Le débat pour déterminer si untel est antisystème ou non me paraît posé de manière inopérante et hors sujet. Ce n’est pas une personne qui est par nature antisystème ou du système. La position de banquier, de responsable politique, de journaliste, de militant est en soi neutre en ce sens qu’on peut y trouver des gens qui sont pro-système et des gens qui sont antisystème.
Du point de vue du « métier » et de la « trajectoire professionnelle », les tante et nièce Le Pen sont au moins autant que Hollande, Valls ou Fillon des caricatures de produit du système politique français. Ce sont des professionnels de la politique qui n’ont à peu près rien fait d’autre de leur vie adulte que faire de la politique une fois leurs études finies. Hormis les périodes de chaos révolutionnaire de l’époque contemporaine, cela n’existe pas les dirigeants politiques dont l’extraction, l’origine sociale ou professionnelle pourrait être qualifiée d’anti-système. Les dirigeants politiques dits antisystèmes sont presque toujours issus de la classe politico-économique dirigeante.
Ce sont donc l’attitude, la démarche, les positions et les actes d’une personne qui peuvent être qualifiés d’antisystèmes ou de pro-système.
Il faut donc définir ce que sont les politiques et les positions antisystème dont on parle.
Etre antisystème, c’est notamment être anti-mondialisation libérale (j'entends par là la suppression des frontières et des régulations nationales qui crée un cadre de concurrence asymétrique, et non pas la diffusion des techniques à tous les pays de la planète) au plan économique (que ce soit la version anticapitaliste ou procapitaliste à condition qu’il soit national), anti-mondialisalisation politique, être souverainiste, identitariste (là où le système prône de dépasser le cadre national), anti-multiculturalisme (là où le système prône le relativisme culturel et prône de laisser faire l’émergence de mosaïques identitaires). Etre antisystème, c’est aussi être opposé au système impérial occidental anglo-saxon, dont le vaisseau amiral est aux USA, incarné par le courant des néoconservateurs et des faucons libéraux, et dont le but est d’affaiblir tout pôle de puissance susceptible de contester l’hégémonie mondiale de l’empire occidental anglo-saxon.
Pour en revenir aux USA de Trump, le parcours professionnel de Rex Tillerson, qui sera le secrétaire d’Etat de Trump sous réserve que Trump soit bien investi président des USA et que le Sénat valide bien la nomination de ce secrétaire d’Etat, est tout sauf anti-système. Cependant, les positions de politique étrangère auxquelles Tillerson est supposé être favorable, à savoir l’apaisement et la coopération avec la Russie, sont on ne peut plus anti-système puisque sur ce sujet précis, le système voulait perpétuer l’interminable guerre froide contre la Russie alors même que ladite guerre froide était supposée terminée depuis 1990/1991 avec la dissolution du Pacte de Varsovie et de l’URSS.
C’est précisément ce qui fait hurler les pro-système qui constituent l’immense majorité de la classe politique et des têtes d’affiche des grands médias mainstream dans les pays occidentaux.
Trump a cherché diverses personnes comme secrétaire d’Etat.
Il a été question de Giuliani qui est un de ses soutiens d’origine (depuis le début de sa campagne à la primaire républicaine) mais Giuliani a des engagements néoconservateurs assez marqués.
Il a été question de Bolton, qui était une figure de proue des bellicistes néoconservateurs dans l’administration Bush junior, même si Bolton incarne la tendance souverainiste des belliciste néoconservateurs (par opposition à la tendance globaliste des bellicistes néoconservateurs et faucons libéraux).
Il a été question de Romney, qui est côté républicain le pendant exact de ce que Kerry incarne côté démocrate : un centriste néoconservateur modéré qui a été le candidat malheureux de son parti lors d’une élection présidentielle antérieure.
Et au final, Trump a fait un choix on ne peut plus limpide, on ne peut plus clair et sans concession envers ses opposants en matière d’orientation diplomatique. Il a choisi une personne avec un gigantesque réseau de relations, avec un pouvoir et une capacité d’influence énormes, parce qu’il a été le patron de la plus grosse entreprise d’hydrocarbures du monde, dont LA caractéristique diplomatique est qu’il a clairement pris position pour une politique de coopération et d’apaisement entre les USA et la Russie.
