Aigle a écrit:
Étant actuellement trop occupé pour participer activement au forum, je ne peux discuter les éléments produits dans ce débat. Je me bornerai à partager l'analyse d'un spécialiste du sujet que je connais bien et qui soutient que l'attaque chimique est non pas certainement mais quand même très probablement le fait des gouvernementaux.
Dans quel but ? Probablement pour tester Trump. Si les États Unis avaient laissé passer 90 morts il y en aurait 900 puis 9000 les semaines prochaines.
Pourquoi Assad aurait il pris la décision de "tester" Trump ? soit parce qu'il y a pensé tout seul (hypothèse plausible) soit parce que les russes l'y ont poussé ...à moins que des agents américains anti Trump (il y en a beaucoup à la CIA et au département d'etat) n'en aient soufflé l'idée dans l'idée de créer une crise americano russe. Cette version paranoïaque n'est pas la plus probable.
Trump par sa réaction a poursuivi un double but : intérieur en démontrant qu'il n'est pas un mou aligné sur Moscou ou Damas, extérieur en démontrant qu'il n'hésitera pas à l'emploi de la force (message autant destiné à la Turquie, l'Iran ou la Corée du Nord qu'à Assad).
Pourquoi tester Trump?
-Trump a directement montré sa proximité avec Israël et l'Arabie Saoudite.
-Il déteste les Iraniens, c'est presque pathologique.
-Il a dû faire face à des accusations de russophilie qui ont poussé Michael Flint (le seul de son entourage à avoir une position +/- "pro-Assad") à démissionner.
Dans ce contexte pas vraiment besoin de "test", plutôt continuer profil bas.
Mais Assad est un dictateur sanguinaire et abruti, il a très bien pu vouloir montrer sa détermination?
-Depuis des mois, les forces de l’opposition quittent des quartiers, des villages en bus avec armes et bagages. On l'a vu à Alep: pas un prisonnier! Tous les rebelles sont partis en bus avec leurs armes. Ensuite le gouvernement a accepté un cessez-le-feu (souvent violé, il faut l'admettre, mais par les deux camps) et s'est engagé dans le processus d'Astana. C'est donc bien une image de rassemblement et de réconciliation que cherche à faire passer le gouvernement, une image qui fonctionne assez bien puisque plusieurs quartiers de Damas sont repassés en ce début d'année aux mains des gouvernementaux par le système des bus. Et cette image que veut donner Assad, mais qu'en réalité il n'arrive pas à vendre tant la "concurrence" est puissante, il va, avec une bombe de sarin sur un objectif sans intérêt, la remettre en jeu? Ça n'a pas de sens.
-De même l'argument "Si les États Unis avaient laissé passer 90 morts il y en aurait 900 puis 9000 les semaines prochaines." est absolument absurde:
1. Même sans bombardement US, la Russie ne peut laisser la Syrie utiliser le sarin a tout va, c'est impensable. D'autant qu'elle a été la garante du désarmement chimique.
2. Pourquoi le gouvernement syrien se mettrait à utiliser ces armes aujourd'hui massivement alors qu'il ne l'a pas fait dans le passé? Pourquoi si le bombardement de la Ghouta était le fait du gvt. n'a-t-il pas utilisé massivement le sarin alors que Obama n'a pas réagi militairement? Aujourd'hui le gvt est politiquement et militairement dans une bien meilleure position et il utiliserai une arme aussi inutile et contre-productive?
Par contre une provocation des rebelles de Tahrir al Sham pour remettre la pression sur le gouvernement syrien alors qu'on parlait de plus en plus de son caractère incourtounable (pas de solution sans Assad). Une provocation prise au vol par un Trump en perte de vitesse (ce bombardement est le meilleur point de ses 100 jours). Là ça paraît rationnel, ça cadre avec la psychologie des différents protagonistes: fanatiques d'Al Qaeda d'un côté et POTUS à l'ego surdimensionné de l'autre...
Après il faut bien emballer le truc et le document des services français est un bon exemple. Revenons brièvement à la déclaration très claire du gouvernement français au sujet de l'attaque de Khan Cheikhoun.
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/syrie/evenements/actualites-2017/article/attaque-chimique-en-syrie-declaration-de-jean-marc-ayrault-a-l-issue-du-conseilUne pièce de taille au dossier, la responsabilité du régime de Damas est strictement établie par les services français. La France se place encore une fois singulièrement en pointe sur le dossier syrien.
Je ne vais pas relancé le débat, d'autant que je n'ai pas vraiment ni le temps, ni les moyens d'analyser ce document. Je me contenterais donc de quelques remarques superficielles sur le rapport annexé:
Citation:
La France a mis en œuvre les moyens nécessaires pour disposer de ses propres échantillons issus de l’attaque présumée au sarin le 4 avril 2017 dans la province d’Idlib
Aucun détail sur l'origine des échantillons et si ils ont été prélevés par des scientifiques.
Citation:
Ces renseignements sur le procédé utilisé par le régime et qui signe sa responsabilité dans l’attaque du 4 avril reposent, entre autres, sur l’analyse du contenu d’une grenade non explosée mise en œuvre de façon certaine par le régime syrien lors de l‘attaque de Saraqeb, le 29 avril 2013.
L'attaque de Saraqeb était plutôt caractérisée par l'usage de chlorine, certains parlaient marginalement de sarin, mais visiblement les services français ont reçu un échantillon à ce moment. Dans quelles conditions? Fourni par qui? Secret défense.
Le rapport des inspecteurs de l'ONU en 2013, cité par CBS news:
Citation:
At Saraqueb, the inspectors said they collected evidence "that suggests that chemical weapons were used ... on April 29, 2013 on a small scale, also against civilians." Again, they said they lacked information on the delivery system and the chain of custody for environmental samples and therefore couldn't link the event, the site "and the deceased woman."
http://www.cbsnews.com/news/un-inspectors-confirm-chemical-attacks-in-syria/Trois solutions:
1. La France n'a pas jugé bon de présenter ses preuves aux inspecteurs.
2. Elle a fourni les éléments et les inspecteurs n'ont pas pu les employer (chain of custody, delivery system).
3. Elle a reçu les preuves plus tard, mais bon une fois de plus qu'elle est la traçabilité?
Citation:
Les services français, s’étant assurés de la traçabilité de cette grenade, ont fait procéder à des expertises.
Ok, même si les inspecteurs de l'ONU n'ont peut être pas la même opinion. Ce qui est étonnant c'est la référence à ce sarin en particulier plutôt que de façon plus générale au sarin syrien dont les stocks ont été détruit et étudié par une instance internationale. Ou même avec le sarin de la Ghouta, là aussi des échantillons ont été étudiés par les inspecteurs, on dirait que les Français font ici l'enquête avec les moyens à leur disposition, sans demander à l'OPCW de comparaison.
Suit une analyse militaire qui ne nous renseigne guère sur le besoin particulier qu'avait le régime à lancer cette attaque.
Citation:
Pour ce qui concerne l’organisation générale de la chaîne de commandement, les services de renseignement français estiment que seuls Bachar al Assad et certains des membres les plus influents de son entourage sont habilités à donner l’ordre d’utiliser des armes chimiques.
Une estimation assez vague. Au vu de l'inanité de l'opération et des faibles quantités répandues, cela aurait peut être mérité une réflexion plus approfondie? L'idée d'une provocation par un noyau hardcore du régime est dans le cas d'une responsabilité gouvernementale beaucoup plus plausible qu'un ordre direct d'Assad.
Citation:
Hay’at Tahrir al Cham (HTS) est né de la fusion de plusieurs factions radicales avec le mouvement qaïdiste Jabhat Fatah al-Sham à la suite de la chute d’Alep. Une coordination pragmatique a été observée entre le HTS et les autres groupes armés présents dans le secteur de Hama fin mars. A la connaissance des services français, aucun de ces groupes ne dispose de la capacité à mettre en œuvre un agent neurotoxique, ni ne dispose des capacités aériennes nécessaires.
Qaïdiste est bien un adjectif d'Al Qaïda pour ceux qui n'auraient pas compris d'emblée. Un peu d'euphémisme qui se poursuit avec coalition "pragmatique", pragmatique mais où l'ex-AQ domine nettement. "Aucun de ces groupes ne dispose de la capacité à mettre en œuvre un agent neurotoxique": le gouvernement syrien s'est plaint de l'usage de neurotoxiques par les rebelles et c'est à sa demande que l'OPCW s'est déplacé en Syrie en 2013, mais cela n'a pas été porté à la connaissance des services français ou peut-être que ceux-ci estime que des échantillons fournis par Al-Qaeda sont plus fiables que des échantillons fournis par le régime syrien? Quand aux capacités, on croit réver: la secte Aum a pu fabriquer du sarin, mais une rébellion qui occupe la moitié d'un pays connu pour ses réserves de sarin et qui fabrique ses propres missiles, n'en aurait pas les moyens? Sans parler des accusations de Eren Erdem.
Citation:
Les services français estiment qu’une mise en scène ou une manipulation par l’opposition n’est pas non plus crédible, en particulier du fait de l’afflux massif de patients en un temps limité vers des hôpitaux sur le territoire syrien et sur le territoire turc, et de la mise en ligne simultanée et massive de vidéos présentant les symptômes de l‘utilisation d’agents neurotoxiques.
Pourtant:
Citation:
Les analyses réalisées par les experts français sur des échantillons environnementaux, prélevés à l’un des points d’impact de l'attaque chimique survenue à Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, révèlent la présence de sarin, d'un produit secondaire spécifique (le diisopropylméthylphosphonate-DIMP), formé lors de la synthèse de sarin à partir d'isopropanol et de DF (difluorure de méthylphosphonyle), et d’hexamine. L’analyse des échantillons biomédicaux montre également qu’une victime de Khan Cheikhoun, dont le sang a été prélevé en Syrie le jour même de l’attaque, a été exposée au sarin.
Un afflux massif mais on a le prélèvement que d'une seule victime? De plus MSF dit bien:
Citation:
Parmi les victimes de l’attaque sur la ville de Khan Cheikhoun transférées à l’hôpital de Bab Al Hawa, situé à 100 kilomètres au Nord, près de la frontière turque, MSF a constaté chez huit patients des symptômes – pupilles rétractées, spasmes musculaires et défécation involontaire – caractéristiques d’une exposition à des agents neurotoxiques, tels que le gaz sarin.
Donc dans les structures MSF qu'on peut considérer comme les plus fiables sur le terrain on ne parle que de 8 patients ayant des signes caractéristiques. Pas vraiment massif, en tout cas l'adjectif répété deux fois paraît bien vague. Dans la vidéo prise à l'hôpital de Khan Cheïkoun et que j'ai posté dans un message précédent, on compte une dizaine de patients (des hommes essentiellement) et le nombreux personnel ne semble pas particulièrement débordé. Une mise en scène implique bien sûr la fabrication d'un événement chimique et on imagine que les images soient prises et mises en ligne de façon plus ou moins simultanée. Les images sont d'ailleurs toutes post-événement et, comme d'habitude, aucunes qui nous montrent la découverte des victimes (façon Halabja), les victimes sont soit déjà rassemblées, soit arrivent par ambulance, ce ne sont que des scènes d'action: bruits, cris, lance à eau, confusion...
Citation:
La France a signalé à l’OIAC que les explications syriennes sur les quantités de DF déclarées, une vingtaine de tonnes, comme ayant été utilisées lors d’essais ou perdues lors d’accidents, étaient surévaluées. D’autre part, depuis 2014, la France a pu constater des tentatives d’acquisition par la Syrie de quelques dizaines de tonnes d’isopropanol. Aucune preuve de la véracité des déclarations syriennes n’a pu être obtenue par l’équipe d’évaluation de la déclaration initiale syrienne (DAT) du Secrétariat technique de l’OIAC. L’OIAC a elle-même constaté des incohérences majeures dans les explications syriennes au sujet de la présence de dérivés de sarin sur plusieurs sites sur lesquels aucune activité liée à ce toxique n’avait été déclarée.
La France considère que la Syrie ment, pourquoi pas? Dizaines de tonnes d'isopropanol? Ça ne sert qu'à fabriquer du sarin? Et plusieurs tonnes pour quoi faire, quand auront lieu ces attaques massives au sarin?
Citation:
Le régime de Damas a continué de faire usage d’agents chimiques contre sa population depuis l’adhésion de la Syrie à la CIAC le 13 octobre 2013. Plus d'une centaine d’allégations d’emploi ont ainsi été recensées, au moyen de chlore mais également de sarin. Depuis 2014, la mission d’établissement des faits de l’OIAC (Fact Finding Mission, FFM) a rendu publics plusieurs rapports confirmant l’emploi d’armes chimiques en Syrie contre des civils. Le mécanisme d’enquête et d’attribution ONU-OIAC sur les attaques chimiques (Joint Investigation Mechanism, JIM) a enquêté sur neuf allégations d’emploi. Dans ses rapports d’août et d’octobre 2016, le JIM attribue à Damas trois cas d’utilisation de chlore et un cas d’utilisation d’ypérite à Daech.
Le Joint Investigative (pas Investigation) Mechanism de l'OPCW a publié e.a. le rapport suivant:
http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/N1634106%20%281%29.pdfLes rapports en question sont une lecture assez fastidieuse, la plupart du temps les preuves sont faibles et lorsqu'il y a preuve, c'est toujours deux ou trois témoignages associés à l'un ou l'autre échantillon. C'est assez logique, il n'y a absolument aucun accès au terrain, sinon à des structures proches de la frontière turque.
Ainsi dans le rapport des services français, les braves rebelles n'ont jamais rien fait (en tout cas on ne les cite pas), c'est soit le régime soit Daech.
C'est assez clairement fait dans l'annexe au rapport (ALLÉGATIONS D’EMPLOI D’ARMES CHIMIQUES RECENSÉES EN SYRIE DEPUIS 2012) qui s'avère un peu surprenante (on est averti: il s'agit "Allégations d’emploi d’armes chimiques qui n’ont pas pu être caractérisées avec une grande fiabilité par les services français".), ainsi l'attaque de Khan al Assal n'est pas classée sarin et au vu du tableau des couleurs affiché dans le haut du document, les seuls à perpétrer des attaques chimiques sont le régime et Daesh. En fait en blanc on trouve pas mal d'attaques rebelles mais qui grâce à ce subtil choix de couleurs et l'absence dans le tableau de toute mention utile, sont absolument neutres...
Et pour finir:
Narduccio a écrit:
VOus préférez accorder vtre confiance aux services de renseignements russes, plutôt qu'à ceux de votre propre pays ? J'ai bien compris ?
Un argument pareil! Vous rendez vous compte que la France est en guerre contre le gouvernement syrien? Pas une guerre directe, elle ne bombarde ouvertement là-bas que Daesh. Non une guerre secrète qui passe par des livraisons d'armes et de matériels à des groupes rebelles, une "guerre" diplomatique qui passe par l'appui à des groupes armés et insurrectionnels, par la rédaction de résolutions destinées à permettre une ingérence dans les affaires syriennes. Je ne porte ici aucun jugement de valeur sur cette politique, mais simplement la France n'est pas un acteur neutre de ce conflit, elle suit un agenda politique. Votre appel patriotique me paraît relever ici de l'argument d'autorité.
Je ne comprends pas trop pourquoi non plus vous faites allusion aux services russes, ont-ils exprimé une opinion claire sur le sujet? Un rapport est-il à disposition? En fait la position russe est plutôt expectative, elle a appuyé la première explication du bombardement d'un dépôt, explication qui a été aussi celle un moment du gouvernement syrien, mais qui, dans le chef en tout cas de ce dernier, semble évoluer vers la thèse d'un montage. Elle demande, contrairement à la France, que des inspecteurs soient mandatés à Khan Cheïkhoun.