liop a écrit:
Du coup cette vue ne tient plus à partir du moment où bon nombre d’exégèses marquent un point d'honneur à faire remarquer que l'autorité première découle d'Allah, en dessous duquel tous les hommes peuvent apparaître égaux.
La pratique musulmane décréterait une inégalité sociale entre croyants et incroyants, femmes et hommes, maîtres et esclaves.
Caesar Scipio a écrit:
Je n'y crois pas du tout avant un très très long terme qu'on n'aura hélas peut être jamais le temps d'atteindre.
Ça peut se compter en siècles, comme en Europe, ou en décennies, avec la contagion des exemples voisins.
Caesar Scipio a écrit:
Geopolis, vous avez selon moi une vision trop enrocentriste. Vous raisonnez comme si les cadres culturels et mentaux dans le monde arabo-musulman, ou dans le monde indien d'ailleurs (il ne s'agit pas d'une exclusivité du monde arabo-musulman) étaient les mêmes que ceux des européens occidentaux. Or ce n'est pas le cas. L'effondrement de la croyance et de la pratique religieuse est une spécificité européenne. Si en Europe la pensée dominante oppose modernité et croyance religieuse, cette opposition est au contraire inconcevable d'autres aires culturelles. Ce qu'on a quand même constaté ces dernières décennies, c'est le grand retour du religieux comme critère identitaire central dans un tas de régions du monde.
À mon avis, ces retours du religieux ne sont que des soubresauts conservateurs. Parfois, il s'agit de nouvelles expérimentations de religions exotiques, répondant au déficit spirituel des démocraties libéralisées. Mais enfin, dans un monde de plus en plus instruit, et en l'absence de coercitions antilibérales politico-religieuses, je doute de la pérennité de la crédibilité de l'existence des dieux et autres entités mystiques où que ce soit dans le monde.
Caesar Scipio a écrit:
Il y a bien sûr un phénomène de syncrétisme, l'identité religieuse acceptant progressivement des éléments de modernité. Cela passe aussi bien par le salon de la mode islamique, voire à la lingerie fine islamique avec des femmes toujours voilées de noir de la tête aux pieds mais équipées en dessous des tenues affriolantes que je laisse à chacun le soin d'imaginer, que par l'usage remarquablement professionnel des moyens modernes de communication par les djihadistes. Mais en même temps, cela n'empêche pas les violences, les pogroms et discriminations contre les minorités religieuses (que les musulmans sunnites soient les bourreaux dans le monde arabe ou qu'ils soient les victimes en Inde) ou contre les pas assez rigoristes.
Réactions contre un monde qui change, contre les anciens dominants, contre l'émancipation des dominés. Depuis les Lumières, les temps changent salement pour les suzerainetés illégitimes. Les sunnites tuent ici pour dominer, là pour ne plus être dominés ; les hindous vengent d'anciennes terreurs.
Caesar Scipio a écrit:
Quelle voix de poids, dans le monde musulman, prone vraiment le respect de la liberté de croire autrement avec toutes ses implications, le droit de ne pas croire, et plus osé encore, le droit de cesser de croire ou de changer de croyance (la fameuse aposthasie) ?
La télévision des démocraties libérales. C'est le troc fatal : l'islam déclassé contre le libéralisme confortable. En RDA, en dépit des professions de foi, ils ont troqué. Ça se voyait dans leurs yeux, quand ils contemplaient les berlines occidentales, avant la chute du mur, le "à quoi bon ?" Les sunnites en arrivent là.
Caesar Scipio a écrit:
On en revient au problème du marqueur d'identité immense, fondamental, de l'Islam dans le monde arabo-musulman.
L'islam est l'enfant prodige de la culture bédouine, il l'a porté au-devant de ses frontières et de l'Histoire, au devant des empires égyptien, romain ou perse. Il est normal que les descendants de convertis y soient attachés, en ce que l'islam a conféré à leurs familles des avantages sociaux comparatifs. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, aujourd'hui est l'avènement du troc : continuer ou changer.
Caesar Scipio a écrit:
Je pense que s'agissant des arabes, le problème est que la notion même d'arabité, la conscience arabe, a été définie par l'Islam et lui est quasi-consubstantielle.