Alors en effet, les partisans du système, de la provocation de la nouvelle guerre froide contre la Russie, s’étranglent. Et une des manières qu’ils ont pour faire passer leur message, c’est d’enfumer le public en entonnant le refrain de « Tillerson n’a aucune expérience politique ».
Ce genre d’argument est ridicule. Le PDG d’une aussi gigantesque multinationale de l’énergie mène littéralement une diplomatie mondiale car quasiment partout sur la planète les ressources du sous-sol sont la propriété des Etats qui en concèdent l’exploitation à des entreprises privées ou publiques, nationales ou étrangères. ExxonMobil est beaucoup plus grosse, beaucoup plus complexe et beaucoup mieux organisée que n’importe quel ministère des affaires étrangères. Ses accès aux autorités étrangères n’ont rien à envier à ceux d’un ambassadeur ou d’un ministre des affaires étrangères, d’autant moins que le rôle des ministres des affaires étrangères et des ambassadeurs s’est considérablement affaibli avec le développement de la diplomatie directe entre chefs d’Etat et de gouvernement que permettent le développement des transports rapides et des télécommunications instantanées.
Trump est un pragmatique qui a avant tout pour but de faire des deals bénéfiques au service d’objectifs qu’il a arrêtés. Je l’ai dit, diplomatiquement son but est de restructurer l’appareil impérial américain qui s’est si gravement surétendu qu’il risque de s’effondrer sur lui-même à court-moyen terme. Trump porte un projet nationaliste souverainiste, dans la tradition jacksonienne plus que rooseveltienne (Theodore, pas Franklin). Il veut que les USA dilapident moins en vain leurs moyens à l’étranger pour consacrer davantage de moyens à la reconstruction de son pays dont des pans entiers ont subi un véritable effondrement. Il veut aussi reconstruire l’appareil militaire américain qui se caractérise par une inefficacité et un gaspillage pire que ceux dont était affligée l’URSS finissante.
Bref, Trump réunit autour de lui une équipe de gens qui ne sont pas des enfants de chœur mais qui sont des nationalistes raisonnables et pragmatiques qui entendent servir les intérêts raisonnables de leur pays et non plus sacrifier leur pays et leur population aux intérêts d’une aristocratie impériale internationaliste belliciste, tout en faisant en sorte de ne plus se laisser écorcher économiquement par la Chine sans néanmoins continuer sur la trajectoire d’un affrontement armé sur laquelle le pivot vers l’Asie d’Obama et Clinton engageait leur pays.
Il a pris Flynn à la tête du conseil national de sécurité. Il prend Tillerson à la tête du Département d’Etat. Je trouve que ce sont des choix très cohérents, très clairs. Ces choix ne sont certes pas exempts de risques et d’incertitudes, car d’une part il n’est pas du tout certain que ces personnes réussiront dans leur démarche et que la position de Trump sur l’aspect géopolitique de la relation USA-Chine n’est pas encore aussi claire qu’elle l’est sur la relation USA-Russie.
On ne sait par ailleurs pas ce qu’il adviendra de la volonté de pacification des USA après Trump, une fois que, s’il y parvient, leur appareil militaire est enfin rationnalisé et retrouve l’efficacité qu’il a perdue depuis les années 2000. Notamment parce que Trump n’est pas un vrai républicain, qu’il reste isolé au sein du parti républicain au sein duquel il s’est juste inflitré comme un coucou pour bénéficier de l’étiquette d’un des 2 grands partis qu’il jugeait à raison indispensable pour avoir une chance de gagner la présidentielle. Or son vice-président, tout ultra-conservateur issu de la droite religieuse qu’il soit, n’en est pas moins aussi un néoconservateur sur le plan diplomatique, un néoconservateur certes modéré mais un néoconservateur tout de même.
|