d’où la « longue séance de torture » dont vous parlez.
On peut le comprendre, tout en estimant que ce n’est pas la bonne solution – et je suis d’accord avec vous là-dessus - et cela sans aller chercher d’hypothétiques fautes morales remontant à plus d’un siècle.
Caesar Scipio a écrit:
Vous qualifiez de simplisme le fait que je constate que l'Allemagne ne fasse plus d'enfant ?
Mais primo ce n'est qu'un constat, pas un reproche. La seule chose, c'est de ne pas faire assumer par les autres les conséquences néfastes de ce constat.
Excusez-moi : j’avais cru percevoir dans l’expression « Tout cela parce que… », répétée deux fois, une nuance de reproche : j’ai dû me tromper.
Sur le fond, il semble que nous soyons d’accord pour constater que le gouvernement allemand mène une politique économique qui lui semble conforme aux intérêts de sa population, et que l’électeur allemand semble satisfait du résultat puisque Mme Merkel est au pouvoir depuis 10 ans.
Cette politique manque certainement d’esprit de solidarité européenne. (Cela dit, je n’ai pas les chiffres, mais je pense qu’en termes de transferts budgétaires, l’Allemagne est un contributeur net au budget européen alors que la Grèce est un bénéficiaire net ; ce qui tendrait tout de même à relativiser ce manque de solidarité, mais passons, je parle plutôt de politique économique).
La question est : pourquoi l’Allemagne changerait-elle de politique pour en adopter une autre plus « solidaire » mais éventuellement moins favorable à sa population ?
On constate amèrement depuis la crise de 2008 que la solidarité européenne en matière de politique économique n’est qu’un vœu pieux, parce que collectivement on n’a pas été capables de fabriquer les institutions qui l’imposent. Dans ces conditions, on peut déplorer cette attitude peu solidaire, et même estimer qu’elle n’est pas conforme à long terme aux intérêts bien compris de l’Allemagne, mais le problème c’est que les dirigeants allemands sont mandatés et responsables devant les électeurs allemands, et pas devant l’intérêt supérieur de l’Europe.
Et il faut reconnaître qu’en truquant les comptes pour entrer dans l’Euro, les dirigeants grecs n’ont pas vraiment montré l’exemple de la solidarité.