Jacques Attali – Parce qu’aujourd’hui, mes amis polonais comprendront que ce n’est pas insultant à leur égard ce que je vais dire, mais le maître de l’occident c’est la Pologne. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si monsieur Obama a été en Pologne. Monsieur Obama a été en Pologne parce que Chicago est la deuxième ville polonaise du monde et qu’il est lui-même de Chicago et que les polonais ont une obsession, c’est ‘’tout sauf les russes’’, qu’on peut comprendre à travers leur histoire. Et donc les polonais poussent l’occident à empêcher les russes de rentrer dans l’UE, à avaler l’Ukraine dont les polonais ne voulaient pas d’abord, puis maintenant ils ont commencé à changer d’avis parce qu’ils ont compris qu’ils ont intérêt à ce que l’Ukraine soit dans l’UE et dans l’OTAN mais évidemment pour les russes c’est inacceptable. La vraie solution serait de se mettre autour d’une table, nous européens, et d’abord nous français parce que nous avons l’avantage de ne pas dépendre du gaz russe, donc on n’est pas en situation de dépendre d’un maître chanteur comme les allemands qui dépendent du gaz russe tous les matins, nous pas donc nous devrions proposer de nous mettre autour d’une table, français et russes avec les ukrainiens, à trois, pas plus pour négocier de l’avenir de l’Ukraine comme pont entre l’UE et la Russie.
Philippe Dessaint – On vient de voir au 70e anniversaire du Débarquement ce côte à côte, je n’ose pas dire cette rencontre entre Obama et Poutine, situation tendue, Poutine un peu à l’écart. Est-ce qu’il faut avoir peut de Vladimir Poutine ?
Jacques Attali – La comparaison historique que je ferais, c’est plutôt de la Russie avec la République de Weimar d’Allemagne. Pour moi, ce n’est pas Hitler. C’est un pays qui est humilié, encerclé, bourré de corruption, désordre, totalitarisme latent et réel etc… Si on continue comme ça, si on continue à isoler la Russie, elle va devenir un adversaire, elle va basculer de Weimar à Hitler, je ne pense pas que ce soit Poutine, je pense que c’est après lui qu’on a le danger. Donc il ne faut pas refaire avec la Russie de Poutine l’erreur qu’on a faite en 1920…
Philippe Dessaint – Donc il faut lui parler, il faut le rencontrer ?
Jacques Attali – Il ne faut pas l’isoler, fallait pas supprimer le G8, il faut pas faire la même erreur qu’on a faite avec l’Allemagne de Weimar en l’isolant, en lui forçant à rembourser des dettes qu’elle pouvait pas payer etc… Donc il faut à tout prix intégrer la Russie. Ça prendra du temps, la Russie n’est pas une démocratie, elle est bourrée de kleptocrates et de gangsters comme beaucoup de pays du monde, elle n’est pas la seule, il y en a aussi un peu partout à travers la planète. Il faut donc avancer lentement vers une démocratie russe, c’est notre intérêt.
Sophie Malibeaux – Alors jusqu’où on va payer les fautes commises…sous pression américaine finalement?
Jacques Attali – Sous pression américaine… La France a signé ce texte en 2008 disant que nous souhaitions que l’Ukraine soit dans l’OTAN, on a signé ce texte. Donc il faut aujourd’hui calmer le jeu, l’Ukraine n’a rien à faire dans l’OTAN, l’Ukraine a tout à faire dans l’UE mais rien à faire dans l’OTAN.
Sophie Malibeaux – Vous pensez que les américains sont prêts à entendre ça ?
Jacques Attali – Les américains ont trois raisons pour ne pas être prêts à entendre ça. La première c’est Chicago dont j’ai parlé, l’influence de tous les lobbies polono-ukrainiens etc… qu’on peut comprendre parce que les États-Unis c’est une sorte d’Europe qui a réussi, donc tous les peuples y sont etc… La deuxième raison c’est qu’ils ont leur complexe militaro-industriel qui a besoin de reconstituer un ennemi. Et la troisième raison c’est qu’ils n’arrivent pas à faire de la Chine un ennemi, pour l’instant la Chine n’est pas potentiellement l’ennemi de substitution à l’Union Soviétique. Donc le retour de la Russie comme ennemie est béni des dieux pour les Etats-Unis mais nous européens, on a tort de tomber dans ce piège.
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