Non, la conscience bédouine a été honorée et magnifiée par l'islam. L'arabité, qui s'en réclame culturellement et généalogiquement, est une possible nation en construction, et qui n'est pas uniquement associée à l'islam, ni aux bédouins ; ce n'est que depuis un ou deux siècles que des Berbères, les Égyptiens ou les Syriens se sentent arabes.
Caesar Scipio a écrit:
Vous espérez que la modernité et les aspirations individualistes rattraperont le monde arabo-musulman.
J'aimerais bien sûr que cela se produise.
Pourquoi ?
Caesar Scipio a écrit:
Mais pour cela, il faudrait que la situation économique du plus grand nombre s'y améliore. Or ce n'est pas le cas et cela ne risque pas d'être le cas à terme.
Ah ? Les voitures, les ordinateurs, les télécommunications, la médecine ? Comparez les photos avec les années 1960, 1920, 1880.
Caesar Scipio a écrit:
Au final, ces pays n'ont pas trouvé de ressort pérenne de développement.
Et pour cause, s'il s'agit du libéralisme.
Caesar Scipio a écrit:
Le jour où les puits de pétrole s'assécheront ou qu'on en aura moins besoin parce que la part des énergies alternatives croitra fortement, ce sera le chaos et une violence obscurantiste bien plus forts qu'aujourd'hui.
Je peux vous assurer que si
"des énergies alternatives" ne l'ont pas remplacé, on connaîtra des restructurations sociales très étonnantes dans le reste du monde...
Caesar Scipio a écrit:
Et d'ores et déjà, c'est le choc avec la modernité qui suscite la violence par réaction. La modernité fait une armée de losers, ceux qui se rattachaient aux référents traditionnels, aux modes de fonctionnement traditionnels. Les garçons paresseux ou illetrés d'abord (doù la violence faite aux femmes, c'est le seul pouvoir qui leur reste). Les autorités religieuses aussi : elles ne veulent pas perdre le pouvoir qu'elles exercent sur leurs fidèles obligés, se retrouver dans la situation des ecclésiastiques ouest-européens avec des églises vides et des medias et des amuseurs enfants de Voltaire qui les moquent.
Je partage cette analyse. C'est l'heure du troc, changer de cadre culturel (l'islam) pour un autre conférant des avantages comparatifs supérieurs.
Le djihadisme accélère la dégénération du sunnisme de la manière suivante : il pose très rationnellement la pertinence du Coran. Si le Coran, comme verbe du seul dieu existant, est pertinent à la lettre, les djihadistes l'emportent. Si les djihadistes échouent, c'est une démonstration empirique de l'inadaptation du Coran, avec tous ses corollaires possibles (corruption spirituelle, inexistence ou malveillance de Jéhovah, etc.).
Empiriquement, un historien sait déjà à quoi s'en tenir quant à la pertinence du Coran pour conférer des avantages sociaux comparatifs, une fois que de nouveaux systèmes socio-économiques plus performants sont apparus, vers la fin du Moyen Âge ou au début de la Renaissance ; d'autant que ces systèmes-là ont eux-mêmes fini améliorés, balayés ou troqués pour de meilleurs encore.
À la fin, les sociétés convergent vers une société libéralisée. C'est comme la révolution néolithique, qui a marginalisé et déclassé les chasseurs-cueilleurs.
Ce n'est pas facile de troquer des mœurs et des valeurs, surtout quand elles ont été portées aux nues et données en exemple par des parents qu'on adore. C'est d'autant plus difficile d'abandonner des chaînes quand on a payé cher pour les conserver. Mais vient l'heure du troc. Ceux qui changent intègrent un nouveau monde, parfois avec plus de succès que des premiers venus. Ceux qui ne changent pas risquent un déclassement tel qu'il met en danger la descendance dans un monde aux ressources finies.
Socialement, l'évolution des hommes est lamarckiste (une sorte de darwinisme orienté par la conscience et le choix). L'Orient, comme l'Occident depuis quatre siècles, est atteint par la conscience d'autres possibilités et du choix de poursuivre ou changer. C'est l'heure du troc et ce troc, qui se conclut toujours dans le même sens, c'est la révolution libérale.