Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre propos mais voici mon point de vue sur les conditions géopolitiques qui sous-tendent tout autant l'aspect économique dont il est question que l'aspect militaro-diplomatique.
En fait, quand on veut comprendre les déterminants à long terme de la stratégie diplomatique d’un pays, il faut toujours revenir aux fondamentaux, c’est-à-dire à la géographie (que celle-ci soit physique ou démographique).
Les USA se sont constitués et sont parvenus là où ils sont parvenus de manière tout à fait improbable au regard de ce qu’est la géographie mondiale.
L’Amérique (je veux dire l’Amérique du nord autant que celle du sud) est excentrée géographiquement par rapport au cœur du monde qu’est l’immense masse constituée par l’Eurasie et l’Afrique.
Démographiquement, l’Amérique du nord et du sud ne représentent que moins de 15% de la population mondiale.
Bref, ce continent, y compris en son sein les USA, est complètement périphérique sur la planète terre.
Au sein de l’Amérique, les USA sont devenus une très grande puissance par un enchaînement improbable de concours de circonstances favorables.
Il n’allait pas du tout de soi que les USA allaient bénéficier si vite d’une absence de concurrence et de menace sur le continent nord-américain ni sur celui du sud. Cette absence de concurrence et d’obstacles leur a permis de développer une richesse interne et un potentiel de puissance tel qu’aucun autre pays européen n’en a jamais eu, hormis la Russie tsariste.
Rien ne destinait les USA à devenir l’hyperpuissance économique qu’elle a été depuis la 1ère guerre mondiale. En 1914, l’empire russe était la puissance émergente qui connaissait la plus forte croissance, la plus rapide modernisation économique, bien plus peuplée que les USA, et qui allait devenir la superpuissance du heartland cher à Mackinder.
A peine la Grande-Bretagne avait-elle avalé sa défaite dans la guerre d’indépendance des jeunes USA et repris conscience de ses intérêts vitaux à long terme qu’elle a orienté en conséquence sa stratégie géopolitique. Elle a bien sûr misé à fond sur l'Asie du sud et de l’est qui était la zone la plus peuplée et la plus riche du monde. Et c’est l’Asie qui a fait la fortune et la suprématie mondiale de la Grande-Bretagne, pas ses colonies américaines perdues ou conservées. C’est l’Inde qui a fait la révolution industrielle britannique à partir du dernier tiers du 18ème siècle. C’est la Chine qui a donné un élan supplémentaire à l’industrie britannique après les guerres de l’opium.
L’Amérique et les USA étaient complètement excentrés.
Par ailleurs, rien ne garantissait que les USA allaient développer un Etat fédéral fort capable de mener une politique de projection de puissance. Les particularismes locaux étaient très forts et chaque Etat très attaché à son autonomie. Le débat n’a d’ailleurs été tranché (c’est le mot adéquat vu les circonstances d’alors) qu’au prix d’une guerre civile terriblement destructrice.
Ce sont les divisions et les conflits entre puissances européennes qui ont offert l’occasion historique aux USA de prendre une place démesurée dans les affaires économiques et diplomatiques du monde.
Je pense qu’on se trompe en se focalisant sur l’exposition de la banque JP Morgan aux dettes européennes pour expliquer l’entrée en guerre des USA en 1917. Morgan n’était exposé aux dettes des alliés que parce que les industriels et agriculteurs américains exportaient tellement en direction des alliés pour soutenir leur économie de guerre que les alliés était arrivés quasiment à l’épuisement du collatéral « solide » qu’ils pouvaient donner à leurs fournisseurs américains.
Mais pour les fournisseurs américains, la 1ère guerre mondiale, cela a été le jackpot, avec des bénéfices multipliés par 3, 4, 5, ou plus, ainsi qu’une croissance phénoménale de leur production, un recul massif du chômage (qui tutoyait les 8% en 1914 aux USA).
https://en.wikipedia.org/wiki/United_St ... orld_War_I Et une fois qu’on a non seulement mis un pied dans la porte mais qu’on est devenu un acteur majeur du théâtre stratégique central qu’est l’Europe, eh bien on ne veut pas en repartir, on veut y intervenir et faire en sorte que des décisions essentielles ne s’y prennent pas sans votre avis, voire contre votre avis, quand bien même votre opinion publique est-elle massivement isolationniste et pacifiste.
Quand on regarde la carte de l’Europe en 1919, résultant du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sous-jacent à plusieurs des 14 points énoncés par Wilson, on ne peut manquer de constater le morcellement et donc l’affaiblissement de l’Europe.
Si on prend le cas de Roosevelt, on oublie le rôle désastreux qu’il a eu dans la gestion de la montée du péril hitlérien en Europe. Alors que se dessinait une grande alliance qui, juste avant la crise de Munich, allait regrouper les puissances occidentales et l’URSS pour faire la guerre à l’Allemagne et lui coller une dérouillée si jamais Hitler agressait la Tchécoslovaquie, Roosevelt est intervenu pour dissuader fortement les français et les britanniques d’envisager le recours à la force contre l’Allemagne.
Certains estiment que c’est une erreur, une maladresse de Roosevelt. D’autres estiment que c’est délibérément qu’il a agi ainsi, non pas pour favoriser l’Allemagne ni parce qu’il était opposé à la guerre contre Hitler mais pour que la crise en Europe ne se règle pas sans que le président des USA y dise un mot décisif.
Et pour boucler la boucle et mettre en évidence les permanences, dans son livre « le grand échiquier », Brzezinski, le père spirituel aussi bien des faucons libéraux que des néoconservateurs en matière de géopolitique, avait écrit noir sur blanc qu’il était absolument indispensable et vital pour les USA de conserver et consolider sa tête de pont en Europe parce que c’est la condition du maintien de l’hégémonie américaine mondiale.
L’UE, c’est une population de 500 et quelques millions d’habitants (contre 320 millions pour les USA) et un PIB quasi-équivalent à celui des USA. C’est ce qui permet aux USA d’être l’hégémon du monde dit « occidental » en lui donnant une profondeur économique et démographique beaucoup plus importante.
Et pour maintenir cette hégémonie américaine sur l’Europe, il faut entre autres choses destructurer l’Europe. Surtout éviter que l’Europe se mette à mener une politique jumelle de celle des USA en matière de patriotisme économique. Au contraire, prôner l’intégration économique américano-européenne pour que chacun des 28 membres de l’UE se retrouve seule face aux géants américains qui fixent leurs standards, les imposent sur un marché de 800 ou 900 millions d’habitants, et engrangent à eux seuls les profits du monopoliste. Tout en laissant un susucre aux allemands obsédés de pouvoir continuer à refourguer leurs bagnoles de luxe que de toute façon ils produisent déjà dans des proportions assez importantes sur le territoire américain pour les vendre à la clientèle américaine.