Bonjour Paul, j'ai pris un peu de recul avec ce forum mais vous me demandez si aimablement mon avis que je peux difficilement m'esquiver.
Paul Ryckier a écrit:
J'ai vu hier un documentaire intéressant concernant les differents partis qui sont en jeu dans l'Iraq/la Syrie: "Les guerres cachées contre Daech" J'ai cherché les antécédents du film pour les sources et il semble être un film dirigé par Arte?
http://www.arte.tv/fr/videos/066344-000 ... ntre-daechEt il semble qu'il reste encore un mois sur le 7+
Les intervenants livrent quelques témoignages intéressants, on a droit à la thèse, immanquable quand on parle de Daesh, selon laquelle c'est Assad qui a soutenu le mouvement pour combattre les rebelles. J'en avais parlé sur un autre fil où l'on n'avait pu m'apporter aucun nom de prisonniers libérés devenus des chefs de Daesh et alors que tous les commentateurs s'accordent à dire que l'appoint djihadiste (ISIS + AQ, à l'époque ils sont alliés avec l'ASL) a été déterminant dans la prise d'Alep. Et que l'aveu même de Kerry (nous n'avons rien fait contre l'ISIS car nous pensions que cela affaiblirait Assad) rend toute cette thèse simplement absurde. En fait si un mouvement a bien "confisquée" la révolution syrienne, c'est celui des Frères Musulmans, comme l'explique clairement cet article:
http://foreignpolicy.com/2013/03/13/how-the-muslim-brotherhood-hijacked-syrias-revolution/Même si les Frères n'était pas à la manœuvre dès le début, ils ont rapidement pris en main le mouvement populaire en lui imprimant un caractère religieux qui, de proche en proche, a fini par attirer en Syrie les djihadistes de partout, donnant au conflit syrien son caractère particulier.
Je ne suis pas non plus absolument persuadé par l'idée d'associer Syrie et Irak comme si les deux situations étaient identiques. Je vois pas mal de différences et vouloir en faire un seul conflit, même si c'est tentant, n'aide pas à la compréhension.
Paul Ryckier a écrit:
La Turquie totalement occupé par le, potentiellement, nouveau né: Les Kurdes?
La question de l’État kurde se posera avec acuité, tant en Irak qu'en Syrie, comment se résoudra-t-elle? Elle met en danger l'intégrité de deux États puissants: l'Iran et la Turquie (l'Irak et la Syrie ont cessé de l'être). L'appui US continuera-t-il au-delà de la disparition de l'EI? Sans doute en Irak car là les Kurdes s'opposent aux Chiites, en Syrie, c'est plus délicat vu la proximité avec les Kurdes de Turquie. Franchement c'est difficile à dire.
Paul Ryckier a écrit:
Une entité en Syrie dépendante du gouvernement de Syrie, soutenue par les Russes et l'Iran?
On a longtemps parlé d'un "réduit alaouite", source de pas mal de fantasmes, voir ici un vieil article du Figaro interviewant Abdul Halim Khaddam et laissant libre cours à l'imagination de son auteur:
http://www.lefigaro.fr/international/2012/01/25/01003-20120125ARTFIG00633-khaddam-assad-planifie-la-partition-de-la-syrie.php En fait le ralliement sunnite au gouvernement de Damas rend ces projets caduques: les zones peuplées d'Alaouites (côte au-dessus du Liban) sont aujourd'hui largement peuplées de sunnites ayant fuit les zones rebelles, de même les grandes villes sont entre les mains du gouvernement, la très grande majorité de la population vit dans les zones gouvernementales.
Paul Ryckier a écrit:
Une entité sunnite en Syrie soutenue par l'Arabie-Saudite et les Américains?
Une zone rebelle indépendante pourrait être imaginée au sud du pays: difficilement viable, elle pourrait être soutenue par le Israéliens, les milices rebelles devenant une sorte d'armée du Liban Sud. Au nord, les Turcs sont en mesure de tailler à leurs alliés un territoire dans le nord-ouest, ceci dit il faudrait qu'ils y mettent les moyens, ce qui n'est pas le cas jusqu'à présent, ainsi des réfugiés qui devaient être installés à Jarablus dans le cadre des accords de pacification (déplacement des rebelles hors des zones redevenues gouvernementales) ont préféré retourner à Homs (zone gouvernementale).
Paul Ryckier a écrit:
En Iraq une partie sunnite, une partie chiite, une partie Kurde, comme une partie Kurde en Syrie? Aussi soutenues par les différents partis amis?
L'enjeu des ressources va jouer, comme en Syrie, mais le caractère sectaire du gouvernement irakien est un vrai problème qui est lié au fait que les partis eux-mêmes on souvent un caractère sectaire (islamique (chiite ou sunnite) ou ethnique). C'est un problème fondamental que la constitution syrienne adoptée en 2012 avait pris en compte dans son article 4 alinéa 4: "Aucune activité politique ne doit être pratiquée ni aucun parti ou groupe politique formé sur une base religieuse, sectaire, tribale, régionale ou professionnelle et en fonction d'une discrimination fondée sur le sexe, l'origine, la race ou la couleur." Si l'on doit espérer que des pourparlers politiques entre pouvoir et opposition aboutissent en Syrie, il y a pourtant lieu de s'inquiéter pour le sort de cette constitution qui, sur ce point en tout cas, me parait marquée du sceau du bon sens.
Paul Ryckier a écrit:
Et le scenario le plus redoutable: une nouvelle guerre d'envergure et proxie entre de l'un coté, les Sunnites avec l'USA, et de l'autre coté l'Iran shiite et Assad avec les Russes?
La guerre des proxies est déjà bien entamée, mais si les choses sont assez claires d'un côté, de l'autre le tableau devient de plus en plus complexe: les Américains appuient des Kurdes et des Arabes sunnites, mais jusqu'à quand? Pourront-ils couper les ponts avec Erdogan sous prétexte de Kurdistan? On voit déjà aujourd'hui que sur le terrain les Arabes sunnites se partagent de plus en plus nettement entre pro-saoudiens et pro-qataris (Turcs). Il va devenir de plus en plus difficile d'obtenir même un semblant d'unité.
Mais bon les réactions erratiques du président Trump ne sont pas de nature à rendre plus prévisible le déroulement des conflits. Notons tout de même la position du président Macron qui cherche à rompre avec plusieurs années de non-diplomatie française en abandonnant le "Assad doit partir" comme préalable. Position qui lui a déjà valu quelques tribunes offusquées des "amis de la Syrie" inquiets des progrès de la "propagande assadiste"